Sep 05

Loi de finances 2025 : quelle place pour le logement ? – Mardi 17 septembre à 18h

La synthèse

L’appel urgent à l’action transpartisane 

« Le niveau de production de logements est à l’étiage. On est à 283 000 logements produits en 2023. Il faut remonter à la fin des années 80 pour trouver un niveau comparable à celui-là, à une époque où la France comptait 18 000 000 d’habitants de moins et où le rythme des séparations, des mobilités professionnelles ou de l’immigration n’est pas comparable.  Et cette crise de la production touche tous les segments : du logement locatif libre jusqu’aux logements les plus sociaux. On est à 80 000 logements sociaux autorisés en 2024. On était à 105 000 en 2017. La chaîne de production sur le logement social se dégrade alors même que la demande ne fait que croître (2,7 millions de demandeurs). (…) Le ratio entre l’offre disponible de logement social et le nombre de demandes est passé de 33 % en 2004 à 34 % en 2013, et on est à 18 % aujourd’hui. (…) Le secteur des logements neufs n’est pas épargné : on dénombre environ 40 % de demandes en moins. Du côté des investisseurs, la demande a été divisée par deux », expose Édouard Dequeker, professeur d’économie à l’ESSEC Business School, assistant de la Chaire d’économie urbaine, responsable pédagogique du MS Management urbain et immobilier.

Ces non-performances produisent des effets délétères sur le plan économique et social. Le professeur dénonce que le logement est en train de devenir le premier frein à l’emploi et qu’aucun territoire n’est épargné : « La Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) estime que sept emplois sur dix sont refusés en raison d’un problème de logement ». Le dernier rapport de la Fondation Abbé Pierre fait état de 4, 1 millions de mal-logés.  Les étudiants et apprentis ne sont pas épargnés : « On a 175 000 logements étudiants publics (CROUS) aujourd’hui à l’échelle nationale et on a 3 000 000 d’étudiants. (…)  On a un parc qui est capable de loger à peu près 6 % du public étudiant, qui est composé de 36 % de boursiers ».

Notamment pour expliquer la crise de « l’acte de construire », Édouard Dequeker estime que la suppression de la taxe d’habitation est un des gestes de politique publique « les plus stupides de ces dernières années. On a tétanisé les maires par rapport à l’acte de construire, on les a désintéressés ».

Pour remédier à ces mauvais indicateurs, Édouard Dequeker appelle à construire une vision d’aménagement du territoire dans son ensemble. Il déplore que les propositions du Conseil national de la refondation sur le logement aient été ignorées : « Ce sujet n’est pas porté à la hauteur de ses enjeux ». Il fustige l’austérité budgétaire qui s’opère sur le secteur depuis plusieurs années : « la baisse de l’aide à la construction se traduit par un manque à gagner en termes de recettes fiscales. (…) La chute de 25 % de transactions a coûté, à peu près, 4 milliards d’euros en droit de mutation aux collectivités locales ». Pour lui : « on est pris dans un piège qui est lié au fait que l’on est dans un dogme comptable, au lieu d’être dans un raisonnement économique et social qui est celui d’un investissement ». Aussi, appelle-t-il à une action transpartisane, notamment lors du vote de la prochaine loi de finances : « Dans l’urgence actuelle et pour faire face à ce cancer qu’est la cherté du logement, il est nécessaire de maintenir un certain niveau d’aide publique. Il faut un soutien public, en l’occurrence État et collectivités locales, pour soutenir la filière et produire du logement là où on en a besoin ».

Le « rien stopper » du parti Renaissance

En réponse à l’absence de politique d’aménagement du territoire dans son ensemble dénoncée par Édouard Dequeker, Lionel Causse, député Renaissance des Landes, ancien président du Conseil national de l’habitat, révèle approuver la proposition de la sénatrice Dominique Estrosi-Sassone, présidente LR de la mission d’information relative à la crise du logement constituée en 2023,  qui appelle de ses vœux le vote d’une loi de programmation sur le logement : « Je soutiens cette proposition parce qu’on a souvent le sentiment, et l’Assemblée nationale est un très bon exemple, qu’on a des approches ponctuelles en fonction effectivement de petits sujets. (…) Mais tout ceci n’apporte souvent pas de vision globale et ne donne pas de stratégie ».

