Le replay de la conférence
Les enjeux
Le marché des logements neufs comme existant connaît un ralentissement très fort depuis le deuxième trimestre de l’année. Plusieurs causes ont ajouté leurs effets : la guerre en Ukraine et le risque d’extension du conflit inquiètent les ménages français, plus encore que l’avait fait la pandémie ; l’inflation désolvabilise doublement les candidats à l’achat, en réduisant leur reste à vivre et en enchérissant le coût du crédit immobilier ; en outre, les critères du Haut conseil de stabilité financière et le taux d’usure constituent un cadre restrictif de distribution du crédit. Enfin, la transition environnementale et ses conséquences engendre une inquiétude, sinon un attentisme.
Dans le même temps, le prix des logements, notamment sur les territoires les plus attractifs, qui incluent désormais nombre de villes moyennes et de communes rurales, restent orientés à la hausse, malgré des signes d’accalmie.
Dans ce contexte complexe et dégradé, comment les Français peuvent-ils continuer à accéder à la propriété ou à investir ? Quelles solutions ? Quelle ingénierie financière ? Quelles mesures légales ou règlementaires faut-il prendre ? Quel impact sur les prix ?
Les regards croisés d’experts de la transaction et du crédit, mais aussi d’une élue spécialiste des politiques publiques du logement vont nous éclairer.
Les intervenants
Le débat est animé par Henry Buzy-Cazaux, président-fondateur de l’Institut du Management des Services Immobiliers, secrétaire général du Cercle. Avec :
- Charles de Courson, député de la Marne, membre de la Commission des finances de l’Assemblée nationale, conseiller référendaire honoraire à la Cour des comptes.
- Yann Jehanno, président de Laforêt Immobilier
- Cécile Roquelaure, porte-parole d’Empruntis
La synthèse
Marché de l’immobilier résidentiel : stop ou encore ?
Une nouvelle donne peu encline à répondre à la crise du logement
« Inflation, augmentation des taux de la BCE, augmentation du TEC10, taux d’usure… Nous sommes dans une année de transition avec un atterrissage dans le dur (…). On est passé, en ce début d’année, d’un taux moyen de 1% sur 20 ans (plancher historique) à, aujourd’hui, un taux moyen de 1,90 %. Certes, on est toujours à un taux inférieur à 2% mais cette différence de 0.9 constitue une problématique pour certains ménages qui sont obligés de mettre 10-15-20 000 euros d’apport pour financer les frais annexes. (…) En outre, les prix ont significativement augmenté (…). Ainsi, on a : un premier effet, celui d’une désolvabilisation des ménages liés à l’augmentation des taux, (…) qui vient rogner un peu de leur pouvoir d’achat ; et un second effet, à savoir la hausse retardée du taux d’usure, censé protéger les ménages, qui limite les banques dans l’exercice de leur profession d’octroi de crédits. Mais peut-on juger qu’un taux aux alentours de 2% est abusif ? », interpelle Cécile Roquelaure, porte-parole d’Empruntis. La courtière souligne qu’on assiste à un décalage de vision de 3 à 6 mois entre les différents acteurs : les courtiers, en amont, estiment la capacité d’emprunt ; les banques regardent surtout le décaissement et la Banque de France examine aussi, mais en fin de parcours, le décaissement. Si elle se dit favorable au maintien du taux d’usure pour protéger le consommateur contre lui-même, elle aspire à ce qu’en période de crise, les acteurs du financement immobilier puissent bénéficier d’un peu d’agilité : « Pour rappel, le taux d’usure c’est le taux de crédit plus l’assurance auxquels viennent s’ajouter les frais annexes obligatoires. (…) A ce jour, ce package ne rentre plus dans le taux plafond d’usure. Nous avons besoin de souplesse pour continuer à financer l’achat immobilier et répondre à la problématique du logement. Soulignons que l’indice des loyers, lui, peut augmenter de 3,5 % par an alors qu’en empruntant, la mensualité du ménage, elle, est préservée ». Conséquence, selon les régions et la dynamique du marché, le taux de refus de prêt serait de 5 à 10 %. « Un taux normal de refus devrait être proche de 0. (…) Une banque n’a aucun intérêt à pratiquer des taux qui ne permettent pas le financement, sauf dans les hypothèses où l’emprunteur a plus de 50 ans (qui soulève le problème de l’assurance emprunteur) ou lorsque la durée du prêt va au-delà de 25 ans. Dans ces cas-là, on a des taux avec une prise de risque et un malus au risque qui est plus important et qui vient grignoter le taux d’usure », précise Céline Roquelaure. Mis bout à bout, ces facteurs ont pour effet de perturber la chaîne immobilière, qui avait connu une période glorieuse de rattrapage post-Covid, et de modifier le profil des acquéreurs.
