La synthèse
Disposer d’un logement reste la première préoccupation des Français. Quand bien même ces derniers auraient envie de se lancer dans l’achat d’un bien immobilier et réduiraient leurs prétentions en termes de confort au strict minimum, peuvent-ils encore accéder à la propriété ? Le 28 avril 2023, au cours d’une interview accordée à BFM Business sur l’action du gouvernement en faveur du secteur immobilier, Olivier Klein, ministre de la Ville et du Logement, a déclaré : « il y a une crise, on ne la découvre pas depuis cette semaine. Depuis le mois de novembre, je parle de cette crise du logement, je parle de bombe sociale » (NDRL : le ministre a repris l’expression employée par Emmanuelle Cosse, présidente de l’Union sociale pour l’habitat pour dénoncer la crise dans le secteur social). Pour Hervé Lefèbvre, président de MegAgence : « On n’est pas au-devant d’une bombe sociale, on est à la veille d’un crime social : on va mettre des gens, pour un temps important, dans une situation de précarité (…) ; on n’est pas dans une situation d’urgence mais dans une situation de réanimation ». Mais comment expliquer cet état de fait ?
La paralysie bancaire
Malgré les alertes lancées dès la fin du printemps dernier, le taux d’usure a fait ses premières victimes à l’automne 2022, les banques ne pouvant plus légalement prêter au-delà d’un plafond fixé par la Banque de France : « On s’est heurté aux pouvoirs publics qui défendaient leurs statistiques, (…) des chiffres qui n’étaient pas en lien avec l’activité du moment (…) puisqu’il y a un décalage entre la production et la réalité (…). On est passé, un an plus tard, de 20 à 14 milliards de financement par mois. Même si les Français ont envie d’acheter, nous nous devons, en amont, de faire le filtre. Neuf clients sur dix ont recours à un financement pour l’achat d’un bien immobilier, il est donc inutile de leur faire signer un compromis si on sait que le dossier ne passera pas. La mensualisation du taux d’usure a apporté une bouffée d’oxygène aux banques pour pouvoir accorder des prêts malgré le fait que l’on soit dans une phase de remontée des taux. Depuis quelques semaines, si on prend l’indice de référence OAT 10 ans, on constate une stabilisation », expose Éric Junger, directeur général de Créditexpert qui estime que les conditions d’octroi de crédits définis par le Haut conseil de stabilité financière (35% de taux d’effort avec 20% de dérogation) ont privé les banques de leur libre-arbitre, puisqu’elles n’osent pas user de leur faculté à déroger à ces règles.
Concernant l’octroi des prêts-relais, les banques disposeraient d’une marge de manœuvre de 60 à 70 % par rapport au prix de vente estimé : « Pour un crédit de 200 000 euros, la banque va retenir un prix de vente attendu de l’ordre de 140 000 euros. Les banques sont prudentes. Elles sont attentives aux qualités du bien, à sa localisation. (…) Pour autant, le crédit-relais peut encore être accordé. Ce sont ceux qui l’ont contracté il y a 6-8 mois qui risquent d’avoir peut-être un problème car ils se seront projetés sur un nouveau projet, persuadés de vendre leur bien au prix indiqué lors de la mise en vente. (…) On a une diminution du nombre de demandes de prêt relais, d’une part, parce que le marché est un peu plus chahuté et, d’autre part, du fait que les personnes qui ont eu un taux bas s’interrogent face à l’annonce d’un nouveau taux un peu plus élevé », alerte Éric Junger.
