Le constat
Tous les indicateurs ont viré au rouge : la construction de logements en France va mal. On est même autorisé à utiliser le terme trop souvent employé abusivement, qui est ici justifié : la baisse est historique. Il faut remonter trente ans en arrière pour trouver des chiffres aussi faibles de production : 376 000 logements seulement ont été mis en chantier l’an dernier, pour des besoins estimés de 450 000 selon les prévisions les plus prudentes, 500 000 selon d’autres sources.
L’indicateur avancé des permis de construire délivrés est plus sombre encore : le retrait accusé par rapport à 2019 atteint ainsi près de 15% en moyenne. Cette baisse inclut des disparités entre le logement neuf collectif (le plus touché avec -20,7%) et les maisons individuelles (avec -9,7%), selon les propres chiffres du gouvernement.
Les logements HLM sont également atteints, au moment où explosent les demandes de logements sociaux par des ménages affaiblis par la crise. Pour 2021, les experts annoncent le pire, avec 300 000 à 320 000 logements construits.
Dans ce contexte, pas de plan spécifique, pas de mesure choc. Les énergies politiques semblent monopolisées par la transition environnementale et la rénovation du parc. En revanche, des discours vigoureux : la ministre du logement appelle les maires à ne pas bloquer les demandes de permis, montre du doigt les communes malthusiennes (notamment carencées en vertu de la loi SRU) et conjure les organismes HLM à se mobiliser pour atteindre l’objectif de 250 000 unités avant la fin de 2022.
Les messages d’alerte de la communauté des promoteurs, des constructeurs et des responsables du bâtiment sont en outre comme assourdis par la satisfaction affichée des spécialistes du logement existant, qui décrivent un marché à peine atteint par les circonstances.
Les questions
- L’État a-t-il conscience de la situation et des enjeux ?
- Les maires sont-ils les coupables ?
- Quel diagnostic de détail ?
- Quels risques sur l’emploi, sur les entreprises de la filière, sur l’équilibre social du pays ?
- Que faire ? Quelles mesures prendre d’urgence ?
C’est le thème de la prochaine conférence du Cercle des Managers de l’Immobilier, organisée le mardi 9 mars à 17h
Cette conférence est organisée à l’initiative de Benjamin Darmouni, président du Cercle des Managers de l’Immobilier, François-Emmanuel Borrel et Evelyne Vivier, présidents adjoints du Cercle, et Emily Jousset, présidente du pôle Communication du Cercle.
Elle sera animée par Henry Buzy-Cazaux, secrétaire général du Cercle.
Les intervenants
Des personnalités reconnues et libres s’expriment, incarnant la production mais aussi la décision publique.
La synthèse
« Aujourd’hui on ne peut plus construire, on est empêché de construire ! », clame Philippe Pemezec, sénateur des Hauts-de-Seine, ancien maire – oh combien bâtisseur – du Plessis-Robinson. Une déclaration à laquelle adhèrent les promoteurs, partenaires des élus locaux pour mener à bien l’objectif d’assurer un logement pour chacun et de construire la ville de demain. Mais quelles en sont les causes et comment y remédier ?
La crise sanitaire : la présumée coupable
Covid-19, confinement, fermeture des points de vente pendant quatre mois… malgré la mise en place d’un protocole sanitaire pour le secteur du bâtiment, ayant permis la réouverture des chantiers, Samuel Minot, président de la Commission économique de la Fédération française du bâtiment, dresse un bilan 2020 de la construction résidentielle alarmant. Il constate une baisse de 9 % des mises en chantier, qui s’est accompagnée d’une chute de l’ordre de 15 % des attributions de permis de construire, à laquelle s’est ajouté un effondrement des ventes de 22 % pour l’individuel groupé, de 24 % pour le collectif et de 9 % pour l’individuel diffus. Un déclin du nombre de constructions neuves constant depuis trois ans : 2017 : 438 000 ; 2019 : 387 000 ; 2020 : 350 000. « Les permis ayant suivi la même tendance, on a perdu environ 100 000 logements en 3 ans », précise-t-il. Et comme le logement privé finance le logement social, ce dernier n’est pas épargné : les accords de financement sont inférieurs à 100 000 logements engagés (97 000 contre 130 000 en 2016). « Quand le nombre d’accord de financement de logement social baisse, on sait que le privé va aussi embrayer le pas parce que cette mixité sociale on ne va pas arriver à la diriger dans les métropoles », expose Samuel Minot.
