Regardez le débat en replay !
Les enjeux
Les chiffres sont sans appel et tous les indicateurs de la promotion privée sont au rouge. Les achats par les ménages sont en retrait de 30%, les annulations après réservations sont historiquement importantes. Les mises en chantier pour renouveler l’offre connaissent aussi un recul marqué, comme les demandes de permis de construire, annonçant des lendemains difficiles et une production insuffisante.
Aux causes structurelles, liées à l’indisponibilité foncière, aux normes ou encore au malthusianisme de beaucoup d’élus, sont venues s’ajouter des causes conjoncturelles, découlant de l’inflation, avec une explosion des coûts de construction. Les acquéreurs quant à eux sont désolvabilisés et leur accès au crédit s’est fermé.
Les conséquences sont de deux ordres: des ménages qui ne peuvent réaliser leur projet logement et un secteur d’activité clé fragilisé, promoteurs et entreprises en bâtiment sous-traitantes.
Quel diagnostic? Quelles solutions, d’urgence et relevant de la politique de long terme? Des responsables professionnels et politique analysent et proposent.
Les intervenants
Le débat est animé par Henry Buzy-Cazaux, président-fondateur de l’Institut du Management des Services Immobiliers, secrétaire général du Cercle. Avec :
- Norbert Fanchon, président du groupe Gambetta
- Sandra Marsaud, députée de la Charente, géographe, urbaniste
- Catherine Sabbah, co-animatrice du Conseil national de la refondation logement, déléguée générale de l’Institut des hautes études pour l’action dans le logement
- Christian Terrassoux, président délégué de la Fédération des promoteurs immobiliers de France
La synthèse
Des problèmes en cascade
Changements politiques, PLU non appliqués, crise COVID, coûts de construction, financements refusés … c’est une concentration de problématiques qui vient perturber le marché de la construction de logements collectifs neufs. « Cela fait des années qu’on tire la sonnette d’alarme que l’on va avoir un problème de production de logement. (…) Mais des âmes bien pensantes à Bercy ont estimé qu’il y a suffisamment de logements. Certes, il y a des logements mais certains ne seront jamais habités parce qu’ils sont situés dans des endroits où il n’y a pas de densité, pas de demande. D’autres sortent du marché de l’offre du fait de leur mauvais classement à la suite d’un DPE. Ils doivent être rénovés mais leurs propriétaires ne disposent pas des fonds nécessaires », dénonce Christian Terrassoux, président délégué de la Fédération des promoteurs immobiliers de France. Ce dernier relève qu’avec l’augmentation des taux d’intérêt et le frein mis aux prêts en raison du retard d’ajustement du taux d’usure, les désistements ont mis à mal la production de logements collectifs neufs : « on a vendu 122 000 logements, soit moins qu’en 2020, année au cours de laquelle 170 000-180 000 logements ont été vendus. Le problème est que si on vend moins de logements, on fait aussi moins de logements sociaux ». Pour le président de la FPI France, une pause normative s’impose : « On en met des couches sans mesurer les impacts. Il va falloir coordonner (…) et contraindre les élus à respecter les accords. (…) Il va falloir passer à une politique de production au niveau local-régional mais cela n’empêchera pas qu’aujourd’hui, on a un problème de prix de revient de la construction du logement. Le coût des travaux a augmenté et l’argent devient cher : on ne peut plus emprunter à 1 %, c’est plutôt du 4-5 %. Ainsi, une personne, avec la même capacité d’emprunt, perd pratiquement une pièce, soit 20% de son budget ». Norbert Fanchon, président du groupe Gambetta, confirme cet état de fait et fustige la brutalité des taux : « on a un taux euribor qui sert de base au taux de crédits consentis aux ménages pour nous financer. Ils sont négatifs en août puis à 3% sept mois après : c’est + 300% (…), c’est du jamais vu dans l’histoire ».
