Oct 02

Menaces sur la transaction : quelles solutions pour les agents immobiliers et les négociateurs ? – Mardi 17 octobre à 18h

La synthèse

« Aujourd’hui, il faut avoir une réaction de chef d’entreprise. Il faut : anticiper, réduire les coûts qui ne sont pas absolument nécessaires, motiver ses équipes et être avec elles.  Le chef d’entreprise qui n’est pas dans son agence immobilière et qui laisse ses équipes poursuivre son expansion : c’est fini ! », déclare Gilles Parent, directeur général des Agences réunies, groupement qui compte 360 agences implantées sur tout le territoire national. Un changement de paradigme indispensable pour faire face à la crise que traversent les professionnels de l’immobilier. Cette transformation du secteur est en cours. Comme toute conduite du changement, elle implique la mise en œuvre de certaines démarches, la nécessité de repenser les organisations, voire la rupture avec certaines pratiques et habitudes d’exercer de la profession d’agent immobilier et de négociateur, et ce, sans attendre des mesures gouvernementales qui, selon toute vraisemblance, ne sont pas à l’ordre du jour. 

Se regrouper pour une meilleure synergie

Force est de constater qu’inquiétude et morosité ambiante se sont installées au sein des agences qui ne font que de la transaction. Gilles Parent relève qu’un agent immobilier qui travaille seul a des difficultés pour appréhender ce marché en crise : « il ne dispose pas des échanges et des partages d’expérience. Il n’a pas les outils. Il a un besoin vital de trésorerie. Certaines agences perdent actuellement entre 20 et 30 % de leur chiffre d’affaires ». Le directeur général rappelle, qu’il y a 25 ans déjà, la création des Agences réunies avait été motivée par l’objectif de permettre « des économies d’échelle en étant plus nombreux et d’augmenter le chiffre d’affaires. (…) C’est tout l’intérêt d’adhérer à un groupement ». Si une demande d’accompagnement très importante est constatée chez ces acteurs isolés, les éventuels paiement de droit d’entrée pour rejoindre certains groupes freinent les adhésions.

Côté réseaux de mandataires, la réticence concernant le montant des cotisations est moindre puisque le modèle de ces réseaux repose sur une structure légère, à moindre coûts, et un niveau de redistribution important du chiffre d’affaires. « Le réseau change de manière assez forte. (…) Depuis quatre mois, nous avons accueilli environ 150 professionnels venant du secteur traditionnel de l’immobilier. (…) Ces personnes viennent avec leurs équipes, donc potentiellement des agences qui ferment ou qui sont en difficulté et qui décident de changer de modèle. On a aussi des négociateurs. (…) Ces personnes trouvent toute l’infrastructure pour exercer le métier de consultant en immobilier, de la formation, du coaching, etc. », expose Christophe du Pontavice, président fondateur d’Efficity,  2e acteur français de l’estimation immobilière en ligne (avec 150 000 estimations mensuelles) et dont le modèle repose sur la production et le développement d’un réseau de mandataires. Pour autant, certains quittent le navire : « ceux qui partent sont ceux qui avaient un niveau de chiffre d’affaires insuffisant. (…) Et le vivier des personnes qui nous rejoignent en reconversion se tarit », souligne Christophe du Pontavice. Sans nier la complexité du marché, le chef d’entreprise se veut positif : « On est dans une situation paradoxale : on gagne des parts de marché mais on perd du chiffre d’affaires (sur un marché qui a – 30% en volume, nous en perdons 15%) ».

Accompagnant de nombreux conseillers immobiliers touchés par la crise, Stéphanie Uzan, formatrice, consultante en stratégie commerciale pour l’immobilier, confirme la volonté de ces professionnels de changer de méthode de travail, de travailler en collaboration : « Aujourd’hui, il faut collaborer davantage, peu importe l’enseigne, peu importe qui détient la carte ou pas. Il faut vraiment être dans le partage, dans la délégation, dans l’accompagnement mutuel, ne pas se fermer les portes sur la collaboration avec d’autres, mais également sur d’autres produits ». En ce qui concerne les personnes qui ont dû renoncer à la profession, elle dénonce le fait que cette casse aurait pu être évitée : « Cette catégorie n’a pas forcément envisagé que ça n’allait pas fonctionner. On ne les a peut-être pas suffisamment bien accompagnées, au départ, sur le choix de leur statut. (…) Lorsque l’on choisit son statut de conseiller immobilier de manière éclairée, on fait des choix qui sont connus et donc on avance en connaissance de cause. (…) Je ne suis pas certaine (…) que dans tous les réseaux, dans toutes les agences et dans toutes les marques, on les ait alertés sur la nécessité d’avoir au moins un an de trésorerie ».

