Enjeux
Onze ans qu’on attend qu’une disposition majeure de la loi ALUR, modifiant la loi Hoguet, relative à l’obligation d’une aptitude minimum pour les collaborateurs des agences immobilières et des cabinets d’administration de biens appelés à être habilités à s’entremettre pour le compte du responsable de l’entreprise. Cette mesure, souhaitée par les organisations professionnelles, avait été inscrite dans le projet de loi ALUR par la ministre Cécile Duflot et votée par le parlement. À défaut de décret d’application, cette obligation n’est toujours pas en vigueur. La FNAIM a fait juger cette carence par le Conseil d’État, qui a condamné le gouvernement à prendre le décret toutes affaires cessantes. Que veut la filière pour elle-même ? Quelle durée de formation ? Quels thèmes de formation et quels contenus ?Quelles modalités d’enseignement, ou quel équilibre entre le présentiel et le distanciel ? Pour les diplômés récents de formations à l’immobilier, BTS spécialisé, licence ou bachelor, master, faut-il des aménagements ou des dispenses ? En outre, quels collaborateurs sont-ils vraiment concernés, c’est-à-dire qui doit être habilité ? Quels contrôles de la qualité des formations et du suivi effectif avant dépôt des dossiers d’habilitation ? Les questions sont nombreuses, auxquelles le texte d’application devra répondre. Des acteurs de terrain nous donnent leur vision et expriment leurs souhaits, pour éclairer le travail préparatoire des ministères concernés, dont la ministre du logement en chef de file.
Les intervenants
- Line de Kilmaine, directrice des ressources humaines du groupe Arche
- Céline Fournier, directrice de la formation du groupe Arche
- Vincent Pavanello, président de la Maison des mandataires
- Minja Vidic, directeur de l’agence Indivis Immobilier
- Pascaline Déchelette-Tolot, avocate spécialisé au cabinet LPA Law
Le débat est animé par Henry Buzy-Cazaux, président fondateur de l’Institut du Management des Services Immobiliers.
La synthèse
Qu’impose l’injonction du Conseil d’État faite au gouvernement ?
L’alinéa 1er de l’article 4 de la loi Hoguet du 2 janvier 1970 modifié par la loi ALUR du 24 mars 2014 dispose : « Toute personne habilitée par un titulaire de la carte professionnelle à négocier, s’entremettre ou s’engager pour le compte de ce dernier justifie d’une compétence professionnelle, de sa qualité et de l’étendue de ses pouvoirs dans les conditions fixées par décret en Conseil d’État ». Si la notion de « compétence » figure bien à l’article 5 de l’annexe du décret du 28 août 2015 fixant les règles constituant le code de déontologie des professionnels de la gestion des immeubles et des fonds de commerce, « depuis 2014 cette compétence professionnelle requise des collaborateurs habilités n’a donné lieu à aucune application particulière », énonce Pascaline Déchelette-Tolot, avocate spécialisé au cabinet LPA Law, qui précise que sont habilitées toutes personnes à qui l’agent immobilier titulaire de la carte professionnelle « donne certains pouvoirs pour exercer leur métier. Il peut s’agir de salariés ou d’agents commerciaux ». En clair, le décret d’application de la loi ALUR concerné n’a jamais été pris et a empêché l’entrée en vigueur de l’obligation d’aptitude pour les collaborateurs habilités à l’entrée dans le métier. Ce vide juridique a conduit la FNAIM à solliciter en novembre 2023 Elisabeth Borne, alors Première ministre, pour que le décret d’application attendu soit enfin pris. Le silence de l’administration pendant 2 mois équivalant à un refus implicite, la FNAIM a fait un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’État pour soulever l’illégalité de ce refus implicite. Ce dernier a annulé la décision implicite par laquelle la Première ministre a refusé de prendre le décret en Conseil d’État prévu par le 1er alinéa de l’article 4 de la Hoguet. « La conséquence de cette annulation c’est une injonction qui a été donnée à l’État de prendre ce décret dans un délai de 6 mois à compter de la notification de l’arrêt rendu le 25 février 2025 (CE 25 février 2025, n° 492640). (…) Le refus implicite a été annulé parce que la loi est inapplicable. En outre, le Conseil d’État a considéré que le délai écoulé depuis la loi ALUR pour prendre ce décret, soit 11 ans aujourd’hui, n’était pas raisonnable ; (…) un délai raisonnable étant un délai de 6 mois à 1 an à partir de la publication du texte initial », explique Pascaline Déchelette-Tolot.
Si la promulgation prochaine du décret est certaine, son contenu reste encore flou et soulève de nombreuses questions et inquiétudes : « Je pense aux indépendants, aux enjeux financiers que cela représente, à la disponibilité du collaborateur à peine recruté qu’il faut déjà envoyer en formation. Est-ce que ce collaborateur (…) une fois formé par le réseau partira chez un autre indépendant ? Se pose alors la question de la clause de dédit-formation, (…) dans le secteur où le taux de turn-over oscille entre 20 et 30 % », pointe Line de Kilmaine, directrice des ressources humaines du groupe Arche.
