La synthèse
Copropriétaires et syndics : une relation fondée sur un « Je t’aime moi non plus »
« Le nombre de fois où j’ai été interpellé pour des problèmes avec les syndics, je les compte sur les doigts d’une main, depuis maintenant une bonne dizaine d’années. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de sujet, mais en tout cas, aujourd’hui les relations copropriétaires-syndics remontent très peu au niveau des élus », déclare Lionel Causse, député des Landes, président du Conseil national de l’habitat. Et Arnaud Coll, président de la commission gestion de copropriété de la FNAIM, de rapporter : « Sur les 32 000 adhérents qui ont répondu à notre sondage, 70 % des propriétaires disent que leur immeuble est bien entretenu, (…) et 55 % sont satisfaits des prestations de leur syndic. (…) On a une marge de progression ». Malgré ces constats, le désamour demeure entre les copropriétaires et les syndics professionnels, qui assureraient la gestion de 90 % des immeubles en copropriété. Pour Arnaud Coll : « La profession a un problème d’image, (…) elle est fautive. On ne sait pas communiquer. (…) On est, finalement, les pires avocats de notre profession ».
Haro sur les grands groupes d’administration de biens
Pour Émile Hagège, directeur général de l’Association des responsables de copropriété (ARC) : « L’ARC travaille avec les syndics à longueur d’année, et nous faisons la promotion des bons professionnels, qui ont des pratiques transparentes. Quand nous publions des abus, c’est pour dénoncer les manquements et curieusement nous ne sommes ni traînés en justice ni condamnés. Oui, nous prétendons qu’il y a un diktat des grands groupes de syndics : ils imposent une politique tarifaire aux syndics artisans ou de quartier, qui n’ont pas d’autre choix que de suivre la tendance pour rester dans la course ». Il dénonce une concurrence biaisée : les grands groupes pratiqueraient un dumping sur les honoraires de base, c’est-à-dire sur la facturation du forfait, tout en imposant de manière plus ou moins impérative ou plus ou moins habile des prestations illégales ou abusives. Pour conforter ses dires, le directeur général donne l’exemple du montant facturé pour l’immatriculation de copropriété par certains syndics : « ils ont facturé l’acte 1 500 ou 3 000 euros alors que cela ne prenait que 15 minutes ». Et Olivier Safar, président de Quali SR, vice-président de l’UNIS, de préciser : « Au niveau macroéconomique, on sait tous que nos honoraires sont trop bas, quelle que soit la taille de l’immeuble (NDLR : en mars 2013, un rapport de l’Inspection générale des finances avait montré que, sur 37 métiers réglementés, la profession de syndic était l’une des moins rentables). Pourquoi ? Parce que, comme Émile Hagège l’a dit, dans les grands groupes, au fur et à mesure, ils donnent aux gestionnaires beaucoup plus d’immeubles à gérer que dans des cabinets de type familial. Pourquoi ? Parce que nous, on considère qu’on est là pour donner un service à notre client. Et ce service à notre clientèle va nécessiter de passer plus de temps avec tel immeuble ou (…) ou avec tel copropriétaire, tel conseil syndical. C’est notre job, mais bien évidemment il faut augmenter nos honoraires ». De fait, ne faudrait-il pas prendre en considération le critère du « temps passé » et revoir la grille des honoraires des syndics ?
Concernant l’amendement au projet de loi relatif à l’accélération et à la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé et des grandes opérations d’aménagement, qui dispose que la convocation électronique aux assemblées générales deviendrait la règle et la convocation par papier l’exception sur option exprès du copropriétaire, Émile Hagège s’indigne, y voit le lobbying de certains groupes et interpelle Lionel Causse : « C’est tout simplement permettre à des filiales de syndics, notamment la filiale de Citya détenue par Arche, de pouvoir vendre ses systèmes de notifications électroniques. (…) Soit monsieur le député n’a pas compris les enjeux du projet de loi, soit il fait le jeu des grands groupes ». En réponse, le député rappelle qu’« il faut s’adapter aux temps modernes », que cette mesure vient tout simplement s’inscrire dans la politique globale de numérisation des démarches qui a fait ses preuves dans de nombreux domaines, et qu’il ne faut rien y voir d’autre.
