La synthèse
Nombre de transactions : un retour à la norme en 2024
« Depuis 2017, on s’était habitué, en quelque sorte, à un confort (…). On a créé un phénomène d’accélération et de rotation du parc. On a peut-être consommé un peu trop. (…) Le marché a connu un excès historique (NDLR : 1 200 000 transactions). On va certainement revenir à un volume de transactions plus en adéquation avec la réalité de notre système. Je pense qu’on devrait atterrir, à fin 2024, à 850 000 transactions, en l’absence de toute aggravation des taux d’intérêt », déclare Loïc Cantin, président de la FNAIM. Pour ce dernier, l’année 2024 sera l’année de vérité pour les prix, en baisse de 3 à 4 % en moyenne. Une chute qui vient naturellement prendre la suite d’une baisse des volumes, d’environ 21% pour 2023, la plus forte jamais constatée depuis 50 ans.
Solvabilité des ménages : une main tendue aux primo-accédants ?
Pour autant, cette décroissance tarifaire est perçue relativement positivement : « Elle va pouvoir rattraper la baisse du pouvoir d’achat des ménages, qui était la conséquence de la hausse des taux d’intérêt. On va les resolvabiliser. (…) Toutefois, l’inflation n’est pas contrée. On est toujours soumis à un environnement international avec des tensions inflationnistes. Aussi souhaitons-nous que les taux d’intérêt restent stables », souligne le président de la Fédération. Et si la crise a touché l’ensemble de la filière professionnelle, elle a surtout eu pour effet d’écarter les primo-accédants.
Un phénomène qui s’explique, tout d’abord, par le fait qu’ « il faut 4,5 années de revenus bruts pour acheter un logement ancien, alors qu’il n’en fallait que 2,5 années en 1965 pour devenir propriétaire », précise Roselyne Conan, directrice générale de l’ANIL. Ensuite, en raison de la mise en œuvre par les établissements bancaires d’un système protectionnisme à leur encontre en cas d’octroi de crédit immobilier, système qui risque toutefois de perdurer : « Ce que l’on peut comprendre puisque, aujourd’hui, quand on prête, (…) on sait très bien que l’on finance une valeur, notamment dans le temps. La baisse des prix annoncée fait prendre un risque au banquier qui finance un bien qui peut être exposé à une baisse d’ici quelques mois. C’est pourquoi, les banques sont plus exigeantes et réclament un apport personnel, ce qui écarte nombre de primo-accédants », relève Loïc Cantin. Enfin, par le fait que ces mêmes établissements bancaires n’auraient pas recours aux 20% de dérogation possible aux critères imposés par le HCSF. « On serait uniquement à 14,3% de capacité de dérogation sur certains dossiers », pointe du doigt Roselyne Conan. Et force est de constater que les primo-accédants s’autocensurent et renoncent à tout rêve de propriété.
Pour venir en aide à cette catégorie de ménages qui représente 60% des opérations de revente, le ministre de l’Économie annonce, pour le premier trimestre 2024, un possible réexamen des dossiers ayant fait l’objet d’un refus de prêt. Dans l’attente, l’ensemble du réseau ADIL prodigue des conseils et accompagne les ménages : « On est la phase 1 d’une simulation financière de projet d’acquisition. On va acculturer ces ménages en identifiant toutes les pistes de financement auxquelles ils n’auraient pas forcément pensé, comme les aides des collectivités locales, le PEL ou encore le prêt bonifié. On va leur donner les éléments pour aller voir leur établissement financier pour qu’il leur fasse du sur-mesure. Car il y a quand même des projets qui sont possibles ! », expose la directrice générale de l’ANIL. Si cette dernière comprend la prudence des établissements bancaires, elle tient à souligner que le niveau de surendettement est en constante baisse depuis plusieurs années : « Selon une étude de la Banque de France, en 2022, le nombre de dossiers de surendettement déposés a baissé de 7% par rapport à 2021. Les 3/4 des ménages surendettés sont des locataires. Les accédants à la propriété sont très peu de surendettés : la proportion de dossiers qui comporte au moins une dette immobilière s’établirait à 11,3% ».
