Le constat
La transaction immobilière résidentielle a sans doute été le premier métier concerné par la digitalisation, avec la création de portails d’annonces, mais aussi la dématérialisation progressive de la chaine des services, des visites de biens à la signature électronique des avant-contrats. La période de confinement liée à la pandémie a catalysé le recours au distanciel et par voie de conséquence aux outils numériques. Même l’acte solennel de réitération des ventes a pu se conclure de façon digitale. Le cadre règlementaire s’est adapté » à ces évolutions, quand il ne les a pas précédées.
Dans ce contexte de forte digitalisation professionnelle, des acteurs sont apparus dans le monde de la transaction, placés dans ce qu’il est convenu d’appeler la catégorie des « néo-agences ». Ils ne se contentent pas de changer les modes d’exercice de la transaction, et bouleversent également la façon de facturer l’intermédiation et l’accompagnement. S’ils semblent convaincre les investisseurs, la communauté immobilière accueille ces nouveaux entrants avec plus de scepticisme, quand elle ne remet pas en cause leur valeur ajoutée ou leur originalité.
Les questions
- Sont-ils vraiment plus performants au plan digital? Qu’apportent-ils de nouveau?
- Parviendront-ils conquérir le marché de particulier à particulier, qui échappe encore assez largement aux agents immobiliers?
- Dégradent-ils la prestation ou l’adaptent-ils à une demande de service qui s’est modifiée?
- Leur modèle est-il solide? Leur marketing en promet-il plus que leur réalité n’en donne?
- Et les modèles plus établis ne peuvent-ils en tirer des enseignements pour leur propre développement?
- Les deux vont-ils à terme cohabiter pour élargir le choix du public?
Un débat entre acteurs de la copropriété, pour comprendre les logiques et mieux servir les intérêts du public, organisé le mardi 12 octobre 2021 de 18h à 19h.
Cette conférence du Cercle des Managers de l’Immobilier est organisée à l’initiative de Benjamin Darmouni, président du Cercle des Managers de l’Immobilier, François-Emmanuel Borrel et Evelyne Vivier, présidents adjoints du Cercle, et Emily Jousset, présidente du pôle Communication du Cercle.
Elle est animée par Henry Buzy-Cazaux, Président de l’Institut du Management des Services Immobiliers et secrétaire général du Cercle.
Les intervenants
La synthèse
Les Agences de Papa vont-elles disrupter le marché de la transaction immobilière ?
A ce jour, l’entreprise jouit d’une très bonne notoriété (un Français sur cinq la connait), bénéficie du soutien marketing, financier et amical du judoka Teddy Riner et est la première néo-agence immobilière cotée en Bourse sur le marché Euronext Access+TM, avec une valorisation de 228,99 millions d’euros. Pour autant, la grande majorité des acteurs est d’accord pour dire qu’il est encore trop tôt pour répondre à une telle question, la marque niçoise n’ayant que deux ans d’existence et n’affichant un chiffre d’affaires que de 52 400 euros au 1er semestre 2021. Ses cofondateurs, Nicolas Fratini et Frédéric Ibanez, énoncent clairement : « Nous proposons une alternative au modèle existant et nous n’avons pas pour objectif de le remplacer ». Leur entrée sur le marché de la transaction n’est pas passée inaperçue, suscite des critiques et appelle à la comparaison avec les agences traditionnelles et le réseau des mandataires. Il reste que leur modèle économique semble avoir convaincu les investisseurs : après leur entrée en Bourse, les Agences de Papa ont levé 6,5 millions d’euros en septembre dernier. Alors, qu’ont-elles de si innovant ?