Projet du gouvernement de « déverrouiller » les syndics versus créer un ordre professionnel
Le 30 janvier 2024, devant l’Assemblée nationale, le Premier ministre, Gabriel Attal, a prononcé sa déclaration de politique générale en ces termes : « Déverrouiller notre économie, c’est aussi conquérir de nouvelles libertés, refuser le principe de rente, être capable, de continuer à transformer et libérer. Un projet de loi en ce sens sera examiné au printemps. Il permettra notamment de déverrouiller certaines professions comme les syndics ou encore les ventes en ligne de médicaments par les pharmacies ». Face à une déclaration peu explicite, Lionel Causse précise : « On aura des débats avec le Premier ministre et le ministre délégué au logement sur le sujet, pour savoir ce qu’ils entendent ». Mais pour le député, l’évolution de la profession ne passe pas inévitablement par un texte de loi. Le projet de création d’un ordre pour régir les responsabilités des acteurs refait surface, et il y est favorable : « Je veux faire confiance à un ordre, à la profession elle-même. (…) . Mon sentiment c’est que, souvent, on a tendance à tirer vers le bas plutôt que de vouloir évoluer. Il faut faire avancer effectivement une organisation et le collectif, et non imposer des sanctions ».
Si Arnaud Coll encourage aussi l’instauration d’un comité de contrôle, tout en soulignant qu’actuellement les syndicats professionnels ne disposent pas juridiquement d’un pouvoir pour sanctionner leurs adhérents (NDLR : le Conseil national de la transaction et de la gestion immobilière – CNTGI a été dépourvu du pouvoir disciplinaire dont il était titulaire avant la loi ELAN), il s’interroge sur la teneur des propos du Premier ministre et interpelle sur le sort qui pourrait être réservé à la garantie financière.
Olivier Safar confirme que le CNTGI n’a pas pu aller au bout de la mission que la loi ALUR lui avait assignée concernant le lancement et le bon fonctionnement de la commission de contrôle (instance indissociable du CNTGI) : « Aujourd’hui, on est bloqué pour plusieurs raisons. D’abord pour des raisons de petites guerres entre les uns et les autres (NDLR : FNAIM, SNPI, UNIS) pour savoir qui peut être nommé dans cette commission de contrôle. Ensuite, et surtout, en raison d’un problème sur les métiers qui sont exercés. Je ne peux pas avoir quelqu’un qui va faire le contrôle d’un agent immobilier comme quelqu’un qui va faire le contrôle du gestionnaire locatif, comme quelqu’un qui va faire le contrôle d’un syndic de copropriété. Je suis désolé, ce sont des compétences, des connaissances. La plupart du temps, quand on a des types de commissions de contrôle, il faut avoir des spécialités de ces différents métiers pour pouvoir intervenir. Or, aujourd’hui, quand on a une commission de contrôle, on va se retrouver à 5 ou 6 personnes pour gérer la totalité des métiers de l’immobilier.
Ce n’est pas adapté à la réalité de nos métiers (gestion de copropriété, gestion locative, transaction, expertise immobilière…) (…) On a besoin de toutes ces compétences ». Le vice-président de l’UNIS encourage donc au doublement des effectifs de cette instance.
Pour Émile Hagège, même si elle était nommée, la commission de contrôle ne fonctionnerait pas selon des logiques saines d’indépendance : elle serait composée « majoritairement de professionnels, donc de présidents de chambres syndicales. Est-ce que, réellement, une chambre professionnelle, qui tire ses ressources des cotisations des syndics, va demain mettre à l’amende un syndic, a fortiori un grand groupe ? Quand les pouvoirs publics disent, en fin de compte, que cette commission de contrôle est une arnaque, ils n’ont pas tort ».