Ancien grand défenseur des maires, Lionel Causse souhaite plus de coopération entre les élus locaux et l’État ainsi que plus de clarté sur les objectifs à atteindre : « Certains territoires avancent très bien :  un véritable travail a été mené sur le logement, sur tous les sujets d’aménagement. D’autres sont beaucoup plus en retard. Il faut accompagner (…) et donner la possibilité d’adapter des compétences qui sont nationales (…). Chaque territoire peut avoir effectivement des problématiques différentes ».

Concernant le vote du budget relatif au logement (actuellement de 37 milliards), le député des Landes estime : « qu’il va falloir un travail de fond et qu’on soit plus convaincant que nous l’avons été sur les deux dernières années », étant précisé que « le principe du recours au 49.3 restera très probablement (…) Il va falloir qu’on donne des marges de manœuvre financières sachant que sur les 37 milliards, la quasi-moitié est pour les APL ; si l’on comptabilisait les aides personnelles au logement dans les aides sociales, on disposerait d’un chiffre plus crédible sur le vrai budget alloué au logement. Le reste correspond aux taux de TVA réduits, à des queues de défiscalisation et MaPrimeRénov’. Et l’on sait que certaines mesures vont s’arrêter ». Lionel Causse relève que les retombées sur le plan économiques sont importantes : « pour un euro versé dans le cadre de MaPrimeRénov’, ce sont trois euros d’investissement. Avec 37 milliards de dépenses au logement c’est plus de 88 milliards de recettes ».

Sur la question de la transition environnementale et les éventuelles attentes de certains de voir alléger les contraintes, le député est catégorique : « On doit construire la France de 2050, c’est-à-dire une France avec des bâtiments bas carbone, une France qui respectera ses espaces naturels agricoles. C’est une obligation. On ne peut pas faire autrement. On ne pourra pas basculer entre 2049 à 205O avec le système actuel. Il faut commencer à inscrire cette trajectoire ». Le député milite pour un accompagnement des Français, pour une définition des moyens financiers pour conduire ce changement : « Je préfère aller à la recherche de solutions plutôt que de tout stopper ».

La « rationalisation règlementaire » du Rassemblement national 

Côté Rassemblement national, Frédéric Falcon, député de l’Aude, donne le ton : « On est prêts à y aller à la hache ! ».

Après avoir pointé du doigt la politique du logement menée depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron à la présidence de la République qui a, notamment, eu pour effet de valoriser les valeurs mobilières au détriment des valeurs immobilières pour relancer la croissance, le député expose que son parti politique fait la distinction entre une crise du logement et une crise de l’immobilier : « Il y a de moins bonnes années sans forcément avoir une crise du logement. Or, aujourd’hui, ce sont 280 000 logements neufs qui sont livrés. C’est comme en 1992, sauf que l’on avait 15 ou 18 millions d’habitants en moins, avec un flux migratoire qui était moindre, ce qui renforce la pression sur la crise du logement ».

Si Frédéric Falcon reconnaît qu’en 2022, Marine Le Pen a peu abordé le sujet du logement au cours de sa campagne, il estime qu’il aurait dû être prioritaire dès la montée des taux d’intérêt. C’est pourquoi, il annonce : « Notre premier objectif sera de contrer ces tentations de baisser le budget du logement. Le deuxième sera de s’opposer fermement à la hausse des impôts annoncées par le Premier ministre Michel Barnier. On sait que 60 % du patrimoine des Français est constitué d’immobilier, ce qui représente 8 500 milliards d’euros, soit trois fois le PIB.  Le troisième est l’inflation réglementaire, qui commence sérieusement à nous poser de graves difficultés. On ne pourra pas forcément faire des miracles côté budgétaire (…) mais, si on arrive déjà à sanctuariser ce budget, ça sera – je pense – un exploit. De même, on ne peut pas promettre (…) qu’on va injecter des milliards et des milliards. On va essayer de sanctuariser, par exemple, le Pinel et les dispositifs qui sont absolument centraux pour soutenir le secteur. (…)  Là où on aura sans doute un gros point de désaccord avec les deux autres blocs (…) : c’est sur le côté réglementaire.  Il y a une inflation réglementaire depuis un certain nombre d’années sur fond d’écologie, de normes énergétiques qui est intenable. (…)  La France, aujourd’hui, n’est plus capable de supporter les normes qu’elle s’impose ; normes que, d’ailleurs, peu de pays s’imposent ». Aussi le parti souhaite-t-il : supprimer les contraintes liées aux DPE ; imposer un moratoire sur la règlementation énergétique et environnementale RE 2020 qui pèse sur la construction neuve ; aménager l’objectif du zéro artificialisation nette (ZAN) fixé à l’horizon de 2050 ; revoir l’équilibre entre bailleurs et propriétaires. Concernant la possible extension du mécanisme de l’encadrement des loyers à l’ensemble du foncier, le député reste prudent : « c’est un sujet qui fait débat chez nous. (…)  Notre programme sur le logement est en cours de construction (…) Sur l’aménagement du territoire, on est sur un temps long, et non sur des résultats sur un quinquennat ».

