Oct 03

Comment relancer l’investissement locatif dans l’ancien ? – Mardi 15 octobre à 18h

La synthèse

La valorisation souhaitée de la location vide de longue durée

« Penser autrement le logement à long terme » est la mission qu’a accepté de mener Annaïg Le Meur, députée du Finistère. En novembre 2023, à la suite de la remise de son rapport visant à remédier aux déséquilibres du marché locatif en zone tendue, elle s’est vu confier une mission temporaire qui a donné lieu à une proposition de réforme de la fiscalité locative. Le souhait était d’inscrire un changement de paradigme : « Ne plus raisonner en location nue ou meublée mais plus en courte et longue durée (…) et orienter davantage les investisseurs sur de la location à l’année ce qui n’était pas évident au vu du statut fiscal actuel bien moins avantageux notamment dans le nu, (…) que cela soit au réel ou en forfaitaire. L’objectif était aussi d’orienter les investisseurs vers des logements abordables, conditionnés à des critères sociaux », résume la députée. De ce travail, une mesure a été retenue dans le projet de loi de finances pour 2025  (art. 24). Elle vise à établir une égalité de traitement entre les loueurs professionnels (LMP) et non professionnels (LMNP) en réintégrant, lors de la cession d’un bien, les amortissements déduits pendant la période de location pour le calcul de la plus-value immobilière : « Ce que je déplore c’est qu’elle a été retenue de façon isolée. (…). Cela en fait une mesure plutôt anti-spéculation puisque c’est pour inciter à une détention du bien plus longue si on ne veut pas payer de plus-value, plutôt que d’avoir une rotation des biens plus fréquente. Mais il n’y a pas de proposition (pour l’instant) qui introduise un bonus fiscal pour l’investisseur qui irait sur du nu à l’année.  Donc (…) on n’a pas fait la bascule vers quelque chose que l’on voulait porter, à savoir réorienter les investisseurs vers un produit qui apporte toujours une rentabilité mais aussi et surtout une solution de logement d’un point de vue sociétal à l’ensemble de nos citoyens ».

À propos des résidences gérées, Annaïg Le Meur préconise un dispositif particulier : « J’ai demandé une mission auprès de la commission des affaires économiques sur les résidences gérées (…) pour pouvoir continuer à avoir un modèle qui nous permette d’investir de façon à loger des gens à l’année ».  

Haro sur les locations de meublés de tourisme

La députée relève que la proposition de loi transpartisane pour réguler la location des meublés de tourisme, modifiée par le Sénat sous l’ancienne législature, a été renvoyée à la commission des affaires économiques : « la proposition devrait trouver date pour son examen final » (NDRL : la date retenue par la CMP est le 28 octobre 2024). Elle aurait souhaité une équité fiscale entre location nue, meublée et meublée classée concernant les abattements. Elle estime que l’on s’oriente vers un 50 % nue et 30 % meublé : « est-ce que l’on va aligner les classées à 50 % ? C’est une question qu’on va se reposer certainement en commission mixte paritaire sachant que les sénateurs ont été plus durs que nous et qu’ils ont réaligné à 30 % tout le monde. En tout cas, on voudrait rehausser au moins le nu ». À noter que les députés ont aussi prévu un amendement au projet de loi de finances ayant pour objectif de contraindre les bailleurs de meublés de tourisme à facturer la TVA à leurs locataires. 

Sur le sujet de la rénovation énergétique, Annaïg Le Meur souhaite que les obligations pèsent aussi sur les loueurs de location meublée de courte durée pour contrer la stratégie d’évitement de certains propriétaires : « Il y a des réaménagements à faire évidemment sur les obligations de DPE dans le délai contraint. Ce n’est pas forcément changer le délai mais réaménager ce qui est à l’intérieur. Il y a quand même une volonté de pragmatisme et de réalisme, notamment pour les copropriétés dégradées.  (…) Il y a une nécessité d’améliorer l’accompagnement. (…) Si on dit qu’on fait un loyer abordable et que derrière le coût énergétique est fort, on va se retrouver à mettre aussi des locataires en difficulté. C’est donc tout un ensemble à considérer ».

