Le constat
Tout porte à croire que l’envie des ménages d’acheter des logements, tant pour habiter que pour investir, n’a pas été affectée par la crise économique. La consultation des portails d’annonces et les demandes de visites de biens en attestent. Dans le même temps, les refus de prêts immobiliers sont trois fois plus nombreux qu’à la même période de l’année précédente. En cause, la fragilisation des revenus de certains ménages, mais surtout l’application des critères d’octroi des crédits édictés en novembre 2019 par le Haut conseil de stabilité financière, présidé par le ministre de l’économie, des finances et de la relance.
Les questions
- En dépit des circonstances, ils n’ont été ni assouplis ni adaptés, et amputent la reprise de l’activité d’achat de logements neufs et existants par les ménages. Quelle évolution possible?
- Le risque de surendettement par le crédit immobilier est-il réel en France?
- Faut-il craindre un risque d’emballement des prix, encouragé par un accès ouvert aux crédits?
- Le Haut conseil se réunira au cours de ce mois, alerté par la ministre du logement de ces difficultés. Quelle est l’attitude des banques dans ce contexte? Qui accède encore au crédit pour l’achat de la résidence principale, notamment pour la première opération?
- L’investissement locatif est-il encore ouvert aux Français avec la limite du taux d’effort de 33%?
Prochaine conférence du Cercle des Managers de l’Immobilier, organisée le mercredi 9 décembre 2020 à 18h
Débat animé par Henry Buzy-Cazaux, président fondateur de l’Institut du Management des Services Immobiliers.
Les intervenants
La synthèse
Le 20 décembre 2019, le Haut conseil de stabilité financière (HCSF) publiait une recommandation à destination des établissements de crédits et des sociétés de financement (Recommandation n°R-HCSF-2019-1 du 20 décembre 2019). Relatif aux conditions d’octroi de crédit immobilier résidentiel, le texte ordonne la prudence pour prévenir « une dynamique excessive de l’endettement des ménages ». A cet effet, sont définis les critères de « bonne pratique » d’octroi, de rachat mais aussi de renégociation des crédits immobiliers résidentiels en France : un taux d’endettement ne pouvant excéder 33% ; une durée de crédit ne pouvant aller au-delà de 25 ans. Une marge de flexibilité maximale de 15 % de la production trimestrielle de nouveaux crédits est, toutefois, prévue, assortie d’un endettement ne pouvant être supérieur à 7 ans de revenu.
Le HCSF précisait qu’ « Au moins les trois-quarts de cette flexibilité maximale sera réservée aux primo-accédants et aux acquéreurs de leur résidence principale » et que la « recommandation complète et renforce le jugement des établissements de crédit et des sociétés de financement dans leur appréciation des risques. Elle ne saurait en aucune manière s’y substituer ni, en particulier, les conduire à assouplir leur politique d’octroi ». Si le texte, en apparence, garantissait un libre arbitre aux établissements de crédit dans leurs prises de risque, il a rapidement produit les effets d’une résolution ayant force obligatoire dont la violation est assortie de sanction.
Associée à la crise économique, conséquence de la pandémie, la recommandation a conduit au bouleversement du marché de l’immobilier, à une pénalisation de toute la filière immobilière. Pour autant, sont-ils les seuls coupables du dérèglement ? Qui peut, aujourd’hui, emprunter ? Quels seraient les effets de leviers pour relancer l’économie immobilière ?
L’année 2019 avait battu tous les records : année euphorique en matière d’octroi de crédit, le nombre de transactions immobilières s’est élevé à 1 059 000 transactions. Douze mois plus tard, c’est une baisse de 12 à 15 % que les professionnels de l’immobilier s’accordent à pronostiquer. La raison principale ? L’accroissement du taux de refus. « On l’a vu augmenter progressivement tout au long de l’année et dès la mise en place de la recommandation du Haut conseil de stabilité financière», déclare Sandrine Allonier, directeur de la communication de vousfinancer.com, qui estime à 20 ou 30 % la part des refus dans le futur. Selon l’Observatoire crédit logement (CSA), sur les 11 premiers mois de l’année 2020, les crédits immobiliers aux particuliers sont en baisse de 16 % (- 11 % pour l’ancien ; – 28 % pour le neuf). Mais qui sont les exclus ?
