Mai 12

Locataires HLM hors plafonds de ressources : où va-t-on les loger ? – Mardi 14 mai à 18h

La synthèse

Quels sont les changements envisagés par le projet de loi ?

Le projet de loi « relatif au développement de l’offre de logements abordables » prévoit, notamment :

– l’abaissement du seuil permettant l’application automatique du mécanisme du supplément de loyer de solidarité (SLS ou surloyer) en cas de dépassement du plafond de ressources autorisé pour obtenir un logement. Actuellement, le seuil est de + 20 %. Pour mémoire, le montant du plafond varie selon le type de logement social : PLAI, PLUS, PLS et PLI, (les deux dernières catégories correspondent à des locataires dont les revenus sont trop élevés pour avoir un logement HLM PLUS mais trop faibles pour accéder au parc privé). C’est le revenu fiscal de référence (RFR) de l’année N-2 de l’ensemble des personnes qui occupent le logement qui est pris en compte ainsi que le secteur géographique où est situé le bien. Une enquête annuelle « Ressources » est faite par les bailleurs sociaux auprès de tous les locataires (à l’exclusion des bénéficiaires de l’APL, des personnes vivant hors quartier prioritaire de la politique de la ville – QPV –, et de celles vivant en zones de revitalisation rurale – ZRR – et des locataires PLI) pour contrôler les revenus et appliquer, si besoin, un SLS. Le montant annuel du SLS est, au maximum, de 30 % du montant total de leurs revenus annuels ; 

– la résiliation du bail social en cas de dépassement, pendant deux années consécutives, de plus de 20 % du plafond de ressources autorisé (au lieu de 50 % actuellement), et l’obligation de quitter le logement dans les 18 mois. Sont visées les personnes atteignant 120 % du PLS ;

– la résiliation du bail social si le locataire est propriétaire d’un bien pouvant générer des revenus suffisants pour lui permettre d’accéder au parc privé. C’est donc le patrimoine immobilier du locataire qui est pris en considération. Ne sont pas visés par cette disposition : les locataires handicapés ou ayant une personne handicapée à charge ; les locataires de plus de 65 ans ; les locataires habitant un QPV ;

– la faculté, pour les collectivités n’ayant pas atteint les objectifs de la loi SRU en matière de logements sociaux, de construire des logements intermédiaires et de les intégrer au quota ;

– la possibilité, pour les bailleurs sociaux, en cas de relocation, d’augmenter les loyers les plus bas des logements les plus anciens, et de les mettre au niveau des plafonds des logements sociaux neufs ;

– l’opportunité, pour les bailleurs sociaux, de pouvoir compter 20 % de logements intermédiaires dans leur parc (au lieu de 10 % actuellement).

L’objectif de mobilité dans le parc HLM visé par le projet de loi peut-il être atteint ?

Souhaitant estimer les impacts du projet de loi, Michel Bancal, président de l’Office public HLM Versailles Habitat, maire adjoint de Versailles chargé du logement et des travaux sur le patrimoine, a procédé à une analyse du parc social versaillais : « Nous avons quatre locataires qui dépassent actuellement de 50 % les plafonds, mais ces sont des gens de plus de 65 ans. (…) Si on passait à 120 % nous arriverions brillamment à avoir 33 personnes concernées dont seules 21 ont moins de 65 ans. Ce qui veut dire que sur un patrimoine de 5 300 logements, nous n’aurons uniquement que 21 départs ». Côté Action Logement, le projet de loi raisonne un peu différemment, comme le décrit Nicolas Henry, directeur de la stratégie du groupe Action Logement : « On compte à peu près aujourd’hui 30 000 ménages soumis au SLS sur un parc d’environ 700 000 logements. On estime qu’environ 10 % des ménages seraient demain concernés par le SLS dans notre parc, ce qui représente malgré tout 50 000 ménages ».

