Mar 28

DPE revu, RGE simplifié, MaPrimeRenov élargie, exceptions à l’obligation de travaux : et si la transition énergétique du parc locatif privé n’était plus un problème ? – Mardi 9 avril à 18h

La synthèse

Des mesures politiques instruites pour encourager la rénovation énergétique du parc privé

« 80% du parc de logements de 2054 est déjà construit. De ce fait, en matière de développement durable, c’est sur le parc existant qu’il faut mettre le paquet ! », déclare Thierry Repentin, président de l’Agence nationale de l’habitat (ANHA), tout en pointant le retard pris par le secteur privé par rapport au secteur HLM, ce dernier consommant 30 % d’énergie et d’eau de moins. Et, de fait, des mesures ont été prises, dès 2019, pour mettre un place une aide stable pour la rénovation de l’habitat avec la disparition du crédit d’impôt sur la transition énergétique (CITE) au profit du dispositif MaPrimeRénov’. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : depuis 2020, 2 150 000 ménages ont bénéficié de MaPrimeRénov’, ce qui représente plus de 10 milliards d’aide publique. Sur l’année 2023, ce sont 624 000 logements qui en ont tiré parti. 

Les efforts sont aussi perçus lorsque l’on compare l’augmentation du budget alloué à l’ANHA depuis ces trois dernières années : « Je suis président d’un établissement public qui a voté l’an dernier un budget au bénéfice des propriétaires de France de 6,3 milliards d’euros. En 2019, le budget était de 700  millions d’euros. (…) Pour passer à un tel budget, il faut développer considérablement le réseau pour l’instruction des dossiers. Nous traitons à peu près 25 000 dossiers de particuliers chaque semaine », souligne Thierry Repentin. Et quant au fait que ce budget ait été récemment rogné d’un milliard d’euros par Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, le président de l’ANHA se veut rassurant, même s’il n’approuve pas cette décision : « Je ne peux pas évidemment dire que c’est une bonne décision. (…) C’est le signe envoyé qui est difficile parce qu’on a le sentiment qu’on revient en arrière et que l’on va peut-être réduire le nombre de bénéficiaires. Mais je peux vous rassurer sur ce point. Tous les ans, en fin d’année, on met une somme de côté pour éventuellement la redistribuer sur les territoires qui ont le plus consommé. En fin d’année 2023, on a mis de côté 800  millions d’euros. Il n’y aura donc pas de diminution du nombre de dossiers sur l’année 2024 ».

Toujours dans l’objectif d’inciter les propriétaires à se lancer dans la rénovation énergétique, des assouplissements ont été accordés. À titre d’exemple, est prolongée jusqu’au 31 décembre 2024 la dispense de DPE pour bénéficier de MaPrimeRénov’ dans le cadre d’une rénovation par geste. De même, l’aide peut être obtenue en vue de réaliser des travaux d’isolation, dans le cadre d’une rénovation mono-geste, avec là encore, une dispense concernant l’intervention de Mon Accompagnateur Rénov’.

Des mesures pédagogiques et d’accompagnement encore attendues

Le président de l’ANHA précise que 70 % du budget de MaPrimeRénov’ vont aux ménages les plus modestes et que ce sont les propriétaires occupants de maisons individuelles qui y ont le plus recours (pour 2023 : environ 52 000 copropriétés seulement pour un total de 624 000 dossiers) : « c’est une aide qui est plus juste que celle qui était auparavant proposée parce qu’elle est proportionnelle aux revenus que vous avez et à l’ampleur des travaux que vous faites. Elle est assez bien distribuée sur l’ensemble du territoire national, (…) du fait de la présence des 585 bureaux France Rénov’, qui couvre aujourd’hui 96% des EPCI ». Il se veut confiant et estime que la proportion des bénéficiaires de l’aide dans les copropriétés devrait augmenter dans les années à venir : « J’ai l’intime conviction que les copropriétés seront bien plus nombreuses qu’elles ne l’ont été par le passé. On a une montée en puissance à la fois liée au fait qu’on a une amélioration du système de financement depuis fin 2023 et au fait que certains textes réglementaires (qui pénalisent les logements classés F ou G) induisent une prise de conscience chez des propriétaires bailleurs qui laissaient faire mais qui face à ces règlements aujourd’hui vont devoir faire. (…)  La législation devenant contraignante pour louer va influer sur le nombre de dossiers ». Une contrainte calendaire dénoncée par les professionnels de l’immobilier mais qui ne trouve écho ni auprès du gouvernement ni auprès du président de l’ANHA : « Il y a de grandes différences entre les territoires. Il y a des collectivités locales qui se sont positionnées par exemple sur MaPrimeRénov dès 2019 en étant très proactives, en accompagnant par exemple l’aide publique nationale avec des subventions complémentaires, en accompagnant les démarches avec de la pédagogie. (…) On voit que l’obligation réglementaire fait bouger les lignes ». Toutefois, Thierry Repentin reconnaît que le secteur de l’immobilier n’est pas à l’abri de voir émerger, dans le parc ancien, un marché gris composé de logements locatifs proposés à des ménages fragiles dans des copropriétés dégradées.