Une autre évolution est prévue dans la proposition de loi : la faculté donnée à tous les maires (et non plus uniquement ceux des communes de plus de 200 000 habitants) de réguler les locations meublées de courte durée sur leur territoire. « C’est une boîte à outils que les maires seront libres d’utiliser ou non. (…) Ainsi ceux qui ont connaissance de projets d’installation d’entreprises sur leurs territoires pourront anticiper et prévoir des logements pour les salariés. (…) Avec le numéro d’identification et le numéro de changement d’usage, les maires pourront mieux connaître le parc immobilier et son usage. (…) Ils pourront ainsi définir des quotas soit par quartier, soit sur la ville totale. Au-delà de cela, on a prévu une mesure un petit peu novatrice : la servitude principale dans le plan d’urbanisme (PLU), qui permet de définir la destination du bien mais pas forcément son usage », illustre Annaïg Le Meur. 

Le faux espoir d’un statut du bailleur privé  

Concernant le statut de bailleur privé, la députée se veut réaliste : « Elle a été budgétée à 3 milliards d’euros par an. Un chiffre contestable. (…) Il est difficile d’estimer combien de personnes vont passer d’un régime forfaitaire à un régime réel.  Vu le contexte actuel, il m’est difficile de penser que cette proposition puisse passer. Mais il fallait la mettre parce qu’elle répondait à la lettre de mission qui m’était confiée ».

Le frein identifié : la méthode de calcul retenue par les organismes prêteurs

Du côté des banques, le mode de calcul pour définir le taux d’endettement accordable aux investisseurs a changé : « On supprime le calcul en différentiel. C’est une vraie perte pour le marché de l’investissement et du financement de la rénovation énergétique », dénonce Carine Papo, chargée de développement à La Centrale du Financement, qui a vu le nombre de ses dossiers de financement divisé par deux entre 2021 et 2023. Pour mémoire, ce calcul permet de tenir compte de l’ensemble des revenus à venir. Si le loyer est de 500 euros et que l’investisseur a 300 euros d’échéance de crédit, il dispose de 200 euros de cash-flow. « Aujourd’hui on prend un mode de calcul qu’on appelle “en cumulé”, c’est-à-dire qu’on va prendre les revenus locatifs pondérés à 70-80 ou 90 %, selon certaines banques, parce qu’on considère qu’il y a des charges et des impôts fonciers. (…) On ajoute aux revenus locatifs à venir les revenus de salaire et on va prendre uniquement 33 % d’endettement (ou 35 % assurance comprise). Prenons l’exemple d’un investisseur qui dispose de 60 000 euros de revenus net et est propriétaire de sa résidence principale. Avec la méthode du différentiel on est à 28 % d’endettement, ce qui est très bien ; mais avec les nouveaux critères du Haut conseil de stabilité financière (HCST) depuis 2021, on passe à 40-44 % et dans ce cas, on ne peut pas le financer (…) C’est contre-productif (…) et par-dessus tout cela on ajoute les diagnostics de performance énergétique qui sont devenus finalement des outils commerciaux : (…) Si vous êtes diagnostiqué F ou G soit on vous majore le taux, soit on vous demande un apport qui va être de 10 ou 15 % en plus des frais annexes. (…) De même, certaines banques ne prennent pas du tout en compte vos revenus locatifs à venir si vous êtes diagnostiqué F ou G, même si vous certifiez effectuer des travaux. (…) d’autres vont proposer des financements de prêts personnels de travaux hors bilan, qui ne sont pas soumis à la règlementation bancaire et qui permettent d’aller au-delà des 35 % d’endettement », expose Carine Papo. Cette dernière précise que l’enveloppe discrétionnaire de 20 % mise à la disposition des établissements bancaires pour permettre de dépasser le 35 % d’endettement est un outil pour fidéliser une clientèle à hauts revenus.