Michel Bancal relève toutefois : « Ce qui est intéressant, c’est que l’on a deux plafonds. Pour calculer le surloyer, si le locataire est dans un logement social PLAI, PLUS, c’est par rapport au plafond du PLUS (le logement social standard) qu’il paiera un surloyer. En revanche, pour faire quitter le logement, et quel que soit le type de logement social occupé, c’est 120 % du plafond du PLS qui sera pris en compte pour tout le monde (au lieu de 150 % aujourd’hui). Cela complexifie un peu les choses mais cela n’est pas aberrant et ne va pas paupériser une classe sociale. (…) Il y a des zones, en France, où le loyer libre est déjà moins cher que celui du PLS ». Mais Michel Bancal s’interroge davantage sur la faisabilité du contrôle attendu sur le patrimoine immobilier des locataires : « Nous ne disposons pas de la liste des biens qui composent le patrimoine de nos locataires (NDLR : le projet de loi prévoit la transmission par la DGFiP aux bailleurs sociaux des données fiscales des locataires), encore moins des biens qui sont situés à l’étranger, même si on a des échos. En outre, concernant l’évaluation, la valeur locative n’a rien à voir avec la valeur du loyer. (…) Pour moi, on est dans quelque chose de difficilement réalisable, ou alors ça va être une usine à gaz invraisemblable. (…) Et nous n’avons aucun pouvoir de police qui nous permette de trancher ». 

Pour Jean-Claude Driant, professeur émérite à l’Institut d’urbanisme de Paris, l’enjeu de mobilité est majeur car c’est le facteur principal de blocage : « C’est la mobilité qui est à l’origine de l’essentiel de l’offre de logements HLM, non la production nouvelle. Si le nombre de logements sociaux augmente, l’offre de logements, c’est-à-dire les logements qu’on peut attribuer chaque année à des ménages demandeurs, est en recul. (…) Et le projet de loi l’accentue encore ». Il juge inefficaces les mesures envisagées : « C’est du One Shot ». Selon lui, pour accroître la mobilité du logement social, il faut offrir des possibilités de sortie attractives : « il y a là un risque de déclassement d’une partie des ménages parce que l’on peut craindre que les personnes dépendant de la fourchette basse des 120 % du plafond du PLS aient du mal à se loger dans les mêmes conditions de localisation, de qualité de logement, de surface, etc. (…) C’est toute la question du logement abordable, qui n’est pas traitée dans le projet de loi ». Le professeur émérite regrette l’absence d’offre pour loger les locataires contraints de quitter le parc social au bout de 18 mois.  En outre, il redoute, qu’en plus d’abaisser les plafonds de ressources rendant passibles du surloyer – ce qui exige de revoir la loi –, on accroisse le montant des surloyer en changeant les barèmes – ce qui implique une mesure réglementaire : « avec ces mesures-là, on deviendrait beaucoup plus contre-productif ».

L’intégration du logement intermédiaire dans les quotas SRU vient-elle combler le déficit de logements sociaux ?

« En voulant intégrer les logements intermédiaires dans le décompte de la loi SRU, il y a un peu tromperie sur la marchandise par rapport aux cibles », dénonce Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre, « De quoi parle-t-on quand on dit PLAI, PLUS, PLS ?  On parle potentiellement, au regard des ressources des ménages en France aujourd’hui, d’à peu près 3/4 de la population. Ce logement intermédiaire s’adresse à ceux qui ont des ressources au-dessus. Nous, à la Fondation Abbé Pierre, on pense que dans plein de territoires, il y a besoin de logements intermédiaires parce que les marches entre le logement social et le parc locatif privé sont telles qu’il manque ce segment-là mais pas à la place d’un logement social. Nous avions dit au ministre délégué au Logement : “ si vous voulez inciter davantage à la production, ajoutez 5 % au 20 % de la loi SRU”. Nicolas Henry nuance : « Cette mesure, qui est proposée dans le projet de loi, est une mesure intermédiaire (et je ne fais pas de mauvais jeu de mots) puisque malgré tout le taux final de la loi SRU devra quand même être atteint. Elle permet un rattrapage un peu plus modéré pour les communes. Mais les taux qui sont applicables aux communes devront, in fine, avec un peu plus de délai, être atteints par chacun des élus qui sont chargés de les conduire ».