Des profils variés d’emprunteurs refoulés
Les premières victimes sont les primo-accédants, ceux-là même qui devaient, selon les dires du HCSF, bénéficier du système de flexibilité prévu par le texte. Aux critères officiels se sont ajoutés des critères officieux, à l’initiative des établissements bancaires. « Le critère d’apport personnel n’était pas défini dans cette recommandation mais il était sous-jacent (conséquence de la limite d’endettement exprimée en années de revenus) », souligne Philippe Taboret, directeur général adjoint de Cafpi. Aujourd’hui, sans apport personnel, les chances d’obtenir un crédit s’évanouissent. A cela, les banques ont ajouté la nécessité pour l’emprunteur de disposer d’épargne après opération, une épargne dite de « précaution », ainsi qu’un reste à vivre suffisant. Selon Sandrine Allonier, une banque en Ile-de-France aurait augmenté ses seuils de reste à vivre : « Ils sont passés de 1200 à 1500 euros pour un couple au mois d’octobre ».
Autres grands perdants : les investisseurs. Généralement déjà propriétaires de leur résidence principale avec un crédit en cours ou multipropriétaires, ils sont pénalisés, dès lors que la limite du taux d’endettement de 33 % s’applique dorénavant à tous.
Les retraités, les CSP +, les chefs d’entreprises qui opèrent dans les secteurs de l’évènementiel ou le tourisme, ou encore les professions libérales ne sont pas épargnés. « Tous les profils sont touchés avec une relativité différente. Sur les dossiers, on constate que ceux qui pouvaient emprunter 380 000 euros il y a six mois, sont, aujourd’hui, mis sur un emprunt possible à 340 000 », rapporte Christine Fumagalli, présidente du réseau ORPI, tout en soulignant que la difficulté pour les professionnels est l’absence « de lecture confortable (…) en termes de conseil à donner à un client ».
Une prévention des risques partagée et mesurée
Si la prévention du risque incombe aux établissements bancaires (qui sont dans leur rôle de ne pas prêter aux personnes qui ne pourraient pas payer), elle échoit aussi aux courtiers et aux agents immobiliers. « On est là pour analyser ce risque et l’adapter à l’évènement. Il y a eu des périodes où le crédit était plus difficile, le taux beaucoup plus élevé, où le marché s’effondrait. On a toujours su faire face à nos responsabilités (…) pour pouvoir accompagner l’accession à la propriété ou à l’investissement dans les conditions raisonnables de l’instant », s’empresse de rappeler le courtier Philippe Taboret. Et Christine Fumagalli de compléter que l’analyse de l’agent immobilier doit tenir compte des intérêts du client acheteur (veiller à ne pas se lancer dans un projet scabreux) et de ceux du client vendeur (s’assurer de mener le projet de vente à son terme). Ainsi il serait fortement recommandé pour un acheteur de solliciter son conseiller financier avant même de procéder à une recherche de logement, voire d’obtenir des pré-accords de deux ou trois partenaires bancaires pour garantir son risque.
Si cette « opération parapluie » forcée n’enchante pas les emprunteurs, elle ne fait pas non plus l’unanimité des professionnels de l’immobilier : « Que l’on réduise la voilure sur les professionnels parce qu’il y a un impact économique sur leur business (…) mais sur le particulier, il faut laisser le marché s’autoréguler par rapport à des responsabilités que nous portons chacun dans nos professions. (…) Il faut que le HCSF enlève ces contraintes et laissent les banquiers faire » à défaut, « le marché va s’effondrer sur cette fin d’année et sur le premier semestre 2021 », conclut Philippe Taboret.
Pour l’ancien banquier, Julien Carmona, à ce jour directeur général délégué du groupe Nexity, les banques ne sont pas plus satisfaites de ces règles : « Pourquoi elles ne le disent pas ? Parce qu’il est de mauvais goût de dire du mal de son régulateur. Elles ne s’expriment pas mais elles nous ont incité à nous exprimer parce que nous parlons pour nous, pour nos clients et même pour les banques qui ont un peu un bâillon naturel autour de ces sujets-là ».
Alors tous unanimes pour un assouplissement des conditions d’octroi des emprunts ? Non.
Pour Jean-Yves Mano, président de la CLCV, « ce n’est pas la période » pour relancer le marché du logement. Ouvrir à nouveau les vannes du crédit serait « une faute morale », les Français ayant des difficultés à rembourser leur crédit immobilier. Favorablement aux restrictions d’obtention de prêt, l’ancien sénateur rappelle que, depuis 20 ans en France, « il y a une décorrélation totale entre les revenus des ménages et le prix de l‘immobilier ». Les prix ont trop augmenté selon les zones géographiques en France. « On est arrivé à la limite de la solvabilité des clients », concède Julien Carmona, tout en soutenant la libéralisation des conditions d’obtention de crédits.
