Le constat
La crise sanitaire, en empêchant les touristes comme les travailleurs de se déplacer, en a privé Paris et les autres destinations les plus prisées de France, qu’il s’agisse de la clientèle étrangère ou même dans de fortes proportions de la clientèle domestique. Les locations meublées de courte durée en ont directement pâti, conduisant les propriétaires des logements concernés à s’interroger sur leur stratégie. D’ailleurs, dès le premier confinement, la mairie de Paris a annoncé qu’elle rachèterait ces biens pour abonder l’offre locative de la capitale, après avoir inspiré un durcissement de la règlementation applicable à AirBnb. Tout porte à croire qu’une grande partie des locations touristiques ou pour les cadres en mobilité se sont mutées en locations meublées de longue durée, voire en locations nues.
Les questions
- Quelle est aujourd’hui la meilleure stratégie pour les investisseurs ?
- Quelle est celle que préfèrent les élus des villes les plus attractives ?
- Cette période va-t-elle résoudre le problème de l’appauvrissement du parc locatif privé pour les ménages désireux d’habiter les grandes villes ou les villes moyennes à fort potentiel touristique, Dinard, Biarritz, Nice ou Annecy?
- Le retour à un situation sanitaire normale ne va-t-il pas conduire les propriétaires à revenir vers les locations courtes, au rendement bien supérieur ?
C’est le thème de la prochaine conférence du Cercle des Managers de l’Immobilier, organisée le mardi 4 mai à 17h.
Cette conférence est organisée à l’initiative de Benjamin Darmouni, président du Cercle des Managers de l’Immobilier, François-Emmanuel Borrel et Evelyne Vivier, présidents adjoints du Cercle, et Emily Jousset, présidente du pôle Communication du Cercle.
Elle est animée par Henry Buzy-Cazaux, Président de l’Institut du Management des Services Immobiliers et secrétaire général du Cercle.
Les intervenants
Spécialistes de la commercialisation des locations, représentants des propriétaires et des élus répondent à ces questions.
La synthèse
La location meublée serait-elle devenue, malgré elle, l’élue des investisseurs ? « Sur les douze derniers mois, en volume des annonces locatives, nous assistons à un boom de la location, et notamment des meublés. L’offre a augmenté de + 129 % par rapport à mars 2020. Au niveau national, le taux des annonces de meublé atteint une part de 31,5 %, contre 20 % auparavant », déclare Séverine Amate, directrice des relations médias et publiques du groupe SeLoger, qui précise, toutefois, que la location de logement vide représente encore 79,9 % des annonces publiées sur le site (étude réalisée sur la période mars 2020-mars 2021, dans 11 villes). Sur Paris, les chiffres parlent d’eux-mêmes : + 290 % d’offres de location meublée (+ 256 % pour le vide), faisant passer le taux de meublé de 43 % à 54 %. Et le phénomène ne serait pas que parisien puisque, toujours selon le baromètre SeLoger, les annonces de locations meublées à Bordeaux ont connu une hausse de + 402 % propulsant le taux des meublés à 67 %. A l’origine un marché de niche de centre-ville créé à l’initiative d’investisseurs étrangers, le secteur locatif meublé s’étend et devient de plus en plus important. Mais comment expliquer un tel phénomène ?
Les causes du changement
Plusieurs événements ont contraint les propriétaires bailleurs (occasionnels ou de longue durée) à revoir leur stratégie patrimoniale.
On mentionnera, tout d’abord, la politique de l’encadrement des loyers qui favorise légèrement le meublé. Par exemple, le loyer de référence est actuellement de 27, 80 euros/m2, contre 24,6 euros /m2 pour un logement vide, s’agissant de la location d’un deux pièces situé à Paris Ve dans l’ancien.
Vient, ensuite, la crise sanitaire qui, avec la fermeture des frontières et la mise en place des confinements et du télétravail, a eu pour effet de priver les bailleurs de locataires étrangers, étudiants ou expatriés.
Enfin, la règlementation des locations touristiques qui a pour objectif de mettre fin à certaines dérives de propriétaires ayant recours aux plateformes de type AirBnB, des copropriétés s’étant transformées en de véritables hôtels clandestins. A ce sujet, Ian Brossat, adjoint à la maire de Paris en charge du logement, de l’hébergement d’urgence et de la protection des réfugiés, rappelle la philosophie de la Ville de Paris qui a contribué à l’établissement de la règle des 120 jours de location par an de la résidence principale : « oui à la location occasionnelle, non à la location touristique permanente au mépris de toutes les règles ». L’adjoint précise que cette politique, qui tend à lutter contre la raréfaction de l’offre locative à destination des Parisiens et à l’augmentation des nuisances dans les copropriétés, s’est conçue en concertation avec les grandes métropoles concernées et les villes européennes comme Barcelone, Madrid, Londres, Berlin ou encore Amsterdam : « nous échangeons régulièrement pour définir nos outils de régulation ». De fait, et étant depuis un an sous l’égide de la crise sanitaire ayant stoppé le tourisme de masse, ces propriétaires bailleurs occasionnels se sont tournés vers un mode de location plus traditionnelle. Hautement critiquées, les plates-formes intermédiaires de location comme AirBnB n’ont-elles pas, toutefois, permis aux professionnels de l’immobilier et aux propriétaires bailleurs de rendre plus attractives leurs offres locatives ?