Syndic d’intérêt collectif : l’outil de régulation qui ne fait pas l’unanimité
Le projet de loi relatif à l’accélération et à la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé et des grandes opérations d’aménagement prévoit la création d’un « syndic d’intérêt collectif » qui serait agréé par le préfet (art. 5 bis du projet, futur art. 18-3, L. 1965). Il aura pour mission « de gérer les copropriétés pour lesquelles un mandataire ad hoc a été désigné sur le fondement de l’article 29-1 A ». Il pourra « également, à la demande d’un administrateur provisoire désigné sur le fondement de l’article 29-1, assister ledit administrateur dans ses fonctions de gestion ». La mesure n’est pas accueillie de la même manière par tous les syndicats professionnels.
Côté FNAIM, Arnaud Coll s’interroge sur le devenir du mandat du syndic en place : « Je suis un peu révolté. Depuis des années, on renseigne le registre des copropriétés, l’État, l’Anah (…) tout ceci gratuitement. Et là, on nous dit qu’il va falloir nommer un acteur spécifique, dont la définition est inconnue. On sait que les honoraires de syndic d’intérêt collectif vont finir d’altérer la trésorerie de la copropriété et que l’on va se retrouver dans une impasse. »
Côté Unis, Olivier Safar est agréablement surpris de retrouver les contours de l’Association « QualiSR Syndic Prévention Redressement » qu’il a co créé, en 2015, notamment avec l’ARC : « Un point est clair : les syndicats d’intérêt collectif rajoutent une strate et un niveau complémentaire. Et ce niveau, c’est de la compétence, de la connaissance, la façon dont on va gérer ces copropriétés en difficulté, (…) et respecter un référentiel. (…) Le but du jeu est de faire monter en compétence mais aussi d’accompagner les syndics qui vont sur ces métiers-là (…) parce qu’ils vont passer plus de temps, gagner moins d’argent et dépenser plus en suivi et en organisation ». Le président de Quali SR rappelle la mise en place par l’ANAH de subventions complémentaires aux honoraires, qui malheureusement ne suffisent pas à couvrir le temps passé pour résorber la situation. Il rejoint Lionel Causse, dont le seul objectif est de remettre sur pied les milliers de copropriétés dégradées, en difficultés. Le député souhaite accompagner, former et orienter vers des syndics professionnels, tout en laissant la possibilité aux syndics bénévoles certifiés d’agir : « Il faut laisser cette liberté aux gens mais on doit être exigeant sur la qualité du travail qui est réalisé. (…) Il faut de la responsabilité. (…) Cela doit passer par de la formation, de la qualification, du professionnalisme ».
Compétences et formation continue mises à mal
Émile Hagège relève que les copropriétés actuellement en difficulté, pour les plus importantes d’entre elles, avaient été gérées par des syndics professionnels. Il se dit prêt à travailler avec les syndics, à les valoriser, à défendre les bons syndics et il reconnaît la complexité de ce métier. Pour autant, il déclare que « le syndic professionnel généraliste est foutu », qu’il devrait être le chef d’orchestre de la copropriété mais que, dans les faits, il n’a plus qu’un rôle de « secrétariat de la copropriété et que, pour toute difficulté, il fait appel à un spécialiste (architecte, ingénieur financier, thermicien, etc.) ». Pour lui, il faudrait que les copropriétaires puissent, selon leurs besoins, s’adresser à des syndics spécialisés : « un syndic spécialisé dans la rénovation énergétique de la copropriété, un autre en recouvrement des charges, etc. » Aussi pointe-t-il du doigt le manque de compétence de certains gestionnaires de copropriété. Pour preuve, il évoque ses propres problèmes en matière de recrutement : « Ce qui m’intéresse, c’est d’embaucher des juristes. Quand je leur pose des questions de droit (…) sur les différentes majorités en copropriété (article 24, 25 et 26, L. 1965), l’ensemble des gestionnaires interrogés ne les connaissent pas et prétextent que ce n’est pas utile puisqu’ils ont, à disposition, des logiciels. Cela démontre un manque de formation, un manque de considération de la formation continue. La plupart des gestionnaires ne savent ni quelles sont les obligations de la loi ELAN, ni la réglementation relative au PPT, au DPE ou au DTG ».