Quant à Vincent Pavanello, président de la Maison des mandataires, il dénonce un paradoxe : « à l’heure où tout le monde parle de dérégulation, de simplification, je note qu’un syndicat majoritaire a défendu bec et ongles pendant des années une nouvelle régulation de notre industrie immobilière ». Loin de vouloir soulever une polémique, il précise qu’il n’est pas opposé à ce décret : « au contraire, il a le mérite de la clarification. Une norme n’est jamais une très bonne nouvelle mais si elle apporte de la sérénité, de la clarification, de la transparence, pourquoi pas ? ».
La formation est-elle un préalable au dépôt du dossier d’habilitation ?
Une lecture stricto sensu de l’alinéa 1er de l’article 4 de la loi Hoguet pourrait faire penser qu’une hiérarchie des critères a été édictée et qu’il faille justifier d’abord d’une compétence professionnelle, puis d’une qualité (salarié ou indépendant) et enfin de l’étendue de pouvoirs avant toute demande d’habilitation. C’est du moins l’interprétation faite du texte par Pascaline Déchelette-Tolot. « Aujourd’hui il n’y a pas de corrélation entre les deux. On dépose le dossier d’habilitation et, dans le même temps, la formation est dispensée. Mais cela peut être avant ou après. », rapporte Line de Kilmaine.
Pour Vincent Pavanello : « L’ordre des facteurs est bienvenu mais il ne faut pas qu’il soit un frein au développement du business. (…) Le secteur est déjà en convalescence, dans les métiers de la transaction en tout cas, ce n’est pas le moment de complexifier ».
Pascaline Déchelette-Tolot apporte une précision importante : « le dernier alinéa de l’article 4 de la loi Hoguet prévoit que “Les personnes qui, à la date d’entrée en vigueur du décret en Conseil d’État ” – c’est-à-dire probablement au mois de septembre – “disposent de l’habilitation mentionnée au premier alinéa sont réputées justifier de la compétence professionnelle mentionnée au présent article”. Ainsi, tous ceux qui sont habilités lorsque le décret va paraître ne seront pas concernés par cette obligation immédiate de justifier d’une compétence professionnelle. (…) Ils sont supposés déjà en disposer. Mais cela ne va pas durer indéfiniment. J’imagine que cette compétence professionnelle va probablement être vérifiée annuellement ». Dernière précision : une fois le décret paru, les personnes nouvellement diplômées, par exemple dans le cadre d’une VAE (validation des acquis de l’expérience), devront s’assurer que leur diplôme répond aux critères qui seront fixés par le décret pour justifier de la compétence professionnelle.
Mais que les diplômés en immobilier se rassurent, les usages en termes de recrutement ne vont pas différer : les hard skills, soft skills ou mad skills seront toujours valorisés par les recruteurs : « Je trouverais assez dommage que l’on ne soit pas reconnaissant de la qualité des formations de nos grandes écoles de l’immobilier et qu’on soit obligé de refaire suivre une formation d’habilitation à des jeunes diplômés d’un niveau minimal BTS profession immobilière qui permettent d’accéder à la carte professionnelle », souligne Line de Kilmaine. Cette dernière se veut aussi rassurante pour les séniors de la profession : « S’il a été formé il y a 15 ans ou 20 ans et qu’il a entretenu son expérience immobilier, son expérience joue pour lui ».
Quelle ingénierie pédagogique mettre en place ?
Contenu et durée de la formation, public visé, entités formatrices, modalité d’apprentissage… tout reste à définir c’est pourquoi les professionnels font part de leurs bonnes pratiques.
Ainsi, au sein du groupe Arche, Céline Fournier, directrice de la formation, expose qu’un parcours d’intégration est suivi pour chaque nouveau collaborateur avec des modules adaptés pour acquérir les compétences attendues sur le métier qui sera exercé : « Il y a toujours un tronc commun sur la législation. (…) Ils suivent une première formation de 3 jours sur leur mois d’intégration. (…) Ma position (qui est aussi le ressenti de nos directeurs) est qu’il est important qu’ils aient, avant de suivre la formation, pris connaissance de l’organisation de leur agence immobilière, du marché local, etc. Cela peut être 2-3 semaines. (…) Certains collaborateurs suivent un second module de 3 jours, 3 mois après leur prise de poste. C’est le cas de nos négociateurs ». Elle s’interroge sur la pertinence d’une formation qui serait dispensée dès l’arrivée du nouvel collaborateur (notamment un jeune diplômé), ne permettant pas à ce dernier de disposer d’une expérience terrain préalable et de pouvoir échanger sur les difficultés rencontrées.
Concernant la durée de formation, Line de Kilmaine estime qu’au-delà de 3 jours, cela serait difficilement conciliable avec l’activité au sein des agences indépendantes : « Cela pourrait être 3 jours l’année de son arrivée ou dans les 2 mois de son arrivée, avec une obligation de 2 jours supplémentaires dans les 2 ans qui suivent, si l’on veut aller dans le sens d’une semaine de 35 heures ». Pour Vincent Pavanello signale que la durée de formation envisagée (qu’elle soit de 3, 6 ou 8 jours) correspond à l’offre de formation initiale actuellement proposée aux nouveaux conseillers qui rejoignent le top 20 des grands réseaux de mandataires : « On est plutôt pour 2-3 jours, 14 heures, peut-être jusqu’à 21 heures éventuellement, pour des raisons de praticité ». Quant au programme, il préconise que les professionnels s’accordent sur les prérequis indispensables (données juridiques et déontologiques, lutte contre la discrimination, rénovation énergétique, etc.) avant d’exercer le métier.