Sur le volet du logement social, le député précise que son parti aurait soutenu le projet de loi Kasbarian pour développer l’offre de logements abordables, déposé sur le bureau du Sénat le 6 mai 2024.

Un quatrième objectif est évoqué par Frédéric Falcon pour lutter contre la « vassalisation des maires » : « aujourd’hui les maires doivent faire la cour à l’État, la région, l’Europe pour financer des projets. (…) On voudrait supprimer les régions pour transférer une partie des compétences aux communes ou aux départements, ce qui n’empêchera pas les collectivités entre elles, entre départements, d’avoir des partenariats ». 

Se référant à des études qui invalident les bénéfices attendus en matière de rénovation énergétique, Frédéric Falcon conclut : « Nous sommes sur une approche pragmatique de gestionnaire de bon père de famille de l’argent public : financer ce qui fonctionne, et moins ce qui ne fonctionne pas », tout en soulignant que le levier réglementaire ne coûterait pas un euro au budget de l’État.

Le « consensus optimiste » de la Gauche démocrate et républicaine 

Stéphane Peu, député Gauche démocratique et républicaine de Seine Saint-Denis, évoque l’échange qu’il a pu avoir avec le Premier ministre avant le présent débat. Deux points ont été abordés : mettre fin à la crise sociale et économique que traverse le secteur et changer de paradigme sur le logement. Le secteur ne doit plus être vu comme un coût mais comme source de recettes : « Pour un certain nombre d’économiste, la baisse de la production (toutes catégories de logements confondues), des rénovations et des transactions pèserait 15 milliards dans l’accroissement du déficit public », rapporte le député. Ce dernier a « essayé de convaincre le Premier ministre d’une autre chose : je suis persuadé que, dans une Assemblée nationale aussi disparate, éclatée, sans majorité, en matière de logement, nous pourrons dégager des consensus et des lois majoritaires. Et pour première preuve, le dépôt le 22 juillet 2024 à l’Assemblée nationale d’une proposition de loi transpartisane (signée notamment pas Lionel Causse et le MoDem) comprenant six mesures d’urgence pour répondre à la crise du logement : « Trois ont vocation à relancer la production de logements sociaux, et pas seulement pour les étudiants ou les personnes en difficulté car on est passé, en 5 ans, de 11 à 18 % de salariés au SMIC. (…) Les trois autres portent sur l’accession à la propriété, que nous concentrons sur les primo-accédants ». L’objectif est de libérer le parc locatif, privé comme public.  Sont ainsi envisagés : l’élargissement du PTZ, la TVA à 5,5 % pour les primo-accédants (résidence principale) et le rétablissement de l’APL accession. Côté RN, Frédéric Falcon regrette que son parti n’ait pas été sollicité pour être associé à cette démarche. Pour autant, il annonce qu’il soutiendra ce texte s’il est présenté à l’Assemblée : « Je pense que les 3 parlementaires que nous sommes sont habités par cette question du logement. (…) On a cette passion commune de faire avancer les choses, même si on a des divergences ».

Sur la question du financement des logements sociaux par le livret A, Stéphane Peu estime que le système a atteint ses limites : « On a beaucoup gratté sur le secteur HLM. (…) Concernant la réduction de loyer de solidarité (1 milliard et demi d’euros), les fonds propres des organismes HLM arrivaient encore à faire face lorsque le taux d’intérêt du livret A était à 0,5. (…) J’ai toujours pensé que cette mesure était absurde. Mais à partir du moment où vous passez à un taux de rémunération du livret A à 3 %, et donc à des encours de dettes HLM qui le suivent, là ce n’est plus raisonnable de garder une réduction de loyer solidarité. On est en train d’assécher les fonds propres des organismes HLM ». 