La montée en charge du marketing immobilier
David Benbassat, directeur général de Bien’Ici, avoue que les plates-formes intermédiaires de location de type AirBnB ont eu une influence sur les annonceurs, ce qui a contribué à la pratique du home staging (la valorisation immobilière). La rédaction et les éléments constitutifs des annonces immobilières concourant à la présentation et à la mise en valeur des biens, notamment les meublés, sont dorénavant davantage travaillés, les propriétaires n’hésitant pas à recourir à des photographes professionnels : « on constate que les annonces de logement meublé sont plus attrayantes et comportent davantage de photos, et des photos de qualité. Sur Paris, 95 % des annonces de meublé ont plus de quatre photos (contre 85 % pour le vide), 70 % plus de six photos (contre 50 % pour le vide). Des efforts ont aussi été faits dans le domaine de l’ameublement, les services et l’équipement (…). Si la visite virtuelle est plus exploitée pour des biens destinés à la vente, elle est, malgré tout, plus utilisée pour de la location meublée que vide ». Le directeur général constate, aussi, qu’au niveau national, 60 % des nouvelles annonces de meublé sont diffusées sur moins d’un mois (50 % pour la location vide), que huit annonces de meublé sur dix sortent du marché dans les deux mois. Pour autant, un marché demandeur constitue la seul vraie garantie de location du bien pour un propriétaire.
L’offre supérieure à la demande
Au fil du temps, louer un meublé est entré dans les usages. Les Français y recourent pendant leurs études, dans le cadre de leur vie professionnelle, durant une période des travaux de leur logement, après un divorce, etc. La location meublée est pour 80 % du marché une réponse à une recherche de résidence principale. Malheureusement, « l’offre est supérieure à la demande », déclare Stanislas Coûteaux, dirigeant fondateur de l’agence Book A Flat. Il y aurait, aujourd’hui, environ 100 000 meublés sur le marché locatif. Conséquence : le spécialiste de la location de biens meublés à Paris et proche banlieue reconnaît que certains de ses clients bailleurs ne trouvent pas preneur : « Avant, on mettait l’annonce et on avait tout de suite des demandes. En 15 jours, c’était réglé. A ce jour, on peut mettre deux mois pour louer. Et si on ne donne pas de nouvelle au propriétaire pendant ce temps, il se tourne vers les marchés gré à gré (par exemple, le Bon coin) ». En outre, du fait de la crise, les studios tout comme les logements situés dans des quartiers de luxe n’ont plus la cote, leurs occupants privilégiés que sont les étudiants et les expatriés n’étant plus présents dans la capitale. « Notre travail en période de crise est donc d’adopter un discours de vérité, de visibilité : il y a de la demande à Paris mais un effort doit être fait de la part du propriétaire pour trouver preneur sur ce marché », expose Stanislas Coûteaux. L’effort consiste à se rapprocher de l’encadrement de loyers. « Un deux pièces proposé avant 1800 euros, pourra l’être à 1400 mais il sera loué. Ainsi, on pratique une remise exceptionnelle (…) ; on indique le loyer de référence habituel et on fait un avenant relatif à la baisse du loyer. Et cela fonctionne », souligne-t-il. Etat de fait constaté par Séverine Amate : selon le baromètre Seloger, les loyers sur les meublés accusent une baisse -4,5 % depuis un an (-4,6 % pour le vide). Aussi, se pose la question de la rentabilité de l’opération.
