La synthèse
Un secteur en berne
« Aujourd’hui, ce n’est pas que la maison individuelle – que l’on soit en secteur groupé ou en secteur diffus – qui est touchée. Le logement collectif vertical est aussi à l’arrêt. C’est donc toute la filière de l’immobilier neuf qui est condamnée par une non-politique. (…) On n’avait pas de ministre, on a pleuré pour en avoir un. Aujourd’hui, on en a un mais il ne nous entend pas », dénonce Céline Torrès, présidente du Pôle Habitat FFB d’Occitanie, présidente de Maisons Serge Olivier et du groupe Torrès. Pour conforter ses dires, Céline Torrès dévoile les piètres performances du secteur : « On est à 79 700 unités en glissement annuel à fin mai 2023. Sachant que les besoins en logement sont bien plus importants, cela représente 35% de baisse uniquement sur la maison individuelle en secteur diffus. Sur secteur groupé, on est à – 23,4%, sur le national avec 7 050 unités en glissement annuel sur 2023. Quant au logement collectif, il subit une baisse à 22% au niveau national en annuel à mars 2023 ». Une chute confirmée par Yannick Borde, maire de Saint-Berthevin et président de Procivis (Maisons d’en France) : « Concernant notre réseau en 2021, on était à 10 000 avec environ 4 000 maisons individuelles en secteur diffus et 6 000 logements en promo solidaire (principalement en accession sociale et notamment dans le cadre du dispositif PSLA). Sur 2022, la production a chuté. On est passé à 7 500 logements, toujours avec la même répartition, c’est-à-dire un gros tiers en maison individuelle, même si on doit reconnaître que dans le réseau on voit une petite bascule de la production en secteur diffus à la production en secteur groupé, ce qui n’est pas nécessairement évident car ce n’est pas la même mécanique ». De fait, on s’éloigne à grandes enjambées de la période phare où 200 000 unités étaient annuellement produites.
Un dogme contre la maison individuelle
Pour beaucoup de professionnels de l’immobilier, les pouvoirs publics ont formulé un dogme contre la maison individuelle dont Emmanuelle Wargon, ancienne ministre chargée du Logement, serait à l’origine. On se souvient qu’elle avait déclaré, en 2021, que la maison individuelle était « un rêve construit pour les Français dans les années 1970 » et que ce modèle d’urbanisation dépendait de la voiture, ce qui constituait un « non-sens écologique, économique et social ». Céline Torrès rappelle que si la maison individuelle correspond toujours aux attentes de 80 % des Français, elle ne ressemble plus au modèle d’il y a plus de 30 ans : « On était sur des terrains de 1 000 m². Aujourd’hui, les opérations d’aménagement n’ont plus rien à voir : on construit sur des terrains de parcelles de 200 à 400 m², voire de 150 m². Les Français veulent peu d’entretien, un petit jardin pour faire leur barbecue (…) On va avoir des opérations d’aménagement avec de l’aménagement participatif, c’est-à-dire qu’on aura des commerces, de la mixité sociale, de la mixité intergénérationnelle, des partages d’espaces de jardin, des places de stationnement perméables, etc. ».
En réponse, Michaël Nogal, ancien député rapporteur de la loi « Climat et résilience », temporise et souligne que les propos de l’ancienne ministre ont été détournés : « L’idée à l’époque développée par Emmanuelle Wargon était d’exposer ce qu’il faut éviter demain : des lotissements, des quartiers pavillonnaires complètement éloignés des transports et des zones d’emploi ». Pour autant, s’il n’était aucunement question pour la ministre de tuer la maison individuelle, la politique fiscale distillée par Bercy depuis quelques années semble lui assurer une mort lente et douloureuse.
Une politique immobilière et fiscale dégénérative pour la maison individuelle
« On a vu les attaques arriver, les unes après les autres, contre la maison individuelle », déclare Damien Hereng, président de la Fédération des constructeurs de maisons individuelles et président de Mikit. Il s’explique : « D’abord, on a eu le zonage du PTZ, la fameuse demi-quotité de PTZ en zone périphérique. De façon un peu hypocrite, on n’a pas enlevé des aides à la maison individuelle, mais on a enlevé des aides où on les construit (…). Ensuite, comme l’attaque n’avait pas fonctionné, ils se sont dit que la maison individuelle étant un marché d’accession. Il est vrai que 90-95 % des personnes achètent pour accéder à la propriété, ce qui n’est pas du tout la même configuration dans le collectif. Donc, ils ont supprimé la fameuse “APL accession” qui a désolvabilisé un certain nombre de ménages modestes (…). En outre, il a été écrit noir sur blanc que le dispositif Pinel ne s’appliquait plus à la maison individuelle. Enfin, la dernière attaque, c’est la suppression de la seconde partie du PTZ. Là, on vise spécifiquement, non plus le zonage, mais la thématique “maison individuelle“ ».
