Le constat
La loi ALUR, en instaurant la possibilité pour les agglomérations dont les marchés locatifs sont tendus d’encadrer les loyers d’habitation pratiqués, a ouvert des débats houleux dès sa préparation. Elle ne faisait pourtant qu’inscrire dans la réalité une promesse électorale du candidat élu à la présidence de la République, François Hollande. Ce dispositif a finalement été mis en place à Paris puis à Lille, avant d’être attaqué en justice, invalidé puis réhabilité. Le législateur l’avait entretemps revu et amélioré, permettant en particulier son installation sur une seule commune au sein d’une agglomération.
Le Président Macron n’a pas remis en question le mécanisme d’encadrement, que la capitale et Lille ont de nouveau appliqué. D’autres villes viennent d’exprimer leur volonté d’y encadrer les loyers résidentiels, Bordeaux, Lyon, Villeurbanne et Grenoble. Le débat se rouvre, dans des circonstances économiques et sociales en outre fondamentalement différentes de celles de 2014.
Débat animé par Henry Buzy-Cazaux, président fondateur de l’Institut du Management des Services Immobiliers.
Conférence du Cercle des Managers de l’Immobilier, organisée le mardi 1er décembre 2020 à 17h
Les intervenants
La synthèse
« L’encadrement des loyers (…) c’est un peu le sparadrap sur l’arbre qui cache la forêt (…) et les problèmes qu’il peut entraîner sont à la hauteur des solutions qu’il apporte ». Ce sont dans ces termes que Séverine de Compreignac, conseillère de Paris et secrétaire générale du groupe Modem de l’Assemblée Nationale, a planté le décor de cette conférence en ligne co-organisée et animée par Henry Buzy-Cazaux, président de l’IMSI. Si, à ce jour, aucune étude d’impact ne permet de conclure précisément à l’efficacité du dispositif, la conseillère de Paris estime que l’encadrement des loyers n’est pas une mesure suffisante pour sortir les grandes métropoles d’une crise permanente du logement. Et le député Guillaume Vuilletet, vice-président du groupe LREM à l’Assemblée Nationale, d’ajouter : « Il y a une erreur qu’il ne faut pas faire de manière générale en matière de logement, c’est de penser qu’il y a un mot magique ».
S’appuyant sur les différents bilans de l’encadrement des loyers dressés par l’Observatoire des loyers de l’agglomération parisienne (OLAP), Jean Bosvieux, statisticien-économiste, a rappelé qu’entre 2015 et 2017, le taux de dépassement des plafonds dans les nouveaux baux signés n’avait diminué que de 5 points, passant de 26% à 21%. D’autre part, il a souligné qu’il faudra attendre la publication des premiers bilans d’activité des commissions de conciliation pour savoir si les locataires ont contesté ces dépassements.
L’encadrement des loyers n’aurait donc ni permis d’éviter la hausse des loyers, ni garanti aux locataires la conformité aux réglementations en vigueur des biens loués. Le dispositif aurait d’ailleurs engendré des effets pervers, constatés au plan national :
- une baisse de la mobilité résidentielle,
- un recours accru à la location touristique et saisonnière,
- un accroissement de la gestion directe par les bailleurs, au détriment des administrateurs de biens garants du respect de la législation (ce qui aurait pour conséquences de fausser les statistiques de l’observatoire des loyers : les propriétaires favorisant la fourchette haute du plafonnement ou se soustrayant purement et simplement à la législation du fait de la rareté des contrôles opérés sur les bailleurs privés),
- un retrait pur et simple des biens du marché de la location,
- une mutation vers le régime de la location meublée (certes plafonnée mais permettant la fixation de loyers plus élevés),
- un risque de désertion des investisseurs à la recherche d’un rendement stable et durable,
- un défaut d’entretien des biens.
Aux dires de l’ensemble des intervenants, le dispositif aurait ainsi contribué à renforcer le déficit du parc locatif. Le vrai problème n’est pas le prix du logement mais la rareté des produits.