Arnaud Coll rappelle l’obligation annuelle de 14 heures de formation qui pèse sur tout syndic, tout en relevant « l’inflation réglementaire exponentielle » à laquelle la profession a dû faire face depuis les vingt dernières années. À cela s’ajoute la carence des gouvernements successifs, qui auraient dû depuis dix ans, publier un décret d’application de la loi ALUR du 24 mars 2024. En effet, à ce jour, aucun texte ne contraint un salarié à suivre la formation continue avant qu’il ne soit habilité à tenir une assemblée générale ou à gérer un immeuble. « La position de la Fédération est très claire là-dessus, elle a décidé d’assigner l’État », annonce le président de la commission gestion de copropriété de la FNAIM.
Olivier Safar tient à réaffirmer que le syndic a un rôle sociétal, qu’il se doit de connaître tous les métiers et que la formation continue est primordiale pour accompagner les copropriétaires (et éviter ainsi des copropriétés dégradées). Ainsi, tous les collaborateurs et les syndics sont formés : « Sur la rénovation énergétique, par exemple, ils ont eu des formations gratuites pendant deux ans ». Le vice-président de l’UNIS rappelle que les formations sont dispensées en distanciel ou en présentiel et qu’elles sont bien suivies par leurs adhérents.
Malgré tout, le directeur général de l’ARC reste sceptique et dénonce le fait que les syndicats professionnels ne peuvent pas être les formateurs de leurs adhérents.Quoi qu’il en soit, le problème de la formation reste une priorité pour les députés. Un amendement relatif à la formation en lien avec la mise en place des syndics d’intérêt collectif aurait été déposé. De fait, au vu de la multiplication des contraintes pesant sur les immeubles en termes de travaux de rénovation, favoriser la montée en compétences des gestionnaires par plus de formation continue obligatoire est une solution à ne pas écarter.
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Les enjeux
Les syndics de copropriété vivent un paradoxe : alors qu’ils gèrent 90% des immeubles collectifs, ils font l’objet de beaucoup de critiques de la part de l’opinion. Ils peinent également à obtenir une reconnaissance financière de nature à garantir à leur activité un modèle économique solide : la question du niveau estimé insuffisant de leurs honoraires est lancinante. Enfin, la profession rencontre des difficultés pour recruter et l’attractivité de ce métier semble moindre que celle des autres métiers de la filière immobilière. L’actualité législative est venue révéler combien la suspicion envers les syndics professionnels était partagée par les décideurs publics : le projet de loi relatif à l’accélération et à la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé et des grandes opérations d’aménagement – à l’examen du parlement – comporte une mesure qui instaure une véritable présomption de culpabilité pour les gestionnaires qui ne déclenchent pas la procédure d’alerte prévue dans le cas d’impayés de charges d’un certain volume. En outre, de nombreux amendements ont été déposés par des députés tendant à limiter les marges de manœuvre des professionnels et à les contrôler davantage. Le plus récent épisode politique est venu ajouter une raison de s’interroger sur l’avenir de l’encadrement de l’activité de syndic professionnel : dans son discours de politique générale, le Premier ministre a dit vouloir « déverrouiller les syndics ». La perspective d’une dérégulation et d’une sortie de la loi Hoguet semble se dessiner. Que peut faire la profession pour créer avec l’opinion et les pouvoirs publics une relation de confiance ? Doit-elle donner plus de gages de compétence et de transparence qu’elle n’en donne ? Faut-il une plus forte régulation, voire une autorégulation du métier ? Faut-il à l’inverse relâcher les contraintes règlementaires et favoriser un marché sans règles rigides ?
Les intervenants
Le débat est animé par Henry Buzy-Cazaux, président-fondateur de l’Institut du Management des Services Immobiliers, secrétaire général du Cercle. Avec :
- Lionel CAUSSE, député des Landes, président du Conseil national de l’habitat
- Arnaud COLL, président de la commission gestion de copropriété de la FNAIM
- Émile HAGÈGE, directeur général de l’Association des responsables de copropriété (ARC)
- Olivier SAFAR, président de Quali SR, vice-président de l’UNIS
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