Guillaume Exbrayat, président de Diagamter, vice-président de Sidiane, rappelle que le DPE existait avant la loi « Climat et résilience » et révèle, qu’effectivement, la mesure coercitive fonctionne bien auprès des Français puisque, dans son réseau, depuis 2021, la part des DEP pour le marché locatif a augmentée de 20 %. Malgré tout, il condamne l’immobilisme politique concernant le calendrier : « Marché gris ou pas, l’enjeux de la fin d’année ne pourra pas être atteint ; (…) les logements F représentent 15 % du parc, les logements G 6 %. (…) Je ne peux pas imaginer que l’on va laisser les particuliers, les professions de l’immobilier dans une insécurité juridique ». 

Sylvain Grataloup, président de l’Union des propriétaires immobiliers, relaie que nombre de copropriétaires ne sont pas au fait des obligations liées à la rénovation énergétique : « Dans les territoires, on commence aujourd’hui à comprendre qu’il faut faire quelque chose ». En revanche, il dénonce le fait que les copropriétaires se désintéressent des parties communes : l’élan de rénovation s’opère avant tout au niveau des parties privatives, ce qui ne permet pas d’obtenir les résultats attendus puisque la rénovation énergétique n’a pas été envisagée au niveau global de l’immeuble. Outre, le travail de sensibilisation opéré notamment avec le dispositif Bail Rénov’, il prône que le registre des copropriétés soit complété par des données relatives à la performance énergétique (DPE, équipements nouveaux réalisés à l’aide de MaPrimeRénov’). Évoquant certaines catégories de copropriétés, il s’interroge de savoir si toutes sont bien répertoriées : « Il y a un certain nombre de copropriétés qui sont gérées par des bénévoles ou qui, tout simplement, ne sont pas gérées parce que ce sont de petites copropriétés. Un très grand nombre est à mille lieux de connaître cette obligation ». Thierry Repentin trouve l’idée pertinente, même si cela nécessite un travail supplémentaire pour les syndics pour réalimenter le registre de ces nouvelles données.

Concernant la rigueur du calendrier, Sylvain Grataloup estime que « l’ambition est démesurée », notamment pour tous ces propriétaires qui doivent agir dans de brefs délais pour échapper à l’interdiction de louer prochainement leur bien. Il aurait préféré que le gouvernement préconise l’incitation et non la sanction : « Pourquoi n’a-t-on pas laissé jusqu’à 2050 pour rénover ? (…) Par l’incitation, on peut faire beaucoup de choses. Plus on se rapproche de la date butoir, moins les incitations fiscales sont importantes. (…) Or, une incitation fiscale est un outil très précieux qui aurait permis d’accélérer le processus ». D’autant que les Français font face au problème récurrent qu’est le financement, tant pour acquérir un bien que pour procéder à sa rénovation énergétique. Malgré l’existence de nombreuses aides (dont les conditions d’accès sont variables et complexes), le reste à charge constitue un frein à la rénovation. Et Emma Freyd, présidente cofondatrice d’Optimmo Energies (entreprise d’innovation spécialisée dans la rénovation énergétique disposant d’un outil capable d’établir un plan de travaux chiffré profilé) de confirmer : « On a un réel sujet sur le financement de la rénovation énergétique (…). C’est une vraie difficulté pour un propriétaire bailleur, notamment, de prendre la décision d’investir dans des travaux de rénovation énergétique. Selon notre retour de terrain, environ un propriétaire sur cinq fait le choix de mettre en vente son bien à la vue de l’étude qui lui expose le montant de son investissement en milliers d’euros. (…) Il faut subventionner massivement cette rénovation énergétique en conservant, à mon avis, les mesures d’interdiction ».

Des changements opérés et des propositions à venir dans le domaine du DPE 

Guillaume Exbrayat le clame haut et fort : « Arrêtez le DPE bashing et de critiquer sans cesse les diagnostiqueurs ! (…) Le DPE est un outil correct qui fonctionne dès lors qu’il est bien renseigné, c’est-à-dire, lorsque l’on a un propriétaire qui collabore en fournissant les documents dont nous avons besoin ». Cette absence de documents peut parfois s’expliquer par les prix exorbitants pratiqués par certains syndics pour la simple délivrance de ces données au propriétaire. La conséquence est que ce sont des valeurs par défaut qui sont alors inscrites. Pour informer l’acquéreur et le locataire, Guillaume Exbrayat propose que soit mentionné le défaut de documents en ajoutant un indice de complétude. 

Autre sujet de discorde : le niveau de qualification des diagnostiqueurs. « On a découvert un peu étonnés que l’on pouvait, maintenant, être RGE pour les entreprises de moins de dix salariés avec quasiment pas de contraintes ; il suffit que l’un soit RGE (…). Nous militons pour réintroduire très rapidement l’obligation de faire un DPE dans le cadre de la rénovation. (….) Mais j’ai cru voir que la Fédération française du bâtiment souhaitait que la suspension du DPE soit prolongée jusqu’en 2025. Nous, on se bat contre cela. Il faut absolument qu’il y ait un tiers indépendant pour éviter des abus », martèle Guillaume Exbrayat. Pour lui, les artisans RGE, qui utilisent les mêmes outils que les diagnostiqueurs pour établir un bilan énergétique, ont tendance à recommander « les gestes les plus efficaces qu’ils pratiquent eux-mêmes », ce qui constitue un conflit d’intérêt et va à l’encontre de l’attitude neutre et indépendante attendue. 