Un modèle économique pour répondre à un objectif sociétal
Le but premier des cofondateurs des Agences de Papa était de réduire les honoraires d’agence, qu’ils jugeaient trop élevés, et de permettre ainsi la démocratisation de l’accès au logement. « Le montant des honoraires peut être bloquant. Ils ne doivent pas pénaliser les personnes aux revenus les plus modestes. Ces honoraires pèsent soit sur le crédit, soit sur l’apport. Ils peuvent correspondre à un ou deux ans de crédit, et pour lesquels on devra payer en plus des intérêts d’emprunt. Parfois, leur montant empêche la transaction d’avoir lieu : le vendeur – qui veut vendre rapidement – doit baisser son prix alors qu’il ne le peut pas toujours. Réduire les honoraires permet de donner du pouvoir d’achat à d’autres : une pièce en plus, une voiture, des travaux… un pouvoir d’achat qui doit rester dans la poche du client », explique Frédéric Ibanez. Pour ce faire, les deux entrepreneurs ont analysé la chaine de valeur du marché de la transaction et ont construit leur modèle en s’appuyant sur le numérique pour créer un service client à distance : « On a simplifié les démarches du vendeur et de l’acheteur pour fluidifier le parcours client », précise Frédéric Ibanez. Et Nicolas Fratini de compléter « On a centralisé sur notre plate-forme le service client : nos experts accompagnent le client pendant la phase d’estimation, celle de diffusion de l’annonce et jusqu’à la négociation. On externalise les visites à la société Flatsy, sauf si le client veut recevoir l’acquéreur, ce qui n’est pas autorisé dans le parcours traditionnel. On s’arrête avant le compromis de vente : le dossier complet est transmis au notaire ». De ce fait, la société a pu fixer le montant de ses honoraires à 2 000 euros nets vendeurs, quel que soit le prix du bien vendu et sa situation géographique en France.
Un modèle qui suscite les critiques et la comparaison
Stéphane Fritz, président du réseau Guy Hoquet l’Immobilier, se dit apaisé : « Ces modèles ne nous attaquent pas plus que cela. Néo ? Non. C’est un site d’annonces concurrent de PAP ». Ce dernier compare l’arrivée de ces nouveaux acteurs sur le marché de la transaction à celle, il y a environ 15 ans, des mandataires puis rappelle que lorsque le client paye 10 000 euros d’honoraires, c’est pour bénéficier d’un accompagnement en banque, chez le notaire, en médiation : « Agent immobilier c’est un métier (…) et, à ce jour, il n’y a pas plus digitalisé que les réseaux organisés », conclut-il.
Au tour de Christian Cohen, fondateur et directeur général du groupe Impact-Immo, de poursuivre la comparaison : « Oui, on fait un métier (…) que l’on a voulu dès le départ comme une intégration du parcours d’acquisition du client jusqu’à l’acte authentique. On ne veut pas parler à des consommateurs, à des leads qualifiés ou à des prospects mais à des clients acquéreurs ou vendeurs. Donc la connaissance intime, que l’on se doit développer vis-à-vis d’eux, ne repose certainement pas sur une délégation de service pour faire des rendez-vous (parce que nous on ne parle pas de “visites”) pour acquérir ou vendre un appartement, cette période étant beaucoup trop précieuse pour nous en terme d’échange d’informations. Nous ne souhaitons pas non plus déléguer la rédaction des avant-contrats au notaire car quand on a mis un acheteur et un vendeur d’accord, il faut pouvoir trouver une date dans l‘agenda du notaire. Je crois que nous (NDLR : le groupe Impact-Immo) sommes dans la proportion des 15 % d’agents immobiliers en France qui rédigent les avant-contrats, qui sont séquestres des indemnités d’immobilisation et qui proposent un service de courtage en interne après avoir passé les qualifications Orias pour pouvoir parler d’argent avec des clients quand on en a reçu mandat. Tout cela c’est un métier ».