Cette substitution à l’offre SRU originelle de logement social vient alimenter la colère des membres de la Fondation qui pointe aussi la baisse de constructions neuves pour le parc social (125 000 en 2016, 82 000 en 2023 et une prévision de 65 000 – 68 000 sur les 10 prochaines années) et « la ponction d’1 300 000 euros au titre du surloyer, qui pénalise durement la capacité des acteurs du logement social à produire, à rénover, à apporter des services aux locataires » (environ 84 000 logements sociaux seraient assujettis au surloyer). Pour autant, le dispositif du surloyer conduit-il au financement des HLM par les locataires ? Non. Michel Bancal indique que « même si la loi propose d’aller plus loin, les bailleurs sociaux ne gardent que 15% du surloyer comme frais de gestion puisque c’est eux qui font tout le travail de demander les revenus fiscaux de référence, de calculer et percevoir les surloyers. Une fois les sommes perçues, ils reversent 85% à l’État ». Quoi qu’il en soit, Christophe Robert regrette que le législateur n’ait pas répondu à l’appel des acteurs du logement dans le Conseil national de la refondation (CNR) qui « souhaitaient pouvoir relancer la production de logements dans le pays (…) et étaient favorables à actionner tous les leviers à la fois pour favoriser l’accession sociale à la propriété et l’investissement privé avec un certain nombre de contreparties sociales, fiscales et écologiques, fixer des objectifs aux bailleurs sociaux et étendre l’encadrement des loyers ». 

Le projet de loi est-il défavorable aux locataires les plus fragiles ?

Pour Christophe Robert, cela ne fait aucun doute. Le projet de loi est présenté alors que coexistent des tensions au sein du parc locatif social, d’importants écarts entre les ressources des ménages, la cherté du parc locatif privé et, plus globalement, les coûts exorbitants du logement.

Tout d’abord, en durcissant les conditions de surloyer, le projet de loi ne soutient pas les plus fragiles et finit par favoriser ceux du secteur intermédiaire, puisqu’un tel dispositif n’est pas prévu.

Ensuite, la faculté offerte aux bailleurs sociaux, en cas de relocation, de mettre les loyers les plus bas du parc (environ 4 euros du mètre carré) au niveau des plafonds du logement social neuf risque de porter atteinte à une offre qui, déjà, périclite depuis 10 ans : « Cela pourrait vraiment créer de fortes tensions auprès de ces ménages et limiter les capacités de les reloger. Il y a déjà des lois que nous souhaiterions voir davantage appliquées, notamment celle qui impose que dans les attributions de logements sociaux, il y en ait au moins 25 % qui soient réservées au premier quartile de ménages en termes de ressources (ménages les plus fragiles). On n’y est pas. On est à 17 % aujourd’hui. Comme on n’y est pas et que l’on manque d’offres qui correspondent à la capacité financière de ces ménages, nous sommes très inquiets par la mesure envisagée », expose le délégué général de la Fondation Abbé Pierre.

Enfin, le risque est grand de voir un va-et-vient des ménages dans le parc social du fait des fluctuations de leurs ressources qui dépendent d’un contexte économique en crise. Nicolas Henry alerte le législateur concernant un déclenchement trop immédiat du surloyer : « Le revenu est conçu comme ascensionnel. Or, tout le monde n’a pas un profil de carrière en mode fonction publique avec une augmentation du revenu garantie (…). Des adaptations sont à prévoir pour ne pas sortir, rentrer, sortir des publics du dispositif du logement social avec une perte de chance d’y revenir ».

Quels sont les dispositifs pour favoriser l’accession au parc locatif ?

Faciliter l’accès au logement pour favoriser l’emploi constitue la mission centrale d’Action Logement. Ce fort lien emploi-logement a conduit naturellement le Groupe, géré avec les partenaires sociaux, à soutenir le projet de loi : « Il nous semblait stimuler le parcours résidentiel, une notion qui nous est chère », fait valoir Nicolas Henry. Pour mener à bien sa mission, Action Logement propose un panel de dispositifs qui peuvent permettre aux locataires du parc social d’aller vers le parc privé. Il en est ainsi, notamment :

– du bail réel solidaire (BRS) qui permet de dissocier le foncier et le bâti et de baisser le prix du logement ;

– de la garantie Visale : en se portant garant, Action Logement apporte une aide aux personnes qui ne disposent pas d’un soutien familial ou de revenus suffisants pour pouvoir accéder à la location. Déployée en faveur de plus d’un million de bénéficiaires sur la précédente convention quinquennale, la garantie est proposée aux salariés et aux jeunes de moins de 30 ans. Elle devrait être proposée à d’autres publics prochainement : « On vise les 2 millions pour la convention quinquennale 2023-2027. (…) Je note que le président est toujours généreux avec l’argent qui n’est pas celui de l’État. Si jamais l’État comptait une extension sur d’autres publics notamment, j’imagine, les fonctionnaires de plus de 30 ans (…), il faudra qu’on en discute d’un point de vue financier puisque tout cela a un coût et que l’État se fera fort de nous rappeler que nous devons respecter les équilibres financiers de la convention quinquennale. Donc effectivement, ce sera dans le cadre nécessairement d’une négociation et d’une indemnisation en quelque sorte par l’État. Il ne peut pas en être autrement », ironise Nicolas Henry ;