Se diversifier pour accroître son chiffre d’affaires et répondre aux attentes des clients

En temps de crise, la mono-activité de la transaction est à proscrire. Pour remonter un chiffre d’affaires, est encouragée la création de métiers additionnels à la spécialité. Et l’immobilier regorge de secteurs d’activités : le viager, le foncier, le marché du bureau, le neuf, la copropriété, la gestion locative, la rénovation énergétique, etc. Et pouvoir proposer une offre complète de services (par exemple : achat – rénovation – gestion – vente en viager) à ses clients est un moyen de les fidéliser. Se diversifier constitue une vraie valeur ajoutée et contribue à l’accroissement de son chiffre d’affaires.

Gilles Parent précise que la gestion de copropriété concerne 20% des membres du groupement alors que la gestion locative 50% : « Ce sont des agences de taille moyenne ou importante qui ont un portefeuille gestion (…) mais cela ne suffit pas d’avoir simplement ce type de portefeuille ». Aussi, faut-il parfois rationaliser et ne pas hésiter à recentrer une activité en réduisant, par exemple le nombre d’agences, tout en conservant les équipes : « Il faut tout faire pour sécuriser son outil de travail. C’est notre rôle de chef d’entreprise de faire des choix. Et fermer deux ou trois agences, quand on en a plusieurs, est un choix qui est stratégique et nécessaire », relève le directeur général des Agences réunies.

Christophe du Pontavice confirme l’approche : « Cela peut paraître un peu contracyclique, mais je pense que c’est un bon moment pour investir. Dans le réseau, on a aussi lancé depuis peu l’activité de gestion locative, y compris celle des fonds de commerce. On a mis d’autres cordes à notre arc. (…) Certes, 80 % de notre chiffre d’affaires viennent des transactions résidentielles dans l’ancien et ça reste notre cœur de métier. (…) Nous, ce que l’on veut faire, c’est du business et aider notre réseau à faire du business. Donc, on continue d’investir. On a des lignées (NDLR : des organisations) qui sont en croissance. (…)  Quand on adapte sa façon de travailler, cela demande plus de travail mais on réussit quand même à sauver les meubles, voire à faire un petit peu de croissance ».

Se former pour apporter des conseils adaptés au contexte de crise 

« Certaines agences n’ont pas fait de vente depuis trois mois. Cela met non seulement l’agence immobilière en péril mais aussi l’équipe. Parce qu’il faut penser à l’équipe. (…) C’est pourquoi, aujourd’hui, la formation mise en place pour les professionnels de l’immobilier est tournée vers le mental. Comment passer cette crise ? Commerciaux et directeurs d’agence sont les premiers touchés. Ils ont une perte de leur pouvoir d’achat, tout comme leurs clients acquéreurs. (…) Et c’est très compliqué de les garder », témoigne Gilles Parent. Et Stéphanie Uzan de confirmer : La formation (…) est essentielle parce que la chose la plus difficile à muscler en ce moment, c’est le mindset ».

Pour motiver ses commerciaux mais aussi fidéliser une clientèle usée par les contraintes législatives et bancaires mais aussi par l’instabilité des prix, la formation est donc préconisée : « Il faut revenir à notre métier de base et la formation y contribue. On va retrouver notre vrai métier d’agent immobilier qui consiste à conseiller nos clients, à faire une expertise réelle des prix du marché et surtout à disposer d’un argumentaire professionnel vis-à-vis de nos bailleurs et nos clients vendeurs pour leur expliquer qu’il est nécessaire de s’adapter. Parce que si certains restent sur leur position, leur projet n’aboutira jamais », relève Gilles Parent.