Concernant cette fin annoncée, Mickaël Nogal se veut plus optimiste : « Je défends l’idée que l’on doit pouvoir faire du sur-mesure, c’est-à-dire qu’il ne faut pas condamner la maison individuelle neuve. On a besoin de logements qui soient différents du collectif : de la maison individuelle dans le neuf et dans l’ancien à rénover. (…) Je suis certain que le PTZ tel qu’il sortira de la prochaine loi de finances sera revu par les parlementaires ». L’ancien député souligne, au passage, qu’il faut accepter l’idée que l’on ne pourra pas rénover les 130-150 000 logements vacants et leur trouver des acquéreurs ou des preneurs.
Quoi qu’il en soit, pour Damien Hereng : « Toute cette mécanique mise en place depuis quelques années n’est pas surprenante. Lorsque l’on est reçu dans les ministères, on nous dit que cette politique est assumée. L’argent collecté par les pouvoirs publics ne doit plus servir à construire de la maison. Ils ont donc décidé un modèle de société où tout le monde doit habiter dans du vertical avec du collectif, une crèche au rez-de-chaussée, juste à côté de la gare. C’est une politique qui est très parisienne, une politique de métropole. (…) La seule initiative qui allait un peu dans le sens de la maison individuelle, était la fameuse mise en place de la loi ALUR qui a adressé ce sujet de sous-densité et énoncé le fait qu’il faut se mettre à travailler sur des terrains plus petits. Une bonne initiative que l’on avait applaudie. Malheureusement, cela n’a pas donné de grands résultats parce que l’on a constaté que la loi avait été assez vite contournée dans les règlements d’urbanisme locaux ». Pour le président de la Fédération des constructeurs de maisons individuelles, toutes les politiques du logement mises en place depuis six ans ont pour vocation de raréfier l’offre disponible : « On enlève des aides, on supprime du foncier. Si on construit moins, les logements sont plus chers et, de fait, les politiques sont obligés de mettre des plafonnements sur l’augmentation des loyers. Cette politique est inflationniste ».
La densité urbaine : un début de solution qui doit être accompagnée
Avec la suppression de la taxe d’habitation pour les résidences principales, il est souvent soutenu que les maires seraient moins incités à construire des maisons individuelles sur leur territoire. En endossant sa casquette de maire, Yannick Borde souhaite mettre fin à ce préjugé : « La suppression de la taxe d’habitation n’a pas d’impact pour une collectivité tant que le législateur ne décide pas de revoir la compensation. (…) En outre, un élu local est comme un promoteur qui veut satisfaire sa clientèle : l’élu veut aussi satisfaire ses concitoyens. (…) Tous les maires ont envie de voir leur commune se développer. (…) Ce qu’il faut avoir à l’esprit, c’est le budget d’une collectivité locale. Tirer des réseaux de bus, tirer des réseaux d’assainissement, tirer des réseaux de fibre, etc. est une vraie problématique, dont le coût est important (NDLR : supérieur à celui du logement collectif) ». Pour limiter la note, le maire prône la densification, qu’il trouve globalement faible : « On a des zones d’activités ou des zones commerciales qui sont sous-densifiées et quand on parle de l’artificialisation d’un parking, peut-être qu’on peut raisonner un peu différemment et retrouver du foncier qui permet de retrouver de la constructibilité ». Si la densification est cruciale compte tenu des enjeux, il estime qu’elle ne s’articule pas de la même façon sur tout le territoire : « Il faut anticiper (…), trouver le bon mixte entre logement collectif et logement individuel et éviter les excès de la densification. (…) On voit arriver des petits collectifs qui n’existaient pas. On voit des grands promoteurs, qui s’intéressaient aux métropoles et arrivent aujourd’hui sur des villes de 2e couronne. Lorsque l’on propose de l’offre, on crée la demande sur un territoire qui n’est pas nécessaire. (…) Le plus inquiétant, c’est ce qu’on appelle la vitrification du secteur locatif, que ce soit dans le parc privé ou dans le parc social. (…) On a une accession sociale qui ne fonctionne pas. On a des dispositifs un peu marginaux mais qui ne fonctionnent pas trop mal. Je pense à la location accession qui se retrouve percutée par l’augmentation des taux puisqu’il n’est pas certain que le ménage puisse financer au terme de la période de location (…). On a l’option BRS (bail réel solidaire) qui est un outil un peu compliqué à appréhender mais avec une banque des territoires qui finance le foncier et qui refuse d’aller par exemple sur une zone B 2 ou du C. (…) Mais la grosse inquiétude du moment, c’est l’annonce de la sortie du prêt à taux zéro (PTZ) qui serait dans le projet de loi de finances. (…) L’Etat prend de plein fouet l’augmentation des taux. Son seul moyen est de cadenasser sur la frange accession sociale à la propriété en maison individuelle qui fonctionne le plus. (…) Aujourd’hui, il n’y a pas de client. (…) On risque d’aboutir à l’éventuelle “bombe sociale” ».