Quant à Olivier Descamps, directeur général d’IAD France, lui se souvient que les réseaux de mandataires étaient aussi, à leur arrivée sur le marché, critiqués par crainte : « C’était un marché atone, au sens routinier des agences, des négociateurs. On est arrivé, on a dit que l’on ne voulait plus d’agence, que l’on allait baisser les honoraires, en rendre au client, et que l’on allait créer des fonds de commerce pour que nos indépendants en deviennent propriétaires, plutôt que d’être des salariés ou des agents commerciaux attachés à des porteurs de cartes dans des agences. (…) Nous on est dans un concept de marketing de réseau. (…) On est parti plus léger pour permettre aussi la redistribution de la valeur à nos mandataires (70-82 % contre 40-45 % pour un agent commercial) ». Pour lui, les Agences de Papa sont des « transformeurs de marché » : « ils ne l’ont pas disrupté mais ils apportent une nouvelle chaine de valeur ». Aussi, estime-t-il que les Agences de Papa seraient tout à fait légitimes à prendre 10, 15, 20 % de part du marché de PAP qui réalise environ 400 000 des 1 200 000 transactions de cette année : « avec la façon dont ils vont le faire, est-ce que cela marchera ? Ce sont les clients qui vont le décider ».
Si la critique est entendable, elle apporte des corrections. Toute d’abord, contrairement à PAP, les Agences de Papa ont une carte professionnelle d’agent immobilier : son directeur général, Claude Li, en est le détenteur. « On ne fait pas le même travail que PAP : on est payé au résultat et PAP d’avance. Nous organisons les visites à la demande du client, nous diffusons son bien immobilier sur l’ensemble des sites immobilier (Le Bon coin, Se Loger, Le Figaro…), sur notre site – qui offre une grande visibilité puisqu’il atteint des pics journaliers entre 30 000 et 35 000 visiteurs – et sur nos réseaux sociaux ». Ensuite, force est de constater que, comme environ 85 % des agences traditionnelles, les Agences de Papa n’assurent ni la gestion de la promesse de vente, ni celle du séquestre et s’arrêtent à la transmission du dossier au notaire. Mais l’intervention de ce dernier est perçue comme un gage de sécurité pour le client. Enfin, 95 % des clients des Agences de Papa préfèrent recevoir, eux-mêmes, l’acquéreur. Et, en réalité, la suivi de la relation client se poursuit jusqu’à la signature de l’acte authentique puisque chaque vendeur est rappelé dès le lendemain de la vente. « Ce que nous disent les agences de Papa c’est que nous pourrions avoir un modèle alternatif. Peut-être », relève Christian Cohen. Aussi faut-il poursuivre la comparaison.
Un modèle créateur d’emploi et distributeur de richesse ?
Christian Cohen rappelle que le modèle traditionnel est aussi un modèle social, basé sur le salariat : « avec les ambitions que nous avons, nous considérons qu’il faut prendre ses responsabilités, c’est-à-dire d’employer ». Employer sans omettre le fait qu’il faut donner aux collaborateurs la possibilité d’évoluer et de répondre à leurs aspirations de devenir futurs entrepreneurs : « Nous sommes propriétaires de nos fonds de commerce ; donc nous allons les former pour qu’ils puisent s’installer et porter les marques sur des territoires où nous ne sommes pas », expose-t-il tout en soulignant, qu’in fine, la marque et la compétence interne seront valorisées.
Autre élément à prendre en considération : le niveau de facturation qui permettra la redistribution de la richesse, et jouera sur le niveau de rémunération des agents. Sur ses bassins d’emplois, Christian Cohen observe, depuis une dizaine d’années, que les niveaux de prix se sont envolés. « Néanmoins, il faut admettre que la variable d’ajustement dans une transaction, c’est-à-dire ce qui rapproche un vendeur et un acheteur, c’est l’agent immobilier. Quand, au départ, nous avons des grilles de prix qui sont de 3 ou 4 %, en général on finit toujours par terminer à 2-2,5% du prix de vente (2,7% dans le meilleur des cas). En réalité, nos honoraires ne se sont pas envolés (guère plus élevés que 10 000-11000 euros par transaction, en moyenne), contrairement aux prix, car nous nous adaptons à nos clients. Pour Olivier Descamps, si l’on veut pouvoir prendre des honoraires, il faut les prendre sur la rupture du business modèle. « Les Agences de Papa le font sur la réduction de la chaîne de valeur. Ils prennent le pari de dire que certains Français ne vont pas avoir besoin du full accompagnement et pour 2 000 euros, ils vont les accompagner sur une partie du chemin. C’est leur pari et le reste va se faire tout seul. Nous, on a décidé de garder l’ensemble de l’accompagnement, de baisser nos frais fixes, et de rendre à nos mandataires et à nos acquéreurs et vendeurs, une partie de nos honoraires. On est à 7 000 euros. On est toujours positionné avec 25 % de moins que les agences vitrées, en moyenne. Si on ne maintient pas cela, on tue la promesse originelle ».