Concernant la fiscalité immobilière, Stéphane Peu est favorable à la mise en place d’un statut du bailleur privé qui garantit une rémunération ainsi qu’une stabilité fiscale. Il souligne que le Premier ministre a pour ambition d’œuvrer pour une meilleure justice fiscale et de prendre les mesures adéquates dans le cadre de la prochaine loi de finances.

Quant au chantier de la transition énergétique, le député de Seine Saint-Denis préconise de mettre les moyens financiers et d’ingénierie pour atteindre les objectifs et d’accompagner les propriétaires dans cet effort. 

Sur les rapports tendus entre l’État et les maires, l’heure serait au dialogue puisque le Premier ministre envisage un ministère dédié aux relations avec les collectivités territoriales (NDRL : une ministre du Partenariat avec les territoires et de la Décentralisation a été nommée depuis). Une mesure qu’approuve Stéphane Peu : « Si on veut repolitiser la question de l’aménagement du territoire, de l’urbanisation de nos villes, des choix en matière de peuplement et de logement, il faut aussi que les maires, qui sont en premières lignes, aient les capacités d’autonomie fiscale qu’ils n’ont plus aujourd’hui ». 

L’invitation à une réorganisation de l’action publique

À l’écoute de ces intentions politiques, Édouard Dequeker alerte : « Il ne faut pas réduire la question des normes et de l’inflation normative aux contraintes environnementales. (…)  Il y a un travail plus fin à faire (qui n’empêche pas des actions de simplification des normes de l’acte de construire). Il y a un vrai chantier transpartisan. (…)  Quel système d’organisation de l’action publique sur les territoires souhaite-t-on ? On a un système décentralisé des compétences mais on détricote la fiscalité locale. Ces injonctions contradictoires sont déresponsabilisantes. (…) C’est complètement désincitatif. Il va falloir traiter la question du rapport entre les communes et les intercommunalités, un morcellement communal qui est unique en Europe. (…)  Il faut mettre en cohérence la fiscalité, le mode de scrutin et les élus ». À ce programme de réflexion, Henry Buzy-Cazaux, président-fondateur de l’Institut du management des services immobiliers, ajoute la question de réinstaurer le cumul des mandats de député et de maire comme condition d’une politique du logement plus réaliste.

Regardez le replay !

Les enjeux

Passée la liesse des Jeux olympiques et paralympiques, les problèmes des Français persistent et entre tous la difficulté de trouver un logement. La rentrée accentue le phénomène, avec les besoins des étudiants d’habiter la ville où ils ont choisi de faire leurs études ou encore la nécessité de changer de lieu d’habitation pour accepter un emploi ou une mutation.

Tous les indicateurs sont au rouge : la production collective privée comme publique plonge, la construction de maisons individuelles est à son plus bas historique, les transactions dans l’existant et la rénovation tournent au ralenti. Dans ce contexte, quels choix budgétaires seront-ils faits, inspirés par les trois blocs politiques qui ont constitué le podium des élections législatives ? Un consensus se dégagera-t-il à l’Assemblée nationale sur une politique du logement en l’absence de majorité absolue ou relative ? Quelles aides ? Quelle fiscalité ?


Les intervenants

Le débat est animé par Henry Buzy-Cazaux, président-fondateur de l’Institut du Management des Services Immobiliers, secrétaire général du Cercle. Avec :

  • Lionel Causse, député Renaissance des Landes, ancien président du Conseil national de l’habitat
  • Édouard Dequeker, professeur d’économie à l’ESSEC Business School, assistant de la Chaire d’économie urbaine, responsable pédagogique du MS Management urbain et immobilier
  • Frédéric Falcon, député Rassemblement national de l’Aude
  • Stéphane Peu, député Gauche démocratique et républicaine de Seine Saint-Denis
Édouard Dequeker
Professeur d’économie à l’ESSEC Business School, assistant de la Chaire d’économie urbaine, responsable pédagogique du MS Management urbain et immobilier
Frédéric Falcon
Député Rassemblement national de l’Aude
Lionel CAUSSE
Député Renaissance des Landes, ancien président du Conseil national de l’habitat
Stéphane Peu
Député Gauche démocratique et républicaine de Seine Saint-Denis