Pour Stéphanie Uzan, il est vital que les conseillers immobiliers soient « agiles dans ce marché qui ne l’est pas vraiment, qu’ils s’adaptent en permanence. (…) Ils doivent être visibles, développer leur notoriété, etc. ». Et Christophe du Pontavice de compléter : « La communication sur les réseaux sociaux, pour moi, c’est primordial aujourd’hui. Il faut être vu, il faut être reconnu et c’est vrai que quand on a un bon mandat, une bonne information à transmettre, il y a les retours systématiquement ».

Tout en rappelant la diversité des modules de formation et leur accessibilité d’un point de vue financier, Stéphanie Uzan interpelle les détenteurs du pouvoir réglementaire : « Des réseaux importants favorisent la formation, proposent des parcours de formation professionnalisant. À force de pousser sur cette extrême technicité de la formation, j’espère qu’on verra paraître au plus vite le décret d’application de l’obligation de formation avant habilitation prévu par la loi ALUR ». 

Nouer des partenariats pour permettre une stabilité économique

La formation n’est pas l’unique vecteur pour sécuriser un chiffre d’affaires. Les partenariats peuvent apporter leur pierre à l’édifice. En atteste Gilles Parent qui, dans son groupement, a notamment souhaité apporter une solution au problème de recrutement des commerciaux et au refus de prêt de ses prospects : « On a développé un partenariat avec la société FCI en faveur du recours au portage salarial. (…) Et un autre avec le groupe Artémis courtage pour sécuriser le financement de tous nos acquéreurs. Dès que l’on dispose d’une offre d’achat, on obtient une étude de faisabilité dans les 24 heures pour être le plus réactif possible. (…) Avec le taux d’usure qui évolue tous les mois, (…) on sait qu’un accord transmis en début de mois peut donner lieu à un refus trois semaines plus tard. »

Pour Stéphanie Uzan, le recours au portage salarial est « une bonne solution pour commencer dans le secteur et dans ces temps un petit peu sombres. (…) Si certains étaient rentrés en portage salarial, il y a quelques mois, voire deux-trois ans, ils seraient moins en difficulté aujourd’hui ».  

Exploiter la data pour conforter l’expérience client  

Rétention et fidélisation de la clientèle sont les maîtres-mots de tout conseiller en immobilier. À cet effet, ce dernier se doit de connaître l’ensemble des émotions ressenties par ses prospects et clients tout au long du processus d’achat, de vente, de gestion, etc. (avant, pendant, après). L’ensemble de ces données lui permet ainsi d’améliorer la satisfaction client.

Pour Fabrice Larceneux, professeur de management, spécialiste de stratégie immobilière, il est « absolument évident qu’aujourd’hui on ne peut pas penser business sans récupérer des informations sur les clients. (…)  Il y a quelque chose de très important, c’est l’extension de la relation. C’est l’idée selon laquelle on a un ami dans l’immobilier qui a une connaissance de soi et du marché. (…) Il faut repenser le modèle de la relation client et passer du modèle transactionnel (qui sous-entend un début, un milieu, une fin) au modèle relationnel pour créer du lien, fidéliser ». L’exploitation de la data et le développement de l’intelligence artificielle devraient permettre de doter d’ici peu les agents de modèles fiables d’expérience client. Le professeur insiste sur l’importance de ne pas négliger cette révolution technique qui s’opère et qui pourrait être à l’origine d’une autre crise pour le secteur : « L’intelligence artificielle va changer les métiers. Il faut l’anticiper et s’interroger sur les pratiques, la valeur ajoutée et (…) le mindset des intermédiaires. (…) Car derrière la crise économique et la crise technologique se cache aussi une crise de l’image de l’agent immobilier :  il faut s’interroger sur sa valeur ».  Fabrice Larceneux souligne aussi l’important travail de marketing de l’image du secteur immobilier à mener auprès des pouvoirs publics.  