Les dispositifs assurantiels : véritables garants de la relance de l’investissement locatif

Relancer l’investissement dans le parc locatif est un enjeu patrimonial et financier mais surtout sociétal, comme le rappelle Jérôme Drunat, directeur général de l’APAGL : « 72 % des jeunes de moins 25 ans sont locataires du parc locatif privé, ce qui apporte de la décohabitation ;  28 % des ménages logés dans le parc locatif privé ont des ressources inférieures au PLAI  (NDRL : prêt locatif aidé d’intégration) (…), cela correspond à environ 2 600 000  ménages  à loger dans le parc social (…) ; au niveau de la mobilité, on estime environ à 1 500 000 le nombres d’entrées par an dans le parc privé ( versus 450 000 dans le parc social). Ces trois chiffres montrent (…) l’importance d’avoir des politiques publiques qui viennent favoriser l’investissement locatif. (…) ». Ces facteurs ont été pris en compte par les partenaires sociaux d’Action Logement lorsqu’ils ont créé, en 2016, la garantie Visale. Ce dispositif de caution locative ne vient pas concurrencer la garantie des loyers impayés (GLI).  Gratuite mais reposant sur des critères d’éligibilité (92 % des bénéficiaires ont moins de 30 ans), la garantie Visale connaît un certain succès. Depuis sa création, 1 500 000 contrats ont été signés (319 000 en 2023 ; 376 000 estimés pour 2024). « On estime notre taux de pénétration sur le flux à 22-23 % (…) », signale le directeur général de l’APAGL. Ce dernier fait remarquer que les administrateurs de biens contribuent à cette croissance, puisque plus de 10 000 auraient déjà eu recours à la garantie Visale. Un chiffre qui pourrait augmenter puisque des partenariats ont été signés entre Action Logement et les fédérations professionnelles (FNAIM, UNIS).

Jean-Paul Boudignon – spécialiste en assurances immobilières, professeur à l’ESI et à l’IMSI – confirme que le recours aux deux dispositifs assurantiels (Visale et GLI) progresse du côté des administrateurs de biens qui gèrent un tiers du parc privé :  le taux d’équipement se situerait aux alentours de 40 %. On constate, toutefois, des disparités dans les cabinets : certains auraient un taux de 50-60%. « Les administrateurs de biens utilisent les dispositifs en fonction des personnes qu’ils vont rencontrer et, surtout, en fonction de la tension des marchés sur lesquels ils agissent. (…) Ce qui est intéressant c’est qu’on voit aussi que le dispositif Visale est accaparé par un certain nombre d’administrateurs de biens aussi bien en zones tendues que détendues », relève Jérôme Drunat. Quoi qu’il en soit, Jean-Paul Boudignon estime que trop de professionnels favorisent encore la caution personnelle au détriment de la garantie Visale ou la GLI : « la caution personnelle est une très mauvaise solution de sécurisation (…)   parce que l’on prend les mêmes critères de sélection que ceux exigés pour un locataire (revenus trois fois supérieurs au montant du loyer). Or (…) on ne tient pas compte de son reste à vivre ». À cela s’ajoute le fait que la vérification de la solvabilité de la caution est aléatoire, que son engagement est parfois inefficace du fait de problèmes liés à la rédaction de l’acte (mention manuscrite), et que la caution peut connaître, elle-même, des difficultés économiques. Et Jérome Drunat va plus loin : « la caution personne physique est discriminatoire et inégalitaire ». 

La garantie Visale atteint donc son objectif. Ainsi 76 % des bailleurs auraient modifié leurs critères pour sélectionner leur locataire : le contrat de travail à durée déterminée et le taux d’effort de 33 % ne sont plus bloquants. Et malgré l’économie ambiante, Action Logement ne constate pas de modification significative concernant la sinistralité de la garantie : « On peut avoir des variations mais la structure de ces frais se maintient. (…) Le bénéficiaire de Visale priorise le paiement de son logement avant d’engager d’autres dépenses en cas de situation un peu compliquée », indique Jérôme Drunat.