De la nécessité de reconquérir autrement les territoires
Pour Sandra Marsaud, députée de la Charente : « Il y a un manque de vision. Il faut croiser la question du logement avec la question de l’aménagement du territoire français. (…) On ne considère pas le territoire national avec toute sa diversité. On s’attache beaucoup trop aux secteurs en tension. (…) Or, en France, (…) on a la fameuse diagonale du vide où il n’y a ni assez de logements sociaux, ni assez de logements pour répondre aux besoins des gens. (…) C’est le moment de relancer ou de lancer le logement autrement. Il faut regarder la capacité des villes : petites, moyennes, toutes petites, même les grandes. Il faut refaire de la ville sur la ville. (…) Le ZAN (zéro artificialisation nette), c’est de la compensation, un modèle qui n’existe pas : il est à horizon 2050. (…) Actuellement le Sénat propose la création d’une conférence régionale pour le ZAN (une gouvernance régionale) pour permettre aux élus de tous les échelons (locaux, régionaux et départementaux) de s’entendre sur la stratégie de répartition des surfaces constructibles. (…) Il existe déjà des outils comme la conférence territoriale de l’action publique (CCAP) et, à l’Assemblée, on ne souhaite pas revenir sur la consommation des espaces. (…) On raisonne encore en étalement urbain et en réduction ; or, il faut réfléchir au nouveau modèle. (…) ».
Pour repenser l’aménagement du territoire, « renouveler la ville sur la ville », l’ancienne géographe et urbaniste donne l’exemple du projet de recherche & développement BIMBY (Build In My BackYard ou construire dans mon jardin) – porté par David Miet et Benoit Le Foll – qui permet de densifier l’habitat urbain au cœur des villes. Mais la député appelle surtout les professionnels de l’immobilier et les promoteurs à participer à la définition stratégique de cette reconquête : « Je lance un appel à ce que vous soyez dans les comités de pilotage de vos villes, de vos régions, de vos cœurs de ville : il faut que vous tapiez à la porte, que vous y alliez ». Toutefois Sandra Marsaud avoue : « la réindustrialisation ne produira malheureusement peut-être pas ses effets tout de suite. (…) il faut d’abord revoir les infrastructures de l’aménagement du territoire de manière macro pour qu’après des choses se passent. (…) Certes, ce qu’il reste à faire en termes d’aménagement c’est le plus difficile : on a étalé pendant 40 ans… mais je pense qu’il y a de belles actions à faire quand même ».
Norbert Fanchon temporise et rappelle que si les professionnels se sont bien emparés de l’innovation (NDLR : ils œuvrent à construire, notamment, avec des matériaux biosourcés), le problème vient du surcoût engendré par ces nouvelles technologies : « Pour compenser ce surcoût, il faut que le foncier soit aidé par la collectivité. On est capable de faire cela quand il y a un aménageur public, pas sur un terrain privé. En outre, construire au fond de son jardin, veut dire construire en face du jardin de quelqu’un d’autre, ce qui risque de bloquer sur le plan de la politique locale. Donc on va avoir besoin d’une parole politique, d’un courage politique : est-ce qu’on veut construire en France des logements neufs ? Dans l’affirmative, on trouvera des solutions. Mais je commence à être convaincu qu’une partie de l’administration française ne le veut pas. Sous le sceau de l’exemplarité environnementale, on bloque toutes les initiatives de bâtir (…) On aura cramé notre économie et notre société alors que les autres pays continueront à utiliser de l’empreinte carbone sans aucune retenue ».
Des pistes pour « Réconcilier la France avec la production de logement nouveaux »
Pour résoudre le hiatus entre élus – qui ne souhaitent plus construire, ou peu – et promoteurs – qui sont, par la force des choses, bloqués pour réaliser leurs programmes (y. c. de logements sociaux) –, le groupe 2 du Conseil national de la refondation (CNR) pour le logement « Réconcilier la France avec la production de logement nouveaux » (NDRL : la production couvrant la construction, la rénovation et la réhabilitation), copiloté par l’ancien parlementaire Mickaël Nogal et Catherine Sabbah, déléguée générale de l’Institut des hautes études pour l’action dans le logement, a formulé dix-neuf propositions.
« Les gens s’opposent à l’arrivée de nouveaux logements car ils s’opposent assez facilement à ce à quoi ils n’ont pas droit. Le logement privé est trop cher, le logement social (…) est réservé à des personnes prioritaires (…) C’est un peu égoïste, cela peut prendre pour prétexte l’écologie mais, moi, j’appelle cela plutôt ”l’égologie”. (…) C’est pourquoi nous avons proposé d’encourager les maires ”engagés” (plus ”bâtisseurs”) qui construisent et remettent sur le marché des logements vétustes dans un certain délai en leur accordant un bonus, une aide qui reste à définir et serait attribuée au-delà d’un nombre de logements supplémentaires », décrit Catherine Sabbah.
