Le replay
Le constat
En quelques mois, le DPE a focalisé tous les regards des professionnels de la filière immobilière comme des ménages. Alors qu’il était perçu comme une information superfétatoire, venant augmenter le coût des transactions, il s’est acquis avec la loi Climat résilience le statut d’une aide à la décision de location et d’achat. Il est même désormais un outil à part entière de gestion patrimoniale, pour les propriétaires bailleurs -menacés par l’interdiction de louer les logements énergivores-, pour les propriétaires de maisons individuelles comme pour les copropriétaires.
Dans le même temps, l’outil a fait l’objet d’évolutions d’ampleur et sa valeur juridique s’est renforcée: le nouveau DPE, plus complet, porteur de recommandations de travaux pour améliorer la performance environnementale, opposable, a vu le jour…pour être suspendu par le gouvernement à cause de son manque de fiabilité.
Les questions
- Un DPE revu et corrigé vient de lui succéder. Quelles modalités de prise en charge pour faire rétablir un diagnostic juste? Est-il désormais fiable?
- Quel destin pour les logements techniquement non améliorables dans des proportions suffisantes?
- Quid de l’audit énergétique qui devait s’imposer dans les prochaines semaines?
Pour répondre à l’ensemble des questions soulevées par la démarche diagnostique, des experts à des titres divers, diagnostiqueurs, mais aussi spécialistes de la transaction, de l’administration de biens, de l’accompagnement de la rénovation énergétique et du bâtiment.
Un débat organisé le mardi 14 décembre 2021 de 18h à 19h30.
Cette conférence du Cercle des Managers de l’Immobilier est organisée à l’initiative de Benjamin Darmouni, président du Cercle des Managers de l’Immobilier, François-Emmanuel Borrel et Evelyne Vivier, présidents adjoints du Cercle, et Emily Jousset, présidente du pôle Communication du Cercle.
Elle est animée par Henry Buzy-Cazaux, Président de l’Institut du Management des Services Immobiliers et secrétaire général du Cercle.
Les intervenants
La synthèse
Peut-on faire confiance aujourd’hui au diagnostic de performance énergétique (DPE) réalisé sur les logements (maison individuelle, appartement, bâtiment collectif à usage principal d’habitation) ? « Aujourd’hui, tout le monde (particulier et professionnel de l’immobilier) a un doute sur la fiabilité du classement, et c’est normal. Mais avec les modifications qui ont été apportées, l’étiquette est beaucoup plus juste qu’elle ne l’était et plus représentative de la capacité intrinsèque du bien à satisfaire aux exigences renforcées de performance énergétique », rassure Lionel Janot, président de la Fédération interprofessionnelle du diagnostic immobilier (FIDI). Mais comment en est-on arrivé là ?
DPE 2e génération : un effet de zèle involontaire
Le 1er juillet 2021 un nouveau DPE est entré en vigueur. Annoncé pourtant plus lisible et plus fiable, car ne reposant plus sur la méthode dite « sur facture », ce DPE a délivré des résultats qualifiant de passoires thermiques des biens qui ne l’étaient pas précédemment. Cela a quelque peu contredit les statistiques du gouvernement qui n’avait pas anticipé de telles conséquences. Un vrai problème aussi pour la filière immobilière puisque le DPE individuel sanctionne la performance énergétique d’un bien et influe sur sa valeur foncière et locative, contrairement au DPE collectif qui a pour unique objectif de faire prendre conscience aux copropriétaires occupants et bailleurs de la nécessité de voter des travaux de rénovation énergétique. « On a alerté les pouvoirs publics, la ministre, du problème. On a précisément donné les éléments au sujet desquels nous avions détecté les erreurs », énonce Thierry Marchand, président de la chambre des diagnostiqueurs de la FNAIM. L’analyse a en effet révélé que les biens construits avant 1975 étaient les plus touchés. « 1975 correspondant à la première phase d’isolation dans les constructions », précise le diagnostiqueur.
« Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la Transition écologique, chargée du Logement, a suspendu le DPE le 24 septembre. Ce fut une situation difficile pour les diagnostiqueurs mais pour répondre à une forte demande, les DPE ont continué d’être réalisés jusqu’au 1er novembre (…). Il a fallu rééditer et calibrer le DPE au 1er novembre, tel qu’il devait l’être à l’initial », explique-t-il. Ce fut l’objet de l’arrêté, en date du 8 octobre 2021, qui modifie la méthode de calcul et les modalités d’établissement du DPE. Aussi les DPE réalisés entre le 1er juillet 2021 et le 31 octobre 2021 sur des immeubles construits avant 1975 classés F et G seront-ils refaits systématiquement. « On va envoyer directement aux propriétaires de ces biens de nouveaux DPE. (…) Des décalages de classe énergétique étant possibles pour les biens classés D et E, il est intéressant de les refaire, notamment s’ils sont à des classes très proches du D ou du C. Dans cette hypothèse, la demande doit émaner des propriétaires », nuance-t-il. Attention toutefois, le DPE doit être réalisé au plus tard avant le 28 février 2022 pour que les propriétaires puissent bénéficier de la gratuité de l’acte et que le diagnostiqueur puisse être indemnisés par l’Etat : « Dès mars, on va relever l’ensemble des DPE réalisés puis on adressera un montant de charges à l’Etat qui nous remboursera au second trimestre 2022 », annonce Thierry Marchand, qui reconnait que cette seconde visite du bien risque de peser dans leur modèle économique.
Les effets de bord sur le marché
Fort heureusement,les relations entre les porteurs de mauvaises nouvelles – que sont les diagnostiqueurs – et les administrateurs de biens ou les agents immobiliers n’ont pas été entachées. A l’avenir, les liens entre les deux corps de métier devraient même s’intensifier dans le cadre de la transmission de données techniques et de travaux puisque les diagnostiqueurs ne disposent pas toujours de l’ensemble des informations nécessaires pour effectuer un DPE fiable : « quand il nous manque des informations, on enregistre des valeurs par défaut. Forcément c’est en défaveur et cela va pénaliser l’étiquette finale », souligne Lionel Janot. « Au quotidien, on est obligé de se rapprocher. Nous devons accompagner les administrateurs de biens pour leur expliquer comment est réalisé un DPE et ce qu’il est possible de préconiser en termes de travaux pour tel bien », confie-t-il. En effet, les professionnels de la gestion sont autant inquiets que leurs clients propriétaires bailleurs : « On nous avait prédit que 30 % de notre portefeuille serait éligible au classement F et G. Aujourd’hui, on n’a pas encore de recul pour avoir ce volume-là, mais quand on interroge nos consœurs et nos confrères, on se rend compte qu’il y a un certain nombre de logements, notamment de petite superficie, qui vont se retrouver sans possibilité de location avec des loyers bloqués dans un premier temps », expose Martine Cardouat, directrice générale de Midi Habitat Services Immobilier (groupe Procivis), et présidente de l’UNIS Midi-Pyrénées et de la commission transaction nationale de l’UNIS. En effet, l’augmentation des loyers en cas de relocation est à ce jour exclue pour les logements classés F et G lorsque le bien se situe en zone tendue, et sera étendue aux logements de ces classes quel que soit leur lieu d’implantation sur le territoire dès le 25 août 2022. En outre, de plus en plus d’agglomérations ont adopté la règle de l’encadrement des loyers, ce qui constitue une double peine pour les propriétaires bailleurs. «On sort ces logements mal classés du parc locatif qui vont, peut-être, partir à la vente. (…) On constate déjà une diminution du prix du fait de ce risque de ne plus pouvoir louer. Forcément, l’acquéreur va faire des offres de prix en fonction des préconisations travaux que l’on doit afficher à partir du 1er janvier 2022 en plus du DPE. On aura peut-être plus de biens à la vente mais avec une moins-value et une négociation plus importante sur ces biens. (…) Concernant les DPE erronés, des recours en contestations pourront avoir lieu de la part de bailleurs ou de locataires mais les engagements contractuels ne peuvent pas être remis en cause », avertit l’administratrice de biens qui se refuse à louer ou à mettre en vente tout bien assorti d’un DPE vierge. Ce dernier, réalisé avant le 1er juillet, devrait d’ailleurs disparaître des vitrines. S’il reste juridiquement valable jusqu’au 31 décembre 2024, les notaires sollicitent, au nom du principe de précaution, un PDE actualisé.