Un tournant pour les professionnels de l’immobilier et les acquéreurs
Depuis 6 mois, force est de constater que les agents immobiliers sont revenus à des approches plus classiques pour appréhender le marché et maintenir un certain niveau de transactions. L’automaticité de l’octroi du financement n’étant plus assurée, professionnels de l’immobilier et acquéreurs doivent de nouveau tenir compte des étapes de validation des projets immobiliers imposées par les établissements bancaires et présenter un dossier « bankable ». « Cela nous permet d’avoir un taux de casse qui ne progresse que légèrement. Cela signifie que l’on fait un tri sur les candidats à l’acquisition. On leur propose soit de reconfigurer la taille de leur logement s’ils veulent rester sur le même territoire ; soit de reculer de quelques kilomètres ; soit de décaler leur projet de quelques mois. Cela concerne, notamment, les jeunes actifs de moins de 35 ans et les ménages les plus modestes », décrit Yann Jehanno, président de Laforêt Immobilier. Ce dernier constate aussi le retour de la négociation et l’allongement des délais de vente. Il révèle un retrait des transactions de son réseau de 2,7% par rapport à 2021, une chute de l’offre et une diminution des intentions d’achat sur les 8 premiers mois de l’année 2022 par rapport à la même période en 2021 (3% d’acquéreurs au lieu de 20 % en moyenne) : « on voit que certainement une partie des acquéreurs s’autocensurent ou délaissent l’immobilier (dont l’investissement locatif). (…) Ce qui est intéressant c’est de regarder la répartition du marché selon les populations (…) : pendant plusieurs années il a été tenu par les primo-accédants qui profitaient des prix compétitifs, de taux d’intérêt à des niveaux bas et de banques moins regardantes (…). Aujourd’hui ce sont les secondo-accédants qui dominent, ceux qui ont déjà un patrimoine et qui vont le revendre pour réaliser une autre opération immobilière. Pour ces derniers, le sujet du financement n’existe pas. » De ce fait, Yann Jehanno alerte : « Si on ne peut plus accéder à la propriété il va falloir que l’on puisse accéder au parc locatif et là, c’est un autre sujet ! » En effet, du côté du marché de l’investissement locatif, le président de Laforêt Immobilier parle de « catastrophe » : « traditionnellement, on réalisait 20 à 25% de transactions à destination locative chaque année. A la fin du 1er semestre de l’année, on était à 21% du volume de transactions. À ce jour, on est en train de descendre allègrement vers les 15% ». Ce bas niveau lui rappelle la période où Cécile Duflot, alors ministre du Logement, avait annoncé la perspective de l’encadrement des loyers qui avait eu pour effet de créer un retrait pur et simple de nombreux investisseurs.
Se pose alors la question de savoir qui peut encore espérer demain se voir accorder le financement de son projet immobilier quel qu’il soit (acquisition d’un logement principal ou investissement locatif). Une baisse des prix du logement peut-elle venir resolvabiliser les ménages ? « Nous, les professionnels de l’immobilier, nous souhaiterions que les prix s’assagissent pour redonner au marché sa fluidité. (…) Quand aura-t-on épuisé le réservoir de celles et ceux qui peuvent encore acheter et qui peuvent passer dans le cadre du financement ? », interroge Yann Jehanno, qui souligne, au passage, l’impact que devrait avoir la rénovation énergétique, même si le durcissement envers les logements F et G n’aura que peu d’effet sur les prix : « c’est l’économie de marché qui reprend le dessus. (…) Il n’y aura pas de baisse des prix parce qu’il n’y a rien à vendre dans certains territoires. »
Un risque financier maîtrisé par les banques
La hausse des prix n’est pas l’unique frein au financement des projets immobiliers. Malgré la décorrélation opérée entre le crédit et l’assurance emprunteur, la faculté de résiliation du contrat d’assurance en cours (à tout moment depuis le 1er septembre 2022) et la suppression du questionnaire de santé (pour un âge de fin de prêt inférieur à 60 ans et un crédit assuré de 200 000 €), les établissements bancaires ont su trouver d’autres solutions de contournement pour maîtriser leur risque. « Cela a créé une réaction qui est, a minima, l’augmentation des tarifs pour les assurances individuelles de 15 à 30% en fonction des acteurs et la sortie de certains assureurs qui, ne pouvant plus maîtriser leur risque, ont supprimé toute possibilité d’assurance pour les gens qui rentrent le cas du “ sans questionnaire médical” », expose Céline Roquelaure.
La porte-parole d’Empruntis dénonce aussi le blocage du financement de la rénovation énergétique « il y a une logique très simple dans l’estimation que va faire la banque de son risque. (…). On va prendre 2 exemples. Je suis un ménage modeste qui n’est pas très loin du 35% de taux d’endettement (exigences HCSF) avec peu d’épargne disponible : je n’ai aucune chance de pouvoir rénover énergétiquement mon bien car le financement sera refusé. Maintenant je suis un ménage qui a des revenus très conséquents et qui a de l’épargne disponible ou de la capacité d’emprunt pour faire cette rénovation énergétique : la banque se projette dans la situation et accorde le crédit. »
En outre, face à l’explosion du prix des énergies et la difficulté des ménages à régler leurs factures, « les banques commencent à prendre ce critère en considération. (…), tout comme celui de l’éloignement. (…) Une première banque a augmenté son exigence de reste à vivre en raison du coût de l’énergie en expliquant, qu’effectivement, on avait une inflation des besoins du ménage et qu’il fallait donc prendre un peu plus de marge de manœuvre », décrit Céline Roquelaure.