En parallèle de cette mesure qui pourrait être mise en place dans le cadre de la prochaine loi de finances, figurent d’autres propositions sur le long terme dont celle d’encadrer les prix du foncier pour lutter contre une constante augmentation : « Il n’y a pas de consensus général sur ce sujet mais une sorte d’acceptation. Mais (…) si on avait des prix de marché de logements anciens plus raisonnables, on aurait aussi des prix de logements neufs plus raisonnables et il en serait de même pour les prix de foncier. C’est vraiment circulaire et c’est compliqué à dénouer mais il y a des pistes », précise la copilote du groupe de travail, qui estime aussi que l’on assiste à un essoufflement du modèle de financement. Pour Norbert Fanchon, cette mesure est anticonstitutionnelle et ne sera effective que d’ici 5-10 ans : « la proposition ne semble pas correspondre à l’esprit français de la propriété de la terre qui me paraît ancré en nous, même si le bail réel solidaire (BRS) est une disposition qui va avancer dans le temps. Mais le sujet (…) est : qu’est-ce qu’on fait aujourd’hui ? On est à moins de 100 000 maisons individuelles, moins de 90 000 logements collectifs, 70 000 logements sociaux. On va être autour de 250 000 logements neufs par an. (…) On est en train de tuer toute une filière et ce sont tous les emplois dans le bâtiment qui sont concernés et tous les Français qui ont des besoins de logement. (…) Avec les élections municipales et présidentielles à venir, si le gouvernement ne réagit pas, on va être 5 ans dans le tunnel ».
Autres propositions du CNR : un nouvel outil pour mieux évaluer la demande et la possibilité de pouvoir réaliser des PLU en 3D : « Le PLU pourrait être élaboré en commun car lorsque l’on a participé à l’élaboration de la définition d’une planification, on a un peu plus de mal à s’y opposer. (…) En outre, cette représentation en 3D permettrait aux élus de se projeter ; aux habitants qui sont déjà là, de savoir ce qui va se passer devant chez eux ; à ceux qui arrivent, de se rendre compte que, dans 3 ans, il y aura un autre immeuble à côté de chez eux et qu’ils ne pourront pas s’y opposer. Cela permettra aux élus d’avoir une communication un peu plus apaisée », expose Catherine Sabbah.
Des mesures urgentes à mettre en œuvre : les attentes des promoteurs
Outre la pause attendue concernant l’application de la loi « Climat & résilience », Norbert Fanchon souhaite, tout d’abord, la prolongation, au-delà du 31 décembre 2023, du PTZ (prêt à taux zéro) : « Il faut redonner du pouvoir d’achat aux Français et étendre le PTZ en termes de zonage ».
Le promoteur sollicite, ensuite, une action sur le Livret A, dont les dépôts servent à financer les construction HLM : « Si le livret A à passe à 3,7 %, il ne va pas rester beaucoup de bailleurs sociaux capables d’acheter des logements, tout comme il ne va pas rester beaucoup de bailleurs sociaux capables de rénover. Pour mémoire, un point de livret c’est 30 % du pouvoir économique des bailleurs sociaux. Donc quand on passe d’un à trois, cela a des vraies conséquences sur le Livret A ».
Enfin, Norbert Fanchon propose, en cas d’échec de la mise en œuvre du statut du bailleur privé, la création d’un Pinel institutionnel : « Bercy semble avoir une préférence pour les investisseurs institutionnels au détriment des investisseurs particuliers. De ce fait, si on ne fait rien pour aider les institutionnels et les investisseurs en général, on va avoir un marché qui va se retrouver autour de 250 000 logement, ce qui n’est bon pour personne ». Christian Terrassoux rappelle que le secteur ne peut pas se priver des 40 % d’individuels qui investissent dans la production de logement. En outre, il souligne que les investisseurs institutionnels disparaissent à la vitesse où le taux de l’argent monte : « Il leur faut un rendement et aujourd’hui ils vont ailleurs. (…) Or, on a besoin de tout le monde ». Et Norbert Fanchon de compléter : « On a, en France, une machine à faire du crédit immobilier formidable et le génie français c’est qu’on va réguler tout cela car, dans l’idée de la Banque de France, la crise va venir de l’immobilier. Donc, pour que cette idéologie soit autoréalisatrice, on va mettre une contrainte : on va bloquer l’accès de l’immobilier aux gens. Or, les Français s’enrichissent par l’immobilier. Ne pas faire le lien entre retraite-propriétaire-immobilier-crédit n’est pas audible. Il faut un peu de b. a.-ba, descendre à un niveau plus concret pour aider les Français qui ont besoin d’un logement ! »
Comments are closed.