Alexandra François-Cuxac, présidente de la Fédération des promoteurs immobiliers, confirme cette déferlante : « On a baissé d’un quart nos ventes, d’un tiers les ventes aux particuliers, d’un tiers nos mises en vente. Ce sont 40 000 ventes perdues, 14 000 projets en moins ». Pour elle, le secteur fait face à une crise de l’offre, plus qu’à une crise de la demande. La VEFA HLM se maintient et la vente aux institutionnels reste très élevée : « En 2020, les ventes en bloc aux institutionnels ont augmenté de 7 % pour les promoteurs qui ont essayé de compenser. Malheureusement cela n’a pas suffi à combler cette baisse. On voit émerger quelque chose de plus institutionnel, de moins dirigé vers le particulier. 2021 nous dira si c’est une tendance profonde ou opportuniste », commente- t-elle. La présidente souligne qu’entre 2017 et 2020, ce sont 120 000 logements de moins qui ont été autorisés (500 000 PC délivrés en 2017 contre 380 000 en 2020) : « Cela touche particulièrement le secteur du collectif (-20 %). Il n’y a pas d’effet de rattrapage au 4e trimestre comme on aurait pu s’y attendre » (voir le bilan de l’Observatoire FPI).
Logement individuel et collectif, mais aussi locatif social et privé : aucun secteur ne semble épargné. De fait, si la FFB projette le nombre de logement construits en 2020 aux environs de 300 000, la France est loin de l’objectif fixé de longue date de produire 500 000 logements par an pour garantir un toit aux 300 000 nouveaux foyers qui se créent chaque année. « Malheureusement on craint, s’il n’y a pas un redressement très rapide, qu’en 2022, on puisse tomber en dessous de cette barre. Cette limite pourrait être atteinte cette année en l’absence d’accompagnement fort, notamment du fait de la réglementation environnementale RE2020 qui va entraîner des surcoûts de construction », alerte Samuel Minot.
Mais la crise sanitaire n’est pas l’unique responsable de cette crise du logement. « Le gouvernement s’est donné du mal pour faire du mal au logement neuf », déclare Samuel Minot.
Les politiques publiques : l’origine du mal
Elu et promoteurs pointent du doigt les effets néfastes qu’ont créés les politiques publiques depuis plusieurs années. Philippe Pemezec évoque la loi « NOTRe » (loi portant nouvelle organisation territoriale de la République) de 2015 qui, dans le cadre de la politique de décentralisation de la présidence Hollande, en confiant de nouvelles compétences aux régions, « a dépecé le maire de ses prérogatives en matière d’urbanisme, pourtant le mieux placé pour construire. Il faut revenir sur cette réorganisation administrative de l’Ile-de-France qui est complètement schizophrénique : on est passé de trois à cinq strates ». Malheureusement le projet de loi « 4D » (décentralisation, différenciation, déconcentration, décomplexification) ne semble pas simplifier cette organisation. A cela s’ajoute la multiplication des autorités indépendantes et la publication continue de nouvelles normes qui complexifient les procédures et favorisent les contentieux : « Il faut compter cinq ou six ans pour sortir un projet immobilier, deux fois plus qu’il y a quelques années. Cela coûte », note le sénateur.
Samuel Minot dénonce l’action de rabotage des aides, règles ou pratiques urbanistiques menée par le gouvernement Philippe : « On se souvient du prêt à taux zéro et du Pinel qui ont été recentrés sur les zones dites “tendues”, de la baisse des APL, de l’IFI, du prélèvement forfaitaire unique qui exclut le foncier, des attaques sur le 1% logement, de la fin programmée de la taxe d’habitation, (…) de la mise en place progressive de la zéro artificialisation nette à l’été 2019 à la suite de la crise des gilets jaunes, (…) du régulateur bancaire européen qui est arrivé à convaincre le régulateur français de changer et de prendre peur sur l’existence d’un potentiel risque systémique de notre système de crédit immobilier… ». Pourtant, le crédit apporté au logement neuf n’a jamais autant rapporté d’argent à l’Etat (42 milliards d’euros en 2019). Quant à la lutte contre l’artificialisation des sols orchestrée par les schémas de cohérence territoriale, c’est un constat d’échec : les ménages se sont installés dans des zones où le prix du foncier était adapté à leur pouvoir d’achat privé de tout soutien étatique.
Et ce détricotage a un impact financier et sociétal. Norbert Fanchon, président du groupe Gambetta, rappelle que la réduction de loyer de solidarité (RLS) coûte 1 milliard et 300 millions d’euros aux HLM ; la suppression de la taxe d’habitation représente une perte de revenus de 18 milliards d’euros pour les collectivités (certes compensée mais pour combien de temps ?) ; l’allocation personnalisée au logement (APL) pèse 600 millions d’euros dans le plan de relance. « C’est une rupture entre l’Etat et les élus locaux. (…) La taxe d’habitation avait un effet de dialogue entre l’élu local et sa population ». Selon l’analyse du promoteur, le cercle était vertueux : plus de logements construits, c’était plus de taxe d’habitation, plus de services, plus de proximité, plus d’infrastructures, plus d’aide sociale. Soulignant que le logement ne figure pas dans les discours de campagnes présidentielles contrairement aux municipales, il relève l’ambiguïté qu’entretiennent les Français avec la construction : « ils adorent acheter mais pas que l’on construise à côté de chez eux ». Le logement est vécu comme une nuisance et fait perdre de vue l’objectif des maires : aménager les villes pour le bien-être des concitoyens.