Le ZAN : bourreau de la maison individuelle ?
À ce flot de législations peu favorables au secteur, s’est invité le ZAN (zéro artificialisation nette) qui impose, d’ici 2050, de réduire l’extension des villes en limitant les constructions sur les espaces naturels, forestiers ou agricoles. Est attendue une baisse de 50 % du rythme d’artificialisation des terrains d’ici 2030 par rapport à la consommation mesurée entre 2011 et 2020. Mickaël Nogal précise que, chaque année, ce sont environ 20 000 à 30 000 hectares qui sont artificialisés (NDLR : Yannick Borde précise que cela équivaut à artificialiser un département tous les 10 ans) : « L’objectif intermédiaire est donc de passer, en 10 ans, de 25 0000 hectares artificialisés à 12 5000. Cette trajectoire vient d’être assouplie à l’initiative des sénateurs, mais aussi du député et président du Conseil national de l’habitat, Lionel Causse : des délais supplémentaires et quelques exemptions ont été accordées pour faciliter la mise en œuvre de ce ZAN. » Impopulaire avant même sa mise en place, le ZAN cause des crispations tant aux professionnels de l’immobilier qu’aux élus locaux, d’autant que la démarche doit être prise en compte par tous les documents d’urbanisme. Pour autant, l’artificialisation augmente quatre fois plus vite que la population, c’est pourquoi l’ancien rapporteur de la loi « Climat et résilience », favorable au Pinel groupé, invite à concilier le souhait d’espace et de maisons individuelles des Français avec les contraintes environnementales : « La data manque quand on parle des politiques du logement. Dans le cadre du CNR (Conseil national de la refondation) pour le logement, on avait formulé la proposition suivante : avoir un diagnostic beaucoup plus précis du besoin par territoire, une analyse qui pourrait être décentralisée. Cela permettrait de déterminer quel type de logement on doit construire (maison individuelle ou collectif) à tel ou tel endroit ».
Face aux propos du politique, les professionnels réagissent.
Céline Torrès pointe, tout d’abord, le fait qu’au niveau national, l’artificialisation ne représente que 6% du territoire : « Tout le reste est utilisé par des zones NAF. (…). La part utilisée pour le logement, est vraiment inférieure à celle pour les voiries, les infrastructures, etc. Donc le logement a peu d’impact sur le taux de l’artificialisation. (…) ». Ensuite, elle considère le ZAN comme une mesure inutile et bien trop contraignante pour atteindre un objectif déjà engagé puisque : « l’artificialisation entre 2000 et 2010 et entre 2010 à 2020 a été réduite de 50% tous les 10 ans ». Enfin, elle alerte sur le fait que le ZAN est un frein à l’implantation des infrastructures des industries : « On va implanter une usine mais construire des logements sur l’agglomération voisine, ce qui est un non-sens écologique puisque les gens seront obligés de faire 20 à 30 minutes de voiture pour aller travailler ». Pour conclure, Céline Torrès en appelle aussi à aligner notre mode de calcul du taux d’artificialisation sur celui retenu par les autres pays européens, ce qui permettrait d’atteindre des objectifs réalisables et constater que les Français ne sont pas les plus mauvais élèves de la zone euro. Mickaël Nogal adhère à ces arguments tout en relevant que, malgré tout, le changement d’échelle est impératif pour anticiper les conséquences environnementales liés aux changements climatiques : « On n’a d’autre choix que d’intégrer les changements qui sont de plus en plus visibles et avec des conséquences de plus en plus lourdes. Je pense, notamment, au retrait-gonflement des argiles. (…) qui soulève des questions assurantielles. Avec le développement des catastrophes naturelles, qui pourra payer l’assurance habitation des territoires sinistrés ? »
Damien Hereng s’étonne qu’un gouvernement libéral soit actuellement en train d’imposer aux Français une politique complètement administrée du logement : « On va couper la France en circonscriptions et dire qu’à tel endroit, on va pouvoir construire des maisons ou à tel endroit, du collectif. Honnêtement, je pense que la Corée du Nord pourrait définir la politique du logement, un peu de la même façon. (…) En outre, avec une définition aussi arbitraire de l’artificialisation, qui est en mesure de décider si un jardin avec des roses est plus artificialisé ou moins artificialisé qu’un champ de maïs bourré de pesticides ? Pour rappel, aujourd’hui, la règle est que lorsqu’une maison fait 100 m² sur un terrain de 500 m², on considère qu’on a artificialisé 500 m² de terrain ».