HCSF : une plaidoirie pour sa suppression
« Je plaide pour la suppression du HCSF », martèle Loic Cantin. Et Caroline Arnould, directrice générale de CAFPI, présidente de l’APIC, de compléter : « Le HCSF n’a aujourd’hui aucune utilité et n’en a jamais eu aucune ». Cette dernière rappelle que : « Les critères ont été rendus obligatoires début 2022, période où nous étions déjà dans une crise d’accès au crédit. Et ils ont été créés pour éviter le surendettement des banques, et non celui des ménages. C’était vraiment contre cyclique. (…) Ils ont été mis en place pour freiner le marché de l’immobilier dans une période où on était en surchauffe avec des taux presque endessous de 1%. Or, la remontée rapide des taux bloque déjà le marché ». Caroline Arnould rejette le critère des 35% d’endettement au profit de celui sur le « reste à vivre », comme celui du calcul différentiel qui est un frein à l’investissement locatif et néfaste pour le marché de la promotion immobilière. Tout comme Loïc Cantin, elle estime que l’on peut corréler la durée de l’emprunt sur l’allongement de la durée du travail, qui fait reculer l’âge du départ moyen à la retraite à 65 ans.
Quant aux assouplissements des critères récemment annoncés par le HCSF, la directrice générale de CAFPI les juge complexes, uniquement techniques et doute de leur efficacité : « L’un porte sur les 20 % de dérogation et instaure une tolérance. Sur la marge dérogatoire de 20% de la production, on a une dérogation de 70 % pour le financement des résidences principales et de 30 % à l’intérieur de cette enveloppe pour les primo-accédants, les 30 % restant pouvant concerner l’investissement locatif ou la résidence secondaire. Lorsque vous commencez à ouvrir des dérogations dans tous les sens sur un critère, cela veut dire, qu’à la base, la règle n’est pas bonne. (…) Les banques veulent bien déroger. Mais, en réalité, elles ne sont pas en capacité de le faire car c’est l’agence qui distribue les crédits et la tête de réseau qui pilote. Donc, au jour le jour, c’est extrêmement compliqué de connaître le pourcentage de dérogation accordé. Aussi, pour éviter de se faire taper sur les doigts, les banques n’utilisent-elles pas ces marges ». Un autre assouplissement porte sur l’exclusion des prêts relais du calcul du taux d’endettement lorsque le montant est inférieur à 80% de la valeur du bien mis en vente. Un critère déjà exclu en pratique par les banques. Le dernier vise l’extension de la durée maximale de prêt à 27 ans en cas de travaux : l’enveloppe consacrée aux travaux passe de 25 à 10 % minimum du coût total du crédit.
Portabilité : une bonne solution pour une sortie de crise ?
Loic Cantin appelle le gouvernement à considérer la proposition de la FNAIM de favoriser les dispositifs de portabilité pour les prêts immobiliers, solution qui, jusqu’à présent n’a pas retenu les faveurs des autres syndicats : « La portabilité, sans revenir sur la mécanique, a fait ses preuves. En tant que professionnel, je l’ai largement utilisée. La banque ayant escompté son résultat (et si on reste sur une durée raisonnable de rotation du parc à 6 ou 7 ans), elle peut continuer à financer et à laisser le prêt en cours consenti à un ménage afin qu’il se porte sur une autre acquisition. De même, la transférabilité est une technique que l’on connaît. Il revient à la banque de décider de l’éligibilité d’un dossier en cas de transférabilité du crédit vers un autre emprunteur. (…) Cela pourrait redonner un petit peu d’oxygène aux professionnels de la transaction. » Le président de la FNAIM rappelle que pour contrer la crise des surprimes, l’État français était, en son temps, venu au secours des banques : « Aujourd’hui, au moment où il pourrait y avoir un geste citoyen, républicain, solidaire avec les ménages français, on n’a pas ce retour ».
Si, sur le principe Caroline Arnould trouve que ces solutions seraient très positives pour les emprunteurs, elle doute de leur possible application : « La difficulté est que les banques ne sont pas des philanthropes. Elles ont arrêté de prêter à un moment donné car elles ne faisaient plus de marge. (…) Elles avaient des coûts de refinancement très élevés et le taux d’usure ne remontait pas suffisamment vite. De fait, les banques ne pouvaient pas assurer leur marge entre leurs coûts de refinancement et le taux auquel elles pouvaient facturer leurs clients. (…) Elles ont arrêté de produire du crédit, ne voulant pas produire à perte. Avec la mensualisation du taux d’usure, elles retrouvent de la marge, donc de l’appétence pour accorder du crédit, et pour faire de la conquête client. (…) C’est pourquoi je ne suis pas très optimiste sur la portabilité. Les banques ont engrangé des crédits autour de 1%. J’imagine qu’elles vont préférer faire de la production nouvelle avec de nouveaux taux, et sur laquelle elles vont gagner de l’argent, et générer du PNB ». Caroline Arnould souligne qu’en matière de taux d’intérêt, le marché tend à une normalisation : ils devraient se maintenir jusqu’au printemps 2024 autour de 3 à 4 %.