Avec d’un côté, les maires bâtisseurs qui sont sanctionnés aux élections et, de l’autre, les maires écologistes qui ne veulent pas construire, quelle serait la stratégie à retenir pour enrayer cette crise de l’offre de logement ?
Demain se prépare aujourd’hui : vers une modernisation du modèle
Pour Alexandra François-Cuxac, il y a une responsabilité collective de la décroissance de l’offre. Cela exige une modernisation du modèle et des outils de production existants pour trouver un équilibre au niveau des coûts (du foncier et des travaux) qui permettra une adéquation des prix avec le pouvoir d’achat des Français : « Je vois une vertu au développement du logement intermédiaire qui vient s’insérer entre le logement social et le logement libre, parce qu’il développe du locatif intermédiaire moins cher que le libre et plus élevé que le social ». Aussi, appelle-t-elle les acteurs de la filière à définir la vision stratégique de la politique du logement sur le plan national : « Quel est le projet de société que l’on veut partager ensemble ? Quel logement ? Quelle ville pour demain ? Quel bien-être pour la vie ? (…) Il faut poser le sujet une bonne fois pour toute dans les processus d’industrialisation et prendre à bras le corps celui de la digitalisation au service de gains de productivité beaucoup plus élevés. Car il faut bien trouver des poches de valeurs pour financer cette transition écologique et cette industrialisation qui n’est pas encore mise en place. Il faut travailler à l’accompagnement des maires bâtisseurs et à la sanction de ceux qui ne veulent rien voir sur leurs communes ». Concernant la question de l’artificialisation des sols (texte actuellement à l’Assemblée), la présidente de la FPI demande aux politiques de tenir compte des choix des Français concernant leurs lieux de vie et des transformations post-Covid (télétravail, retour vers les villes moyennes, etc.).
Philippe Jarlot, président des promoteurs du Grand Paris et gérant de MDH Promotion, adhère à cet appel à réflexions post-Covid : « Est-ce que l’on ne s’est pas trompé ? N’aurait-il pas fallu développer des villes de province, des villes moyennes ? ». Après avoir alerté sur les conséquences néfastes de l’augmentation régulière des prix de 5 à 10 % causée par une pénurie de l’offre qui d’ici deux ans ne correspondra plus au pouvoir d’achat des Français, le promoteur propose deux solutions pour agir sur les prix du foncier : « Il y a une solution où l’Etablissement public foncier d’Ile-de-France (EPFIF) intervient pour essayer de créer du foncier qui n’augmente pas, anti-spéculatif. Cela permet derrière d’organiser des quartiers et de relancer la construction. L’autre solution ce sont les grands projets qui devraient sortir d’ici 2024 et qui vont alimenter l’offre. Mais le gros souci en Ile-de-France, c’est qu’un maire sur deux refuse que l’on vienne construire chez lui. »
Pour Norbert Fanchon, il faut convaincre à nouveau les esprits de la valeur de progrès du logement, de la qualité des productions issues des sphères privée et publique et de la nécessité de favoriser les industries locales.
Samuel Minot souhaite que le logement soit érigé en cause nationale, qu’une confiance soit réinstaurée entre l’Etat et les collectivités locales, que l’arsenal administratif soit déverrouillé, notamment au niveau de l’instruction des permis de construire dont la digitalisation se fait attendre : « A partir du moment où on est dans le périmètre d’un permis d’aménager ou en zone d’aménagement concertée, on demande que l’on puisse instruire un PC sur un permis déclaratif. » Pour soutenir la demande, et plus particulièrement les primo- accédants, il préconise un retour à une mesure qui, en son temps, a fait ses preuves : l’instauration à titre transitoire d’une réduction d’impôt sur les annuités d’emprunt. En soutien de l’investissement, il prêche pour l’introduction de l’investissement locatif privé dans le droit commun afin d’instaurer une mécanique d’amortissement général et durable.
Ainsi tous s’accordent à tirer la sonnette d’alarme auprès des politiques. Il y a urgence à agir, d’autant que les aménagements mis en œuvre par la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, et l’industrialisation ne suffiront pas à maîtriser les surcoûts de construction liée à la norme RE2020 : des mesures d’accompagnement s’imposent.
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