Un scepticisme persistant
Malgré les correctifs apportés à la méthode de calcul, le doute persiste quant à la véracité des étiquettes émises par les diagnostiqueurs. Des biens se retrouvent, malgré la réalisation de travaux préconisés, plus mal notés qu’ils ne l’étaient et force est de constater que les administrateurs de biens se trouvent désarmés de tout argument pour justifier un tel résultat et proposer des solutions à leurs clients. Pour Thierry Marchand, le nouveau DPE a la particularité d’exiger une excellente enveloppe thermique au niveau isolation, fenêtre, ventilation : « il y a également une donne qui a changé : ce sont les équipements de production de chaleur. On a sanctionné les énergies fossiles. On peut avoir, par exemple, un bien avec une DPE en C qui, avec du gaz, passe en D. On a, sur les petits appartements, un problème de ratio lié à l’eau chaude sanitaire qui est absolument important et qui peut nuire à la classification du DPE de par sa nature. Il faut prendre en considération qu’il faut aller au-delà des exigences des pouvoirs publics. Il faut arrêter de penser isolation et changer les modes de chauffages. Plus facile à dire qu’à faire. (…) Le système est très sanctionnable, il est vrai. Il faudra plus de temps pour que les nouvelles solutions de remplacement intègrent les immeubles ». Pour autant, la confiance des administrateurs de biens envers la compétence et le travail réalisé par les diagnostiqueurs n’est pas altérée : « ils sont à l’écoute et si on leur donne des éléments concrets, ils peuvent procéder à un nouveau DPE », observe Martine Cardouat. Malheureusement, ce sentiment n’est pas transposable en ce qui concerne les entreprises labélisées « RGE » (ou « reconnu garant de l’environnement »), pourtant référencées sur le site FAIRE (NDLR : dès janvier 2022 ce service publique de la rénovation de l’habitat se remplacé par France Rénov’).
Financement et réalisation des travaux : savoir s’entourer
Emily Aichoum, directrice de la Maison des travaux Paris 17e et courtier en travaux, et Pierre Maillard, PDG d’Hellio, sont unanimes et alertent : recourir à une entreprise « RGE » ouvre certes la porte à des aides publiques pour financer les travaux de rénovation énergétique mais ce label n’est en aucune façon gage d’un travail de qualité. En outre, certaines de ces entreprises profitent de cette reconnaissance pour gonfler leur facture. Aussi, ne disposant pas de compétences pour qualifier les entreprises (travail de vérification qui porte sur la santé financière et la situation juridique, la visite de chantier, la satisfaction client, le respect d’une charte qualité, etc.), propriétaires et administrateurs de biens ont-ils intérêts à recourir aux services d’un courtier en travaux ou d’un expert en accompagnement et portage du financement de travaux pour sélectionner la meilleure RGE répondant aux objectifs fixés : « Ces sociétés remplissent des obligations légales mais il faut parfois, au sein des RGE, faire une enquête sérieuse fondée sur de multiples critères car le savoir-faire n’est pas forcément répercuté à l’échelle de l’ensemble des intervenants sur le chantier. Le chef d’équipe sera parfaitement qualifié mais l’entreprise n’aura peut-être pas mis les moyens nécessaires pour former l’ensemble de ses ouvriers sur le savoir-faire et une bonne qualification des projets. Avec ce système, l’Etat a souhaité mettre une qualification en amont mais on opère un contrôle a posteriori également sur les matériaux utilisés et le bon savoir-faire pour ouvrir droit aux aides financières », avise Emily Aichoum. La question de leur financement n’est pas, non plus, à négliger : « on peut travailler sur la rénovation globale ou sur un programme geste par geste (…) et planifier les échéanciers. (…) Il est possible de recourir au tiers payant dont l’objectif est d’arriver à porter ce financement. Il faut déterminer le reste à charge. On cherche des solutions de financement simples et on sélectionne là aussi les entreprises (banque, start-up, etc.) qui vont supporter cette charge », expose Pierre Maillard. A noter toutefois : la mise en œuvre de ces travaux de rénovation énergétique impose que « l’ensemble des compétences soient parfaitement coordonnées et chaînées pour que l’on puisse avoir un résultat qualitatif, qui aura un réel impact sur les diagnostics et audits qui seront réalisés a posteriori. En qualité de courtier ce n’est pas notre mission mais on va s’entourer d’AMO ou de maître d’œuvre pour pouvoir le faire », relève Emily Aichoum.
Audit énergétique : quel impact demain pour la filière ?
En complément du DPE, les acquéreurs de maison individuelle ou d’immeuble collectif en mono- propriété classé F ou G disposeront d’un nouvel outil avant de s’engager : l’audit énergétique. « L’objectif du législateur est de pouvoir chiffrer les travaux, de disposer d’une enveloppe précise pour tendre vers une classification énergétique B. Pour des raisons de caractères techniques de certains bâtiments, on ne pourra parfois atteindre que le C », expose Thierry Marchand. Initialement prévue pour le 1er janvier 2022, l’obligation d’audit énergétique des biens uniquement destinés à la vente a été repoussée au 1er septembre 2022 à la demande des diagnostiqueurs qui n’ont pas souhaité être confrontés aux mêmes incidents engendrés par le nouveau DPE. L’audit énergétique constituera-t-elle un frein supplémentaire pour la vente de ces biens et une ouverture supplémentaire à la négociation ? « Il y a une pénurie sur certains secteurs de biens à la vente, notamment pour les maisons individuelles. De fait, je ne pense pas que le classement et l’audit énergétique soient pénalisants de manière immédiate », conclut Martine Cardouat.
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