Côté Agences de Papa, l’activité a permis le recrutement de 120 personnes en CDI. Les co-fondateurs reconnaissent que d’avoir sous-traité les visites à une société tierce, qui met à leur disposition un réseau d’agents commerciaux loueurs, leur a permis de proposer des honoraires à 2 000 euros. Sur l’efficacité et l’évolution du modèle, la société étant cotée, Nicolas Fratini et Frédéric Ibanez sont soumis à des règles strictes de communication et ne peuvent en dire davantage pour le moment. Ils avouent toutefois qu’améliorer le service client reste une priorité et que la diversification est engagée, notamment vers le marché de la gestion locative, les locataires étant de possibles futurs acquéreurs.
Quelles sont les sources de valorisation du modèle ?
La data serait-elle la source de la valorisation du modèle ? Pour Christian Cohen, les fichiers clients ont une valeur mais ils sont difficilement exploitables compte-tenu de la réglementation en vigueur (RGPD) et des contrôles opérés par la CNIL : « il y a certainement des sources de valorisation (…) mais aujourd’hui les modèles restent à construire pour dire ce que vaut un client. Moi je suis parfaitement incapable de le dire aujourd’hui ». Pour Stéphane Fritz, la réponse est négative. « La valorisation d’une agence se fait soit sur son EBE (excédent brut d’exploitation), soit sur son chiffre d’affaires avec des coefficients. Ces derniers sont doublement valorisés : 2,5 fois pour la gestion, 0,30 pour la transaction. Une différence qui s’explique par le fait que la transaction, c’est de la conquête, le risque est pris en compte dans la valorisation. Alors que la gestion, c’est de la récurrence. C’est acheté très cher le taux de réengagement des clients. Et s’agissant des masters franchisés, on a 85 à 96 % de taux de renouvellement (Ebitda). Les entreprises ont une valeur propre et une valorisation équilibrée. La 3e source est la data. Mais faut-il encore l’avoir. » Pour Olivier Descamps, la proximité et la performance sont d’abord valorisées (la proximité développant le chiffre d’affaires) : « Aujourd’hui les investisseurs regardent la progression, la prise de marché, le potentiel de marché encore à prendre, et la data arrive bien après ».
Si la data constitue effectivement une source de croissance pour les Agences de Papa, Nicolas Fratini et Frédéric Ibanez tiennent à préciser qu’elle pourra l’être dans le futur mais que son exploitation se fera selon les règles éthiques dictées par leur société : « On n’a pas vendu une seule data depuis la création de l’agence ». Les deux entrepreneurs envisagent de développer avec des partenaires des offres de services qui pourront être proposées aux clients qui en feront la demande dans le cadre du parcours clients, l’objectif n’étant pas de vendre leurs noms. Au-delà de leur capitalisation boursière, la valorisation des Agences de Papa se mesure par rapport au marché sur laquelle elle évolue : « rien que le fait d’être sur un marché d’anticipation, sur un nouveau business modèle, le tout validé par des investisseurs de qualité et de référence, prouve qu’il y a un vrai potentiel », conclut Frédéric Ibanez.
crédit photo : Ludovic Charlet de Pixabay
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