Pour ce qui est du mode de formation (présentiel, distanciel ou hybride), Minja Vidic, directeur de l’agence Indivis Immobilier privilégie le présentiel : « vous voyez dans le regard de quelqu’un s’il n’a pas compris, c’est qui n’est pas évident via un Teams ». Côté réseaux de mandataires, Vincent Pavanello préconise d’être en adéquation avec les usages actuels : « On va être en 2025, je ne sais pas quelle image on renverrait de notre industrie si on exigeait que l’intégralité des heures de formation soit en présentiel. (…) Évidemment les formations sont plus efficaces en présentiel, mais elles le sont avec un formateur avec 20 ans d’expérience, avec 4 personnes dans la salle pendant 3 semaines. Il y a toujours l’idéal qu’on veut tous viser et en tant que chef d’entreprise, si demain j’avais une agence, je me battrai pour proposer cette formation à mes équipes. (…) Pour autant, est-ce que c’est au décret de fixer cela ? Nous n’y sommes pas favorables. On pense que cela créera une énorme inégalité entre les conseillers immobiliers dans les grandes villes et dans la ruralité. C’est beaucoup plus facile d’organiser des sessions en présentiel dans le top 50 des villes françaises ». Pour lui, le débat doit porter sur la qualité de la formation : la certification Qualiopi doit rester la référence et un système de contrôles drastiques avec des sanctions s’impose : « Je ne sais pas si le décret les définira », interpelle-t-il. Une approche à laquelle adhère Line de Kilmaine.
Comment la formation sera-t-elle financée ?
La forte proportion des non-salariés dans les agences immobilières – estimée à ce jour à 70% selon les réseaux – pose la question du financement de la formation. Quel niveau de prise en charge sera fixé par la branche professionnelle pour les opérateurs de compétences (OPCO EP) ou par l’AGEFICE ou le FIF PL ? Line de Kilmaine – qui relève que depuis plusieurs années la contribution de la branche professionnelle est en baisse constante – interpelle les pouvoirs publics : « Je considère que l’on ne peut pas fixer une telle obligation de formation sans accompagner les agences dans le financement de cette formation. Est-ce que c’est la totalité ou une partie ? Cela reste à définir ». D’autant que le reste à charge peut s’avérer important pour certaines structures : « Dans l’hypothèse d’une formation sur 3 jours de 10 nouveaux collaborateurs, cela représente environ un investissement de 7 500 euros à l’année. Et cela ne couvre que les coûts pédagogiques, pas les coûts salariaux de déplacement, etc. Dans ce cas, l’OPCO offrant une enveloppe de 2 000 euros l’année, le reste à charge est conséquent pour un cabinet indépendant », estime Céline Fournier, qui confirme le désengagement des OPCO et rappelle que le financement de ces opérateurs est aussi fonction du nombre de collaborateurs dans l’entité.
Pour Minja Vidic, cela implique, pour ceux qui ont fait le choix (comme lui) d’être indépendants, de disposer de trésorerie et de favoriser les formations interentreprises : « Le reste à charge est une question de négociation. Est-ce que les formateurs pourront être payés au forfait journée et peu importe le nombre de personnes qu’ils formeront ? J’ai négocié cela avec mon formateur. Il vient à l’agence et passe une journée qu’il y ait 1 ou 15 personnes. (…) Par le passé, j’étais associé avec des collègues qui avaient aussi des agences indépendantes pour faire des formations communes (3 à 4 agences indépendantes). Cela permet de former une quinzaine de personnes à l’agence, de réduire les coûts et que chacun bénéficie d’une attestation. (…) En outre, cela donne la possibilité d’échanger entre agences sur le marché. (…) C’est toujours intéressant de confronter des négociateurs d’un quartier à un autre, d’un secteur à un autre et d’essayer de créer un réseau interdépendant ».
Côté réseaux de mandataires, le financement de la formation est prévu dans un pack qui couvre une gamme de services : « On paie un pack compris entre 50 et 200 euros par mois en fonction des réseaux. Ce montant est plutôt à la baisse ces 10 dernières années. (…) Pour autant, je note que dans les réseaux où le pack est gratuit (ou presque), la formation initiale n’est pas facturée en plus. De même, dans beaucoup de réseaux (et c’est une pratique commerciale) les premiers mois ne donnent pas lieu à une facturation. (…) Je peux le dire au nom des réseaux, ils vont continuer la prise en charge dans le cadre du décret », annonce Vincent Pavanello, qui prend le soin de rappeler qu’un agent commercial en immobilier ne peut bénéficier des fonds AGEFICE ou FIF PL que s’il justifie d’un chiffre d’affaires réalisé l’année précédente.
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