Gilles Parent conforte cette approche : « La data est hyper importante. Je le constate au sein du groupement. Par exemple, sur la région parisienne, sept ventes sur dix sont issues de notre fichier acquéreurs. (…) La première des choses à faire avant de passer des annonces sur les portails, c’est de contacter nos propres clients qui sont répertoriés sur un fichier qui est travaillé. Ce sont des personnes que nous connaissons, que nous avons rencontrées. Nous savons exactement ce qu’elles recherchent et cela nous permet de faire ce qu’on appelle la vente privée, c’est-à-dire en avant-première. Et par le biais du groupement, nous pouvons même avoir accès au fichier des confrères sur le secteur. (…) Tout est question de rapidité et d’efficacité. C’est indispensable aujourd’hui ». 

Favoriser le partage du mandat exclusif pour performer sur davantage de secteurs 

Le partage du mandat exclusif vient s’inscrire logiquement à la suite du partage de la data.

Dans le réseau Efficity, le taux de mandat exclusif est passé de 20 à 40%. Christophe du Pontavice estime « qu’il y a environ 20% des ventes qui se font en inter-cabinet, soit avec deux mandataires du réseau, soit avec une agence externe ou un mandataire du réseau, mais souvent avec des agences locales traditionnelles ». 

Du côté du groupement Agences réunies, cette pratique du partage est déjà installée depuis des années. Gilles Parent interpelle : « Comment peut-on augmenter son chiffre d’affaires si l’on reste avec ses propres mandats dans son secteur ? (…) Partager un mandat aujourd’hui est indispensable et je vais même plus loin, je préconise de partager les mandats non exclusifs (…) et, au sein d’un même réseau, de partager les acquéreurs. (…) Lorsque l’on a une recherche bien précise, on interroge les autres membres pour leur demander s’ils n’ont pas un bien qui correspond au besoin de notre acquéreur. (…) L’agent immobilier qui est tout seul dans son coin, s’il n’échange pas, il va avoir des grosses difficultés à traverser cette crise, c’est évident ».

Regardez la conférence en replay !

Les enjeux

Le marché de l’immobilier résidentiel a perdu en dix-huit mois une grande partie de sa vigueur. 2023 accusera sans doute un retrait de 30% des volumes de revente de logements par rapport à l’exercice précédent. La correction des prix est à l’œuvre, mais elle se fait lentement et avec des disparités selon les territoires. Elle ne suffit en tout cas pas à compenser la perte de pouvoir d’achat liée à l’augmentation des taux d’intérêt et à l’inflation générale.

Aucune aide publique n’est pour l’instant venue atténuer la désolvabilisation des ménages. Il s’ajoute à cela l’inquiétude attachée au conflit géopolitique et le climat économique et social dégradé, qui dissuadent les Français de s’engager dans un projet de long terme. 

Des agences immobilières sont contraintes de cesser leur activité. Les réseaux de mandataires sont également éprouvés par les circonstances. Les négociateurs, qu’ils soient salariés ou agents commerciaux, ont pour leurs revenus une dépendance à la production qui les fragilise. Qui plus est, le report des demandes sur le marché de la location crée des tensions inédites et les locataires en place optent pour l’immobilité: le marché des transactions locatives a aussi perdu une grande partie de son volume.

Dans ce contexte inédit et durable, quelles solutions, pour parvenir à vendre néanmoins ? Quels choix stratégiques ? Quelles précautions pour sauvegarder son entreprise ou sa situation individuelle ? De grands professionnels donnent leurs conseils avisés.


Les intervenants

Le débat est animé par Henry Buzy-Cazaux, président-fondateur de l’Institut du Management des Services Immobiliers, secrétaire général du Cercle. Avec :

  • Christophe du Pontavice, président fondateur d’Efficity
  • Fabrice Larceneux, professeur de management, spécialiste de stratégie immobilière
  • Gilles Parent, directeur général des Agences réunies
  • Stéphanie Uzan, formatrice, consultante en stratégie commerciale pour l’immobilier

Christophe DU PONTAVICE
Président fondateur d’Efficity
Fabrice LARCENEUX
Professeur de management, spécialiste de stratégie immobilière
Gilles PARENT
Directeur général des Agences réunies
Stéphanie UZAN
Formatrice, consultante en stratégie commerciale pour l’immobilier