– du prêt accession : déployé à l’égard des salariés dans une limite de 30 000 euros en termes de quantité à un taux de 1 %. En 2023, ce sont près de 600 000 000 d’euros qui ont été distribués ; 

– de l’offre « Louer pour l’emploi » qui permet de stimuler l’offre de parc privé en sécurisant les revenus locatifs du bailleur privé, et en valorisant l’investissement grâce au financement de travaux d’amélioration ou de rénovation énergétique, le paiement des frais d’agence. 

Parallèlement à ces dispositifs, le Groupe contribue à la production de logements : 45 000 logements (sur 1 100 000 logements détenus) ont été financés en 2023 (logements sociaux et abordables). Un effort particulier a aussi été mis sur la production de logements intermédiaires : le Groupe, qui sollicite les bailleurs sociaux pour en produire, pourra conforter son action puisque le projet de loi prévoit l’augmentation des seuils de détention des bailleurs sociaux (de 10 à 20 %). « On a d’autres solutions pour accélérer la production de logements abordables : on a le développement de la vente HLM avec un opérateur (ONV) qui s’adresse à l’intégralité des bailleurs sociaux pour pouvoir accélérer l’avantage HLM. Il intervient un peu comme une foncière qui d’abord rachète des logement HLM pour ensuite les céder progressivement, ce qui permet de stimuler la production des différents bailleurs », expose Nicolas Henry, qui avoue que, dernièrement, la vente HLM est un peu ralentie.

Pour Christophe Robert, la production de logements sociaux et de logements intermédiaires pourrait permettre d’enrayer la demande toujours croissante de logements sociaux. Il regrette toutefois la suppression de l’APL Accession : « C’est dommage. Je pense qu’il aurait fallu la renforcer. »

Regardez la conférence en replay !

Les enjeux

En révélant l’une des dispositions du projet de loi visant à développer l’offre de logements abordables de Guillaume Kasbarian, la presse a créé l’émoi : il s’agit de déclencher le supplément au loyer de solidarité de au premier euro de dépassement des plafonds de ressources. Le ministre du logement a identifié que les revenus de 400 000 ménages occupant un logement HLM, sur les quelque 5,5 millions, seraient au-delà des plafonds donnant droit à un logement social. Si le texte est voté en l’état, les  locataires seront ainsi encouragés à quitter leur logement HLM. Dans les cas de plus fort dépassement, les occupants concernés sont déjà sommés aujourd’hui de libérer le logement dans les dix-huit mois. 

Quelle est vraiment la situation dans le parc HLM? La loi sur les surloyers est-elle strictement appliquée ? Alors que l’offre locative privée n’a jamais autant été sollicitée et ne suffit pas à répondre à la demande, alors que la primo-accession est rendue impossible à des milliers de ménages à cause de l’inflation et de la réduction des aides, quelles solutions pour reloger les locataires qui quitteraient le parc HLM ? Comment leur proposer des logements à la mesure de leurs moyens ? Comment réduire les prix des loyers de marché pour les rapprocher des loyers HLM majorés des surloyers pour permettre le passage du parc public au parc privé ? Ces efforts combleront-ils le retard accumulé par la construction HLM ces dernières années? Raccourciront-ils la liste d’attente des demandeurs ?


Les intervenants

Le débat est animé par Henry Buzy-Cazaux, président-fondateur de l’Institut du Management des Services Immobiliers, secrétaire général du Cercle. Avec :

  • Michel Bancal, président de l’Office public HLM Versailles Habitat, maire adjoint de Versailles chargé du logement et des travaux sur le patrimoine
  • Jean-Claude Driant, professeur émérite à l’Institut d’Urbanisme de Paris
  • Nicolas Henry, directeur de la stratégie du groupe Action Logement
  • Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre
Jean-Claude DRIANT
Professeur émérite à l’Institut d’Urbanisme de Paris
Michel Bancal
Président de l’Office public HLM Versailles Habitat, maire adjoint de Versailles chargé du logement et des travaux sur le patrimoine
Nicolas Henry
Directeur de la stratégie du groupe Action Logement
Christophe Robert
Délégué général de la Fondation Abbé Pierre