La sous-performance des professionnels
Côté vente, Hervé Lefèbvre pose, pour son réseau, un premier bilan : « Sur le premier semestre, nous serons à peu près à – 10 en volume, ce qui n’est pas représentatif du secteur, tout dépend de la structure. (…) Nos collaborateurs n’ont pas mal travaillé : ils ont surperformé dans ce marché tel qu’il est. (…) Par le passé, il est vrai que nous avions des progressions à deux chiffres (des + 20 à 30%) ». Si le président de MegAgence n’a aucune difficulté à annoncer des résultats négatifs, il souligne la réticence de certains professionnels à adopter une telle transparence, ce qui peut fausser les données au plan national de la filière. « Il est évident que la situation sera plus difficile à surmonter pour une agence immobilière, qui a une marge opérationnelle en fin de l’année relativement faible. (…) C’est une catastrophe économique qui arrive. (…) L’État va perdre les milliards d’euros investis, lors de la crise sanitaire, pour sauvegarder les entreprises et les emplois dans le bâtiment ».
Sans remettre en cause les problèmes sociaux et économiques ainsi décrits, Vanessa Benedic, directrice générale d’Homeloop et membre du groupe d’actionnaires Benedic, souhaite relativiser la situation du secteur : « Sur les dix dernières années, le marché a pris entre 20 et 30%. Nous sommes passés de 700 000-800 000 à plus d’1 200 000 transactions. (…) Cela faisait donc des années que nous étions en période d’hyper croissance, où effectivement nous faisions des +15, +20, +25 année après année. (…) Voilà cela vient de s’arrêter. Aujourd’hui, il y a deux solutions. Soit les vendeurs comprennent que les prix sont en train de baisser, et peut-être que le marché va doucement reprendre. On fera moins de transactions, mais on va continuer à en faire. Soit on va, effectivement, devant de gros problèmes car le vendeur ne veut pas baisser son prix et, auquel cas, le marché sera complètement crispé ». La start-up (qui achète des biens directement aux vendeurs sans aucune condition suspensive d’obtention de crédits et sans délai de rétractation) aurait perdu un tiers de ses acquéreurs depuis le début de l’année : « (…) On anticipe une baisse mais (…) je constate qu’il y a plusieurs marchés dans le marché : sur les villes comme Nantes ou celles situées dans le Sud-Est de la France, on a encore de l’activité. Dans certaines régions, comme Paris, il ne se passe plus grand-chose. (…) En outre, hormis les passoires thermiques que l’on achète pour les rénover, ce qui se vend ce sont les produits “zéro défaut” », relève Vanessa Benedic.
L’investisseur immobilier bashing
Hervé Lefèbvre dénonce que, depuis 10 ans, la politique gouvernementale laisse à penser, à tort, que le propriétaire est, par nature, un nanti et que la France est un paradis pour les investisseurs immobiliers : « Le prix moyen de vente en France est de 200 000 euros (…) et le rendement actuel imposable de 4-5 %, n’intéresse plus l’investisseur fortuné puisqu’il peut avoir le même rendement avec une flat tax, voire plus. Toutefois on va continuer à avoir le nouvel investisseur qui a besoin de faire un placement en ayant recours au crédit pour se constituer, par exemple, un complément de retraite. Mais il va se trouver confronté à l’absence de logement louable, de logement ayant un bon DPE. » Vanessa Benedic confirme que beaucoup d’investisseurs vendent parce qu’ils ne veulent pas procéder à la mise aux normes environnementales de leurs biens. Le groupe Benedic aurait perdu 20-30 % d’investisseurs : « Curieusement on a encore d’importants investisseurs, ceux qui veulent se constituer du beau patrimoine et qui ont un budget d’1 000 000 d’euros environ ». Éric Junger fait valoir que la catégorie des investisseurs qui souhaitent se constituer une retraite a été effectivement balayée du fait de ne pas pouvoir dépasser les 35% d’endettement : « dès lors que vous avez acheté votre résidence principale à un prix qui a fortement augmenté au cours de ces dernières années, vous avez moins de marge de manœuvre pour acquérir un bien immobilier supplémentaire et faire du locatif ». Et Hervé Lefèbvre de poursuivre : « Ceux que l’on a perdu le plus, ce sont les primo- accédants qui, à quelques dizaines ou centaines d’euros mensuelles, n’ont pas obtenu leur prêt sur 30 ans du fait de la durée maximum de crédit fixée à 25 ans pour l’ancien (…) ». Concernant la possibilité d’obtenir une période plus longue de crédit, Éric Junger temporise : « Une banque connaît son client et, techniquement, elle préfèrera peut-être qu’un client règle 50 euros de plus tous les mois plutôt de prendre 5 000 euros d’intérêts ». Avec la crise, côté courtiers, la part de la clientèle d’investisseurs dans l’ancien serait passée de 30 à 10 %.