Valeur verte : un doublé gagnant pour les acquéreurs et les établissements bancaires
Financer l’acquisition d’une passoire thermique implique de pouvoir aussi financer les travaux de mise aux normes énergétiques. Pour Roselyne Conan, avec des factures énergétiques croissantes, laisser les primo-accédants se lancer dans ce type d’opération sans couverture financière constitue un risque de surendettement, et pour des investisseurs un risque d’impossibilité de mettre en location. Aussi les banques s’assurent-elles que les emprunteurs disposent de la trésorerie nécessaire. À défaut, elles l’incluent dans la demande de prêt : « En ce moment, fleurissent tous les dispositifs de financement autour de la rénovation énergétique. Pour les banques, c’est très intéressant car elles doivent verdir leur bilan. Une banque a des critères RSE à maintenir et à faire valoir. Financer la rénovation énergétique vient en faveur de leurs actions vis-à-vis du climat. », expose Caroline Arnould. Loïc Cantin confirme qu’acquisition et travaux doivent être regardés comme une unique opération par les banques : « Il faut travailler à ce dispositif parce que je crains, dans le futur, qu’une sanction tombe sur les logements les plus énergivores : la consignation d’une valeur de travaux pour permettre à l’acquéreur, le moment venu, de les effectuer avec une retenue sur le vendeur. Ce serait la pire des choses ». Le président de la FNAIM soutient le concept de vente en état futur de rénovation énergétique* qui garantit la réalisation des travaux par le vendeur, leur montant étant compris dans le prix de vente : « C’est de la vente d’immeuble rénové. Cela évite que les travaux ne soient menés, malgré leur financement obtenu. Il faut accompagner les acquéreurs et les vendeurs sur cette stratégie. Il faudra des professionnels formés et à la hauteur ». Aussi, en ces temps troublés, Loïc Cantin invite-t-il à repenser les techniques de financement : « Je crois qu’on est un peu trop dans l’immobilisme : on n’est pas assez inventif et trop conservateur dans nos structures ».
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* « La vente en l’état futur de rénovation énergétique (VEFRe), ou vente d’immeuble à rénover (VIR) est, pour l’ancien à rénover, le pendant de la vente en l’état futur d’achèvement (VEFA) pour le neuf. La VEFRe s’applique à toute personne qui :
- vend un immeuble bâti ou un lot de copropriété à usage d’habitation ou à usage mixte (habitation et professionnel), ou destiné après travaux à l’un de ces usages ;
- s’engage, dans un délai déterminé dans le contrat de vente, à réaliser sur cet immeuble ou sur ce lot de copropriété, des travaux de rénovation ou à les faire réaliser ;
- et perçoit des sommes d’argent de son acquéreur avant la livraison des travaux.
Si ces 3 conditions sont réunies, le vendeur doit conclure un contrat de VEFRe dont les dispositions sont d’ordre public. La propriété de l’existant est transférée le jour de la réitération de la vente chez le notaire. La propriété des travaux est transférée au fur et à mesure de l’avancement des travaux. Le vendeur a la qualité de maître de l’ouvrage jusqu’à l’achèvement des travaux.
Le prix fixé au contrat de vente doit distinguer le prix des travaux du prix de l’existant. La réalité de cette ventilation doit être vérifiée par l’architecte. Le prix de l’existant est payé en totalité lors de la signature du contrat chez le notaire. Le paiement du prix des travaux s’échelonne ainsi :
- 50% à l’achèvement des travaux représentant la moitié du prix total des travaux ;
- 95% à l’achèvement total des travaux.
Le solde est payable à la livraison. Il peut être consigné en cas de défaut de conformité ou de vices apparents mentionnés sur le procès-verbal de livraison. » (source : FNAIM, juin 2023).
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Les enjeux
Les taux d’intérêt majorés par l’inflation et les difficultés d’accès au crédit restent les causes principales de la baisse du nombre des transactions dans l’existant comme des achats de logements neufs. La production de crédits immobiliers a plongé de moitié en quelques mois. La filière a souhaité des assouplissements dans l’octroi des crédits, pour certains obtenus de Bercy ou du HCSF.
Seront-ils suffisants ? Quelles autres évolutions seraient-elles nécessaires ? Peut-on imaginer en revenir à des hauts niveaux de production de crédits aussi importants que naguère ?
Les intervenants
Le débat est animé par Henry Buzy-Cazaux, président-fondateur de l’Institut du Management des Services Immobiliers, secrétaire général du Cercle. Avec :
- Caroline Arnould, directrice générale de CAFPI, présidente de l’APIC
- Loïc Cantin, président de la FNAIM
- Roselyne Conan, directrice générale de l’ANIL
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