Face à la difficulté de pouvoir trouver des entreprises compétentes et fiables, Emma Freyd temporise : « On manque de professionnels RGE dans le secteur, ce qui explique l’adaptation de la loi pour permettre d’obtenir ce label plus facilement. (…) Donner un agrément plus simplement, c’est, a priori, dénigrer la formation suivie par ces professionnels et la qualité du service rendu. (…) Toutefois, j’aimerais porter aujourd’hui la voix de tous ceux qui ne sont pas RGE et qui n’ont pas besoin d’être RGE pour savoir faire de l’isolation ou changer les fenêtres. Nous travaillons avec des professionnels qui ne sont pas RGE, nous définissons nos propres critères qui permettent de sélectionner ces entreprises qui sont éligibles pour demander des aides, ont une disponibilité plus grande, et parfois des prix un peu inférieurs qui viennent compenser les aides. (…) Il faut être pragmatique. En tout cas, il faut former la filière car tout le monde devrait être RGE, être en capacité technique d’exécuter des travaux de rénovation énergétique ».

Concernant les correctifs des DPE pour les petites surfaces, Guillaume Exbrayat explique que son réseau a mis en ligne un simulateur qui prend en compte les données prévues dans l’avant-projet de décret : « Sur 1000 simulations, très peu ont des étiquettes qui bougent. (…)  Lorsque vous êtes à 40 m², un peu en dessous, les modifications sont quasiment nulles. En dessous de 20 m², vous gagnez, des étiquettes. Le phénomène d’altitude joue. Mais ce qui va bouger – mais qu’on n’a pas encore pu mesurer par les simulations – c’est la question de la surface. Aujourd’hui, on intègre la surface dite “ habitable ”. Or le projet de décret (…) intègre une surface de référence qui est composée de la surface habitable, augmentée de celle des vérandas et de ce que la première version du décret appelait “ les pièces de vie “ . On a réussi à faire bouger cela puisque les pièces de vie n’ont pas d’existence juridique. Ce sont des locaux chauffés pour l’occupation humaine avec une hauteur sous plafond inférieure à 1m 80. Cette notion de surface peut amender au moins autant les étiquettes que la correction sur les seuils ».
Pour conclure Guillaume Exbrayat rappelle l’importance de mettre en place un plan pluriannuel de travaux intégrant un bilan énergétique avec, en perspective, les travaux à réaliser sur trois ans et souligne que si la rénovation du parc privé est « violente », elle demeure inévitable et est maintenant motivée par une autre réalité : « 80% des rénovations énergétiques ne sont pas faites pour le climat. Elles sont faites pour des économies dans les coûts d’exploitation. Le coût de l’énergie est un problème massif et durable. L’énergie va coûter de plus en plus cher, et par voie de conséquence les retours sur investissement vont se raccourcir de plus en plus. »

Regardez la conférence en replay !

Les enjeux

Le gouvernement a récemment apporté plusieurs assouplissements relatifs aux obligations de rénovation énergétique des logements, en particulier à destination de la location. Le diagnostic de performance énergétique pour les plus petites surfaces a été modifié et cette évolution permet ainsi à de nombreux biens de remonter dans l’échelle de performance. Obtenir le label « Reconnu garant de l’environnement » est désormais plus facile pour les artisans du bâtiment. L’aide phare, qui devait être réservée aux travaux de rénovation globale, devient accessible aux monogestes. Enfin, des ajustements juridiques garantissent en outre aux propriétaires bailleurs de ne pas tomber sous le coup de l’interdiction de louer dans un certain nombre de cas.

Les inquiétudes des investisseurs et des gestionnaires ont-elles des raisons de s’apaiser ? Les obligations de mutation écologique du parc locatif privé sont-elles désormais réalistes ? Va-t-on vers une accélération de la transition écologique de l’offre de locations ?  


Les intervenants

Le débat est animé par Henry Buzy-Cazaux, président-fondateur de l’Institut du Management des Services Immobiliers, secrétaire général du Cercle. Avec :

  • Guillaume Exbrayat, président de Diagamter, vice-président de Sidiane
  • Emma Freyd, présidente cofondatrice d’Optimmo Energies
  • Sylvain Grataloup, président de l’Union des propriétaires immobiliers
  • Thierry Repentin, président de l’Agence nationale de l’habitat
Guillaume EXBRAYAT
Président de Diagamter, vice-président de Sidiane
Emma FREYD
Présidente cofondatrice d’Optimmo Energies
Sylvain GRATALOUP
Président de l’Union des propriétaires immobiliers
Thierry REPENTIN
Président de l’Agence nationale de l’habitat