Malgré un succès grandissant, les conditions d’éligibilité de ces garanties sont-elles trop restrictives ? Les critères des compagnies d’assurance auraient beaucoup évolué. L’exigence du CDI s’est atténuée puisque 80 % des personnes entrent sur le marché du travail avec un CDD. Pour ce qui est du taux d’effort, ce dernier est passé de 33 à 37 %. En outre, depuis la loi du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion (MOLLE), le recours à une caution personnelle en cas d’octroi d’une GLI est interdit. Aujourd’hui, les assureurs ont créé des modules de certification et d’authentification des documents remis par le locataire. Ces outils d’aide à la sélection des candidats locataires permettent de sécuriser la relation contractuelle et lutter contre les dossiers falsifiés. À Paris, ils seraient de l’ordre de 20 %, et de 10 % en province. Pour Jean-Paul Boudignon : « je pense qu’à l’avenir, on va aller vers une personnalisation encore plus forte. Chaque profil sera examiné (…) : un CDD dans le milieu médical ne sera pas regardé de la même manière qu’un CDD dans le milieu artistique ».

Si les produits assurantiels ont fait leur preuve, l’obligation d’y souscrire n’est pas souhaitée, même si cela aurait pour effet de faire baisser leur coût. Le taux actuel de GLI oscillerait entre 1,80 % et 3 % du loyer. Le prix moyen de cotisation d’une GLI serait de 250 euros par an, montant intégralement déductible des revenus fonciers. « Il faut mettre cette dépense de 250 euros en regard avec le risque d’un loyer impayé, qui correspond au minimum à 8 000 euros », relativise Jean-Paul Boudignon. Serait davantage encouragée l’idée d’une obligation de présentation pesant sur les administrateurs de biens.

À la demande exprimée par Emmanuel Macron d’étendre la garantie Visale à d’autres publics, le directeur général de l’APAGL répond : « généraliser Visale poserait une question de financement puisque les partenaires sociaux n’auraient pas la capacité financière (…) et également une question de déplacement de la discrimination : si tout le monde avait la même garantie, les bailleurs retiendraient d’autres critères discriminatoires pour sélectionner leurs locataires , (…) qui seraient beaucoup plus difficiles à maîtriser ». Dernièrement, Action Logement a procédé à des aménagements pour accorder la garantie Visale aux saisonniers : « on est toujours dans la logique d’aller chercher des cibles qui ont des problèmes spécifiques d’accès au logement et qui ne sont pas garantis par le marché », conclut Jérôme Drunat.

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Les enjeux

En deux ans, la proportion d’achats de logements existants par des investisseurs particuliers, destinés à être loués, a fondu de moitié, passant de l’ordre de 20% à 10% du nombre de transactions.

Les conséquences sont lourdes : les ménages peinent de plus en plus à trouver une location presque partout en France, avec plus de dix fois de demandes qu’il n’y a d’offres. Les plus jeunes et les étudiants, mais aussi les travailleurs mobiles sont les premiers pénalisés. Le report sur la file d’attente des logements HLM est patent : elle a cru de 100000 unités en six mois, pour atteindre 2,7 millions de dossiers.

Les causes sont multiples, des difficultés à financer un investissement locatif au trop faible rendement en passant par le risque d’impayés ou le déséquilibre perçu entre les droits du locataire et du bailleur et la menace des interdictions de louer.

Comment y remédier et relancer l’investissement locatif privé ? Des experts vous répondent.


Les intervenants

Le débat est animé par Henry Buzy-Cazaux, président-fondateur de l’Institut du Management des Services Immobiliers, secrétaire général du Cercle. Avec :

  • Jean-Paul Boudignon, spécialiste en assurances immobilières, professeur à l’ESI et à l’IMSI
  • Jérôme Drunat, directeur général de l’APAGL
  • Annaïg Le Meur, députée du Finistère, auteur du rapport au gouvernement sur la réforme de la fiscalité de l’investissement locatif
  • Carine Papo, chargée de développement à La Centrale du Financement 
Jean-Paul Boudignon
Spécialiste en assurances immobilières, professeur à l’ESI et à l’IMSI
Jérôme Drunat
Directeur général de l’APAGL
Annaïg Le Meur
Députée du Finistère, auteur du rapport au gouvernement sur la réforme de la fiscalité de l’investissement locatif
Carine Papo
Chargée de développement à La Centrale du Financement