Si les banques réclament davantage de provisions sur le risque de crédit immobilier, fort heureusement courtiers et professionnels de l’immobilier travaillent en équipe pour trouver des solutions innovantes et adaptées pour répondre aux besoins des futurs acquéreurs. « La stratégie de vente, la définition du prix vont devenir des sujets de plus en plus cruciaux. C’est également une réelle opportunité pour les professionnels de l’immobilier », relève Yann Jehanno.
A quand une cohérence dans les politiques publiques en matière de logement ?
Pour Charles De Courson, député de la Marne, membre de la commission des finances de l’Assemblée nationale, conseiller référendaire honoraire à la Cour des comptes, la France devrait avoir 400 politiques du logement et non une seule. L’élu se veut très critique par rapport aux différentes actions menées par le gouvernement tant sur le plan monétaire qu’urbanistique ou environnemental. Il dénonce l’absence de cohérence des politiques à l’égard du logement, au fait qu’elles permettent d’aboutir exactement à l’inverse de ce que l’on prétend vouloir atteindre : « on voit des politiques monétaires qui croient que l’on va briser l’inflation en augmentant les taux d’intérêt et en freinant la distribution du crédit (…). Or, ce que l’on ne dit pas assez c’est que l’évolution du prix des logements, même si elle est extrêmement diversifiée en France, est beaucoup plus rapide que celle des revenus des ménages. (…) Les revenus des ménages parisiens ne sont pas dix fois supérieurs aux autres, alors que les prix immobiliers de la capitale sont dix fois supérieurs à ce qu’ils sont dans beaucoup de villes moyennes. Donc on voit bien que l’on a une crise qui se concentre sur les grandes zones urbaines où les prix ont fortement augmenté. (…) Et pour faire baisser les prix, il faut plutôt augmenter l’offre que la réduire (…). Autre problème : la folie de l’évolution du droit de l’urbanisme. (…) Le fait de densifier les villes et geler les zones rurales a conduit à l’explosion du prix du foncier. Et pour beaucoup de promoteurs, tant publics que privés, il est de plus en plus difficile de trouver des terrains constructibles. (…) En outre, en imposant la RE 2020, ce sont entre 10-13% de surcoût qui viennent complexifier le problème du taux d’usure. (…) Un taux d’usure à 2,57, cela fait rigoler n’importe quel économiste. (…) Je crois qu’il faudra plus fortement le remonter. (…) Il me semblerait qu’à 4 5% cela serait raisonnable. » En ce qui concerne la politique fiscale appliquée, le député dénonce le fait qu’avec un taux de rendement de l’ordre de 4 % (3-3,5 % en région parisienne) et le récent plafonnement de la hausse des loyers à 3,5 %, les propriétaires bailleurs auraient plus à gagner en investissant en Bourse. Pour autant, le parlementaire plaide en faveur d’un maintien des droits de mutation à leur niveau actuel, même s’il ne nie pas que le taux est lourd. « On a le taux de transaction le plus élevé de tous les pays développés. (…) Pour les communes, et davantage pour les départements, ces recettes sont un élément essentiel. Le fait que le marché immobilier fonctionnait très bien a énormément facilité leur gestion. C’est un impôt discret et (…) l’idéal serait de le réduire mais, à ce moment-là, il faudra songer à compenser. » Favorable au maintien de la taxe d’habitation, Charles De Courson avait fait une proposition pour maintenir le lien entre les citoyens contribuables et les citoyens électeurs. Il souhaitait que les propriétaires bailleurs puissent répercuter la hausse des taux de l’impôt : « quand on augmente le taux, on donne le droit de répercuter le différentiel (…) Peu de gens demandent que les propriétaires bailleurs puissent répercuter l’augmentation du foncier bâti ». Quant à la révision des bases cadastrales, le député appelle au changement : « le vrai problème est de considérer que la valeur locative cadastrale est un élément de richesse de la personne que l’on taxe. Ce n’est absolument pas la situation. Je pense qu’une vraie réflexion doit avoir lieu parce que penser que la valeur locative est plus juste que le revenu pour les ménages c’est absolument faux ». Pour conclure, et dans l’optique d’établir une politique de l’immobilier cohérente, Charles De Courson préconise d’accroître l’offre de logement : « il faut augmenter, à population constante, de 1% le parc. (…) Pour ce faire, il faut faciliter l’investissement des propriétaires bailleurs car on a besoin d’eux. La création de logements sociaux ne va pas résoudre le problème du logement en France : c’est une totale illusion ; c’est une toute petite partie du marché ».
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