L’incertaine réponse politique
« À la question de savoir quelles sont les intentions du gouvernement face à cette crise multipolaire… nous n’avons aucun élément de réponse, aucun élément rassurant. Et j’ai même envie de dire que les paroles récentes du président Macron (NDLR : ce dernier s’est exprimé au cours d’une interview accordée au magazine Challenges sur le sujet de la crise du logement) et le report au 5 juin (NDRL : au lieu du 9 mai) de la remise des conclusion du Conseil national de la refondation sur le volet logement constituent quelque chose de grave. (…) Cela veut dire que nous sommes peut-être entendus mais pas du tout écoutés. (…) On n’arrête pas de mettre sur la table le sujet de l’immobilier (NDRL : des propositions de loi sont proposées pour répondre au mal-logement, à la nécessité de construire de nouveaux logements y compris sociaux, à l’obligation de rénover les logements anciens énergivores ou, encore, pour permettre un assouplissement de la loi Zéro Artificialisation Nette – ZAN). C’est relayé, partagé et trans-partisan. (…) Et les maires d’aujourd’hui veulent construire parce que c’est la préoccupation première de leurs habitants », clame Amel Gacquerre, sénatrice du Pas-de-Calais et conseillère régionale des Hauts-de-France. Cette dernière salue la méthode retenue par les cinq fédérations immobilières d’interpeler le gouvernement d’une seule voix pour dénoncer le rétrécissement du marché (un repli estimé à 30-40 %), la baisse des ressources fiscales et la crainte de la destruction d’emplois (100 000 emplois devraient disparaître dans les 20 prochaines années) : « je ne doute pas de la prise de conscience de notre Président et de son gouvernement, des conséquences en matière de recette fiscales. (…) Mais je ne suis pas sûre que de mettre sur la table tous ces éléments-là vont lui faire changer de braquet car on sait, aujourd’hui, que sur pas mal de politiques, Bercy est aux commandes, et que ces données ne sont pas sous-estimées. En tout cas, cette voix collective et les conséquences au niveau social et sociétal peuvent faire en sorte que nous soyons davantage écoutés ». La sénatrice appelle l’autorité publique à intervenir : « Aujourd’hui l’industrialisation, le développement des entreprises sur les territoires sont bloqués par la question du logement. (…) L’autorégulation ne sera pas suffisante en tout cas dans le contexte dans lequel on est et il y a besoin en tout cas d’agir publiquement. (…) Il ne faut pas se tromper et essayer de pointer du doigt des coupables (élus, investisseurs, etc.). (…) Il faut chercher à conduire une politique globale dans laquelle on pourrait remettre sur la table la politique dans son entièreté ».
Les mesures déjà prises et celles attendues par les professionnels
Faute d’action du côté du gouvernement, certains professionnels prennent des initiatives : « Chez Homeloop, on a pris le parti de redonner du pouvoir d’achat à nos clients. Spontanément, et pendant une période de 6 mois, on baisse de 5% le prix de vente envisagé de tous nos biens. On constate une réponse immédiate. Cela permet de débloquer des ventes et de faire tourner les stocks plus rapidement. Certes on n’arrive pas à compenser la hausse des taux mais sur certains montants, ces 5% peuvent représenter une somme importante », expose Vanessa Benedic.