Le modeste rendement de la location meublée
Séverine Amate met en garde : « Il n’y a pas que le rendement qui compte, il faut aussi analyser l’évolution des loyers pour avoir une vision plus fine ». Selon une étude réalisée par le baromètre Seloger dans huit grandes villes (Bordeaux, Lille, Lyon, Nantes, Nice, Paris, Rennes, Toulouse), le rendement brut d’un bien de 70 m2 serait plus importante pour une location meublée. « Mais les écarts de rendement ne dépassent pas un point par rapport à la location vide. A Lille, où le rendement brut est la plus forte sur ces huit villes, l’écart entre les deux n’est que de 0,75 point (5,74 pts pour le meublé contre 4,99 pts pour un vide). Mais on constate que le loyer moyen au m2 hors charges pour les biens loués vides à Lille est en baisse de 1,2 %, alors que les loyers moyens au m2 hors charge en meublé est en hausse de 4 points. Inversement, à Bordeaux, le loyer moyen au m2 est en hausse pour les logements vides (+1,6 point), et en baisse sur les locations meublé (-1,4 point) », détaille la directrice des relations médias. De ce fait : « il n’y a pas de règle, si ce n’est se fier au marché local. Chaque marché évolue à son rythme », conclut- elle. Pour Stanislas Coûteaux, la location meublée non professionnelle (LMNP) reste intéressante : « tout dépend du prix d’achat du bien. J’encourage mes clients à amortir leurs revenus sur dix ans et à faire une opération neutre fiscalement ». Alors quelle stratégie pour demain ?
L’avenir du marché locatif
Croissance de l’offre locative dans le meublé comme dans le vide, report des locations touristiques vers des modes de location plus traditionnels, loyers contrôlés… peut-on garantir la pérennité de cette situation à la veille de la reprise économique et de l’ouverture des frontières ?
Côté Ville de Paris, des actions sont lancées pour un non-retour à la location touristique de masse : « Nous proposons la mise en place de quota. Le phénomène AirBnB ne s’est pas développé de la même manière dans tous les quartiers de Paris (énormément dans le Marais et à Montmartre, moins dans le XIIIe ou le XIXe arrondissement). Nous souhaitons profiter du projet de loi 4D (NDRL : décentralisation, différenciation, déconcentration, décomplexification) qui doit être discutée au Sénat au mois de juillet pour introduire cette disposition et que les collectivités locales qui le souhaitent puissent mettre en place ce type de mesures ».
Côté professionnels de l’immobilier, la réponse est plus mesurée. Pour Séverine Amate : « Tout va dépendre de l’expérience des bailleurs avec ce nouveau mode de location (…). Selon une enquête d’opinion que nous avons réalisée, ce qui préoccupe les bailleurs ce sont deux éléments : le versement de leurs loyers et l’absence de dégradation du logement ». A cette liste, Christophe Demerson, président de l’Union nationale de la propriété immobilière (qui représente plus de 25 millions de propriétaires), ajoute une troisième préoccupation : l’assurance que le bien sera reloué, les vacances étant nombreuses sur le territoire. En effet, Stanislas Coûteaux rappelle l’important turn-over dans la location meublée puisque les locataires restent en moyenne entre 18 et 24 mois. Pour ce dernier, ceci explique peut-être la faible proportion d’impayés sur ce marché, les accidents de la vie (licenciement, maladie, etc.) intervenant plus souvent au cours de périodes plus longues correspondant à celles des locations vides. Mais cela ne doit pas priver le bailleur de se prémunir contre ce risque en recourant aux dispositifs d’assurance proposés ou en exigeant, au moins, une caution solidaire. Concernant les dégradations : « il y en aura toujours pour les meublés du fait de l’usure. Tous les deux ans, il y a toujours quelque chose à faire : changement de mobilier, peinture… », relève le spécialiste du secteur.
Côté propriétaires, Christophe Demerson clame que les propriétaires sont toujours à la recherche de revenus complémentaires, de rentabilité et de stabilité en matière législative et fiscale pour pouvoir définir une stratégie patrimoniale à long terme : « Les propriétaires doivent faire face à de nombreux frais. Les contraintes de la loi Climat inquiètent les propriétaires » (sur ce sujet voir la synthèse de la conférence organisée par le Cercle des managers de l’immobilier : « Future loi Climat Résilience : quels impacts pour le logement ? »). Quant à l’encadrement des loyers, le président de l’UNPI l’assimile à une machine à détruire l’offre locative, les critères propres à chaque bien (ensoleillement, terrasse, ascenseur, etc.) n’étant pas pris en compte pour définir le montant du loyer : « C’est une loi de 48 à l’envers ».
Côté locataires, on l’a vu, le meublé est entré dans les usages et est devenu un marché essentiel. En outre, la brièveté de la durée de location coïncide avec l’état d’esprit d’une jeune génération avide de changement tous les deux-trois ans environ, y compris sur le plan professionnel. Une clientèle qui, au demeurant, n’hésitera pas à louer un bien sans même le visiter. La location à distance représente déjà 20 % des locations. Ce comportement incite donc les professionnels de l’immobilier à s’équiper pour permettre le tout numérique sur l’ensemble du processus de location. De l’annonce qualifiée, en passant par la visite virtuelle pour conclure avec la signature électronique d’un contrat à distance… à n’en pas douter, comme le souligne Stanislas Coûteaux : « la PropTech c’est l’avenir ! ».
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