Dans le Rhône, avec Olivier Dumas, administrateur de l’UNIS Lyon-Rhône, et Vincent Targe, secrétaire général de la FNAIM du Rhône, ou en Nouvelle-Aquitaine avec Camille Faloci, présidente du pôle UNIS Nouvelle Aquitaine, les inquiétudes sont les mêmes : le risque serait que les investisseurs ne puissent plus accéder aux logements situés en centre-ville et qu’ils soient obligés de se reporter en périphérie, alors que la demande vise la métropole.
. « Cela fait un moment que l’on tire la sonnette d’alarme (…), notamment sur le logement étudiant qui est un vrai sujet sur Bordeaux depuis un certain nombre d’années (…). On a un vrai problème de logement à Bordeaux de manière générale (…). Cet encadrement serait (…) une fausse bonne idée (…). On pense que, malheureusement, un certain nombre de propriétaires bailleurs vont peut-être chercher à vendre plutôt que de continuer à louer. (…) Les investisseurs sont déjà, même avant l’encadrement des loyers, tenté d’acheter sur ces communes (…) [situées] encore plus loin que Bègles parce qu’il y a une meilleure rentabilité. On ne va faire qu’appuyer (…) un comportement sur l’extérieur », a alerté Camille Faloci.
Dans les deux régions des initiatives seront prises pour contrer certains effets de bords du dispositif. À Bordeaux, Camille Faloci a évoqué la volonté des élus locaux de créer la Maison de l’habitat, qui aura pour mission d’accompagner les propriétaires bailleurs dans leurs demandes de subventions en vue de les inciter à rénover leurs biens. Après avoir rappelé que « les professionnels ne conseilleront, à aucun moment, à un de leur client de ne pas mettre sur le bail l’ancien loyer du locataire sortant » pour ne pas mettre en péril leurs cartes professionnelles, Olivier Dumas a précisé que la réponse retenue par les pouvoirs publics lyonnais, pour faire face aux possibles dérives de la gestion directe par les particuliers, était la mise en place d’une brigade de contrôles. Il a dénoncé le manque de moyens humains pour les mener à bien. En qualité de membre de la Commission départementale de conciliation des rapports locatifs du Rhône, Vincent Targe a aussi fait part de son scepticisme quant à l’efficacité de cette mesure : « quand la loi n’est pas respecté c’est à 95 % par des propriétaires qui gèrent en direct. (…) Pour l’encadrement des loyers, cela va être la même chose. (…). Le perdant (…) c’est le locataire parce qu’il paiera plus cher que le prix prévu par l’encadrement. Il aura un bail qui ne sera pas conforme. Il n’aura pas tous les diagnostiques (…) et, à la fin, son dépôt de garantie ne lui sera pas forcément restitué ».
Faut-il pour autant en conclure que l’encadrement des loyers serait une obstination coupable ?
Pour que le dispositif soit utile, le député Guillaume Vuilletet a préconisé un encadrement lié à d’autres mesures : « Il faudrait un encadrement des loyers qui permette d’avoir aussi une augmentation de l’offre (…). La véritable régulation des loyers, c’est quand il y a une offre supplémentaire sur un marché qui permet de faire baisser les prix ». C’est précisément la logique du dispositif Pinel, qui allie plafonnement et défiscalisation. L’objectif serait de drainer « une épargne privée qui soit sécurisée et/ou avec une rentabilité minimum ». Pour ce faire, l’intermédiation locative pourrait être encouragée, avec un système de garanties pour assurer les revenus des bailleurs, les informer et les accompagner dans la rénovation des logements « dans le respect de la rentabilité de leur investissement ». On retrouve là l’état d’esprit de la proposition de loi Nogal. Enfin, le député a évoqué le recours au mécanisme du démembrement de propriété pour encourager l’innovation dans l’investissement.
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