À cet effet, Hervé Lefebvre rappelle l’obligation faite à tout professionnel de son réseau de bien conseiller son client vendeur en rapprochant ses prétentions de prix de celles de l’acheteur tout en tenant compte de la réalité du marché : « C’est d’abord l’ADN de notre métier de savoir correctement évaluer un bien et, ensuite, de rapprocher les deux volontés. (…) En outre, l’agent immobilier agit en facilitateur. Immanquablement, il ne reste pas sourd aux besoins acheteur-vendeur et en tient compte pour fixer la part de ses honoraires, qui est aujourd’hui de 5% avec 20 % de TVA. (…) Mais, quand bien même, on baisserait de 500 euros par transaction les honoraires, cela ne règlera pas le problème ». Aussi le dirigeant de réseau est-il dans l’attente de l’adoption de mesures simples, plus ou moins onéreuses pour l’Etat : passer de 20 à 25 % le critère maximum du taux d’endettement ; neutraliser la loi ZAN qui limite le volume de nouvelles constructions et, par voie de conséquence, ne permet pas d’augmentation le parc immobilier ; assouplir certaines contraintes réglementaires comme le DPE ou la CSG-CRDS. « Au bout de 20 ans, aujourd’hui, les trois-quarts de la CSG-CRDS ne sont toujours pas amortis. (…) Une mesure simple qui, en revanche, coûte de l’argent serait de libérer un volume de biens à la vente, ce qui constituait un levier ». Quant au projet de mettre un terme à l’exonération de plus-value réalisée en cas de cession de la résidence principale, il le rejette : « On a déjà vécu ce type de changement au niveau de la plus-value : lorsque le taux a été baissé, il y a eu un appel d’air mais lorsqu’il est remonté, il y a eu un moment de blocage ».
Sans surprise, pour Éric Junger, une mesure relative au taux d’effort doit être prise : « Il faudrait envisager d’avoir une marge de manœuvre un peu plus importante à partir d’un certain niveau de revenu et travailler davantage sur le reste à vivre. (…) Les charges fixes n’ont pas le même impact pour une personne qui gagne 10 000 ou 3 000 euros par mois. (…) Cette mesure n’emmènerait pas l’ensemble des candidats à l’accession au surendettement surtout, qu’aujourd’hui, le niveau de surendettement est plus que maîtrisé et que la plupart des grands surendettements viennent des prêts à la consommation ».
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Les enjeux
Les achats de logements existants ont considérablement réduit au cours des derniers mois. Le dernier quadrimestre de 2022 a marqué un ralentissement sensible, annonçant un premier trimestre 2023 en recul de l’ordre de 30% par rapport à l’exercice antérieur.
Les conséquences sont lourdes, d’abord sur les projets logement des ménages, créant des situations de tension : les besoins, pour 90% d’entre eux relatifs à des événements de la vie exigeant des changements de logement, se trouvent insatisfaits pour un tiers d’entre eux. En outre, des risques pèsent sur l’emploi dans la filière et sur l’existence même d’une partie des agences immobilières sur tout le territoire.
Quelles actions engager ? Quelles mesures publiques pour relancer les ventes ? Assouplir l’accès au crédit serait-il efficace ? Des risques seraient-ils attachés à une telle décision ? La baisse des prix déjà à l’œuvre sera-t-elle salutaire ? Des aides n’auront-elles pas pour effet d’alimenter la hausse des prix ? Dans quelles proportions une baisse est-elle souhaitable ? La primo-accession est-elle encore possible en temps d’inflation ? Faut-il plutôt compter sur les investisseurs et sur la réponse locative ?
Les intervenants
Le débat est animé par Henry Buzy-Cazaux, président-fondateur de l’Institut du Management des Services Immobiliers, secrétaire général du Cercle. Avec :
- Amel Gacquerre, sénatrice du Pas-de-Calais, conseillère régionale des Hauts-de-France
- Vanessa Benedic, directrice générale d’Homeloop
- Hervé Lefèbvre, président de Megagence
- Éric Junger, directeur général de Créditexpert
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