De son côté, Yannick Borde constate une sorte de compétition entre territoires provoquée par le zonage : « Toute cette notion d’aménagement du territoire a complètement disparue. (…) Aujourd’hui, pour maintenir une population, il faut construire, en tenant compte des besoins et du desserrement familial. Cela demande que les élus s’impliquent dans la définition d’une stratégie d’aménagement du territoire, qui n’existe plus vraiment (…) ».
Partisan d’une politique décentralisée, Mickaël Nogal rappelle : « On a un pacte vert européen qui impose de réduire, d’ici 2030, 55% nos émissions de gaz à effet de serre. (…) On a retranscrit cette obligation européenne dans la loi “Climat et résilience” et des outils sont prévus dans la loi 3DS pour permettre aux élus locaux de déterminer, à l’échelle de leur territoire, ce que l’on peut continuer à artificialiser ou ce qu’il faut réduire ou arrêter. (…) La trajectoire est affichée dans les documents d’urbanisme régionaux à l’échelle des bassins de vie, à l’échelle des intercommunalités. Et l’État est juste là pour fixer le cap, comme il est là pour fixer le cap sur la rénovation énergétique. À nos acteurs et aux élus locaux de faire ».
Les évolutions législatives attendues d’ici la fin de l’année
Céline Torrès rappelle qu’il y a urgence : « On n’arrive plus à loger personne aussi bien en location qu’en accession à la propriété et nos entreprises sont en souffrance, il y a de la casse régulièrement. (…) Il faut vraiment qu’il y ait une prise de conscience, qu’il y ait une mise en application rapide notamment d’un PTZ pour le neuf à 40% partout, une réévaluation également des plafonds d’opération ».
Quant à Damien Hereng, il relève que la forme de l’habitat et la taille des terrains sont des faux problèmes puisque les Français n’ont pas eu d’autre choix que de s’adapter pour faire face à la hausse des prix des matières premières et aux obstacles pour obtenir un crédit : « À partir du moment où l’on se désintéresse du marché de la maison individuelle, on se désintéresse de la possibilité pour les Français de pouvoir réaliser la seule forme d’épargne qu’ils ont quand ils sont modestes. (…) L’accession à la propriété, quelle qu’en soit la forme, c’est une façon de pouvoir capitaliser pour l’avenir et de pouvoir épargner. (…) Il semble qu’aujourd’hui la propriété doit être réservée à une élite. C’est un peu la conclusion qui en est tirée et c’est ça qui est un peu dommage ». À quand le changement de paradigme ?
Regardez le débat en replay :
Les enjeux
Il a été heureux, et il est très malheureux : le couple qu’a formé l’État avec la maison individuelle, pendant des dizaines d’années, a été exemplaire. Les primo-accédants et les accédants en général ont trouvé dans ce mode d’habitat leur bonheur, et ils y ont été aidés par tous des moyens puissants, le prêt d’accession à la propriété jusqu’en 1994 puis le prêt à taux zéro en particulier.
Entre des jugements d’une dureté sans précédent formulés par la ministre du logement en activité lors de la restitution des travaux du chantier « Habiter la France de demain » en 2021, qui avaient le mérite d’exprimer avec franchise le regard de l’exécutif sur l’habitat individuel, une loi Climat résilience qui fixe des objectifs de sobriété foncière exigeants et un plan de relance présenté le 5 juin dernier qui exclut la maison individuelle, on se demande si la politique du logement fera de nouveau une place à cet habitat préféré des ménages Français.
Pour analyser la situation de désamour de la maison individuelle et proposer des voies de réhabilitation politiques et professionnelles, des personnalités donneront leurs avis éclairés.
Les intervenants
Le débat est animé par Henry Buzy-Cazaux, président-fondateur de l’Institut du Management des Services Immobiliers, secrétaire général du Cercle. Avec :
- Yannick Borde, maire de Saint-Berthevin, président de Procivis (Maisons d’en France)
- Damien Hereng, président de la Fédération des constructeurs de maisons individuelles, président de Mikit
- Mickaël Nogal, ancien député rapporteur de la loi Climat résilience
- Céline Torrès, présidente du Pôle Habitat FFB d’Occitanie, présidente de Maisons Serge Olivier et du groupe Torrès
Comments are closed.