A cette demande de libération du crédit et de son attribution intuitu personae, que répond l’Etat pour assurer la relance ?
Une immophobie étatique en contradiction avec le plan de relance attendue par le secteur
Selon les professionnels, le plan de relance engagé par l’Etat ne vise pas le secteur immobilier, pourtant acteur essentiel de l’économie du pays. « Pour ce gouvernement, l’immobilier est un placement improductif. Donc il veut réorienter l’épargne des Français, qui est absolument colossal en ce moment, vers l’économie réelle. Il considère que l’immobilier n’en fait pas partie. Donc ils n’ont aucun intérêt à booster le crédit immobilier et l’immobilier », expose Sandrine Allonier.
A cela s’ajoutent, comme le relève Julien Carmona, les nombreuses contradictions des pouvoirs publics. Il en est ainsi du fait qu’en privant les particuliers d’accéder à la propriété, l’Etat cantonne les Français à la fragilité du statut de locataire et passe, à la veille des élections présidentielles, à côté de créations d’emplois qui auraient dû être engendrées si des réservations sur des programmes immobiliers neufs avaient été faites en 2020. De même, il dénonce la croyance faussée des régulateurs qui repose sur l’idée que toutes les crises financières viennent de l’immobilier. Or, contrairement à ses voisins anglophones, la France dispose d’un système prudentiel qui a permis de la préserver d’une crise du financement du logement. En outre, pour les banques, le coût du risque lié au crédit immobilier des ménages serait de 0.10 % de l’encourt, ce qui est peu.
Immophobie, contradictions, flambée des prix, revenus insuffisants, conditions de financement trop strictes… Force est de constater que les Français peinent toujours à se loger ! Alors quelles solutions envisager ?
Savoir innover
Partant du principe que pour qu’un marché immobilier soit sain et de qualité il faut qu’il soit composé aussi de clients primo-accédants (et pas uniquement d’investisseurs), le groupe Nexity a mis en place un crowdfunding immobilier pour aider ses clients à constituer leur apport personnel. La somme récoltée est alors abondée du double de son montant jusqu’à 6 000 euros.
Compte tenu des prix du marché, Jean-Yves Mano propose de séparer l’achat du foncier de celui du bâti : « une façon assez spectaculaire de baisser les prix de l’immobilier et de permettre à des personnes d’accéder à la propriété ». Ce démembrement fait d’ailleurs l’objet d’une proposition de loi signée du député Jean-Luc Lagleize, déjà votée par l’Assemblée Nationale, en instance de lecture au Sénat. La question se pose de savoir si, finalement, l’opération ne coûtera pas plus cher.
Pour Christine Fumagalli, créer de nouvelles offres permettrait d’enclencher la baisse des prix. Pour cela il faudrait de nouvelles constructions mais les périodes électorales ne sont jamais favorables à l’obtention de permis de construire, et les terrains constructibles se font rares. Reste, alors, la marge de manœuvre au niveau du bâti avec la possibilité pour les constructeurs de recourir à une formule d’industrialisation des modes de production, à des matériaux moins chers mais de qualité.
Dernière stratégie… parier sur l’audace des banques d’aller au-delà du niveau de flexibilité fixé à 15 % de leur production et au-delà du taux d’endettement maximum. Julien Carmona révèle que si les banques cotées respectent le taux de 15 %, des établissements mutualistes sont au-dessus, et pour certain, comme le Crédit agricole, très au-dessus (« au-dessus de 30 %, chiffre non public que je vous livre »). Sandrine Allonier, rappelle que les prêts supérieurs à un endettement de 35 % encore accordées représentent un taux 21.7 % (source ACPR, sept. 2020). Selon la courtière, si « cette marge est bien appliquée, elle pourrait nous sortir de la situation par le haut qui aujourd’hui nous bloque tous ».
Références :
https://www.economie.gouv.fr/hcsf
https://www.lobservatoirecreditlogement.fr/
https://www.vousfinancer.com/
https://www.clcv.org/
https://www.actionlogement.fr/le-pret-pour-l-acquisition-dans-l-ancien
https://acpr.banque-france.fr/
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