Le constat
Les syndics de copropriété ont sans doute été été les acteurs de l’immobilier les plus prompts à recourir au digital dès le début de la crise sanitaire: les habitants des immeubles collectifs, qui n’avaient en outre jamais autant vécu dans leur logement, n’auraient pu se passer de continuité de gestion. Les relations avec les copropriétaires comme avec l’ensemble des parties prenantes ont fait appel au numérique. Le distanciel reste une modalité plus utilisée que jamais au sein des copropriétés. Plus largement, les syndics professionnels dématérialisent depuis des années leurs procédures et leurs pratiques. Les éditeurs de logiciels apportent d’ailleurs un concours actif à ces évolutions. D’autre part, des enseignes leaders ont développé des solutions digitales de gestion ou d’assistance, qui ouvrent le choix des copropriétés.
Les questions
Dans cet univers professionnel, l’arrivée remarquée d’une start-up qui propose d’accompagner les syndicats de copropriétaires avec des outils digitaux performants, Matera, trouble le jeu. Elle promet d’apporter un service sans reproche. en réaction aux manquements souvent reprochés aux syndics :
- Cette offre va-t-elle disrupter le marché ?
- Quel avenir pour les services digitaux ?
- Les copropriétaires vont-ils préférer à l’avenir une aide à la gestion plutôt qu’une gestion déléguée ?
- Ce mode d’intervention convient-il à tous les types de copropriété ?
- Peut-il répondre aux défis de la transition environnementale des immeubles ?
Un débat dépassionné et passionnant, entre acteurs de la copropriété, pour comprendre les logiques et mieux servir les intérêts des copropriétaires, organisé le mardi 14 septembre 2021 de 18h à 19h.
Cette conférence du Cercle des Managers de l’Immobilier est organisée à l’initiative de Benjamin Darmouni, président du Cercle des Managers de l’Immobilier, François-Emmanuel Borrel et Evelyne Vivier, présidents adjoints du Cercle, et Emily Jousset, présidente du pôle Communication du Cercle.
Elle est animée par Henry Buzy-Cazaux, Président de l’Institut du Management des Services Immobiliers et secrétaire général du Cercle.
Les intervenants
La synthèse
Avertissement : en réponse aux nombreuses réactions sur les réseaux sociaux émanant de professionnels de l’immobilier sur la tenue de cette conférence, les organisateurs ont souhaité rappeler l’objectif poursuivi par le Cercle des managers de l’immobilier : offrir à ses membres des repères sur l’évolution des professions et des services qui leur permettront de répondre aux attentes de leurs clients actuels et futurs. En invitant le président fondateur de la société Matera, leur volonté était de faire preuve d’ouverture d’esprit et de passer aux cribles les multiples façons de servir une copropriété. Au cours de cette conférence, n’ont volontairement pas été abordées les procédures pendantes intentées par des organisations professionnelles contre la société Matera.
Existe-t-il plusieurs façons de servir une copropriété ? La question ne s’était jamais trop posée jusqu’en 2017, date d’arrivée d’un nouvel entrant sur le marché de la copropriété : la société Matera. Si Rachid Laaraj, président fondateur de Synéval, estime que « Matera est la meilleure chose qui soit arrivée aux syndics depuis bien longtemps», ce sentiment est loin de faire l’unanimité, principalement pour une raison de positionnement : un syndic coopératif n’est pas un syndic professionnel au sens de la loi Hoguet. Explications.
Une réponse aux insatisfactions des clients
Dotée d’une forte envie d’entrepreneur, Raphaël Di Meglio, Victor Prigent et Jeremy Krebs créent la start-up Illicopro qui, pour répondre à leurs ambitions de développement à l’international, prendra rapidement le nom de Matera, en référence à la cité italienne troglodyte classée au patrimoine mondiale de l’Unesco et qui fut capitale européenne de la Culture en 2019. Leur volonté : proposer une alternative aux services assurés par les syndics professionnels, en réponse à l’insatisfaction des consommateurs dans ce secteur, qui soit une solution générale perceptible au quotidien. Soutenus par l’Association des responsables de copropriétés (ARC), les cofondateurs s’orientent vers un modèle de gestion internalisée, à l’image du syndic bénévole (un copropriétaire bénévole est désigné comme syndic) ou coopératif (un conseil syndical est élu avec un président syndic pour gérer la copropriété), qui s’oppose à la gestion externalisée confiée traditionnellement à un syndic professionnel. « Le problème ne porte pas sur la qualité des administrateurs de biens où l’on trouve d’excellents gestionnaires mais sur le modèle de la gestion externalisée où l’on va avoir un gestionnaire pour 40 ou 50 immeubles qui n’a pas de temps opérationnel à consacrer à chacun des copropriétaires et à chacune de ces copropriétés », souligne Raphaël Di Meglio, président fondateur de Matera.
Une généralisation d’un modèle légal enrichi d’un service d’accompagnement
« L’idée était de désintermédier le secteur en permettant aux copropriétaires de gérer directement la copropriété, notamment via une plate-forme numérique que l’on a développée et grâce à un accompagnement que l’on apporte sur des taches plus spécifiques comme la reprise comptable, les questions d’assurance ou d’impayés, etc. Cela veut dire que nous n’avons pas la main sur le compte bancaire de la copropriété, nous ne signons pas de contrat pour la copropriété et nous ne sommes pas le représentant légal de la copropriété », expose Raphaël Di Meglio. « Nous faisons la promotion du modèle du syndic coopératif qui a cette vertu de permettre une gestion plus collégiale et de répartir entre plus de copropriétaires la charge de travail, les responsabilités et la charge mentale qui peut parfois peser sur le conseil syndical », précise-t-il. Et pour justifier la légalité de son modèle, ce dernier rappelle que le législateur de 1965 avait prévu la possibilité pour des copropriétaires de gérer directement leur immeuble en syndic coopératif. Si ce dispositif n’est pas remis en cause (il figure à l’article 14 de la loi de 1965), sa promotion suscite de vives réactions des professionnels de la gestion déléguée.
Une politique marketing et commerciale semeuse de troubles
Tout d’abord, le modèle coopératif ne semble pas être compris : « en souscrivant à cette formule, les copropriétaires pensent qu’ils désignent un nouveau syndic moins cher que celui actuel, alors qu’il désigne un prestataire de services », rapporte David Rodrigues, juriste à l’Association nationale de défense des consommateurs et usagers (CLVC). Raphaël Di Meglio le confirme : « Le service est différent. Nous ne sommes pas les mandataires des copropriétaires ». Bénéficiant d’un taux de 80% de renouvellement de ses contrats, le président fondateur estime que l’offre est claire dans les esprits, la notion de « syndic coopératif » figurant dans la convention.
Ensuite, pour François-Emmanuel Borrel, président-directeur général d’André Griffaton et président délégué du pôle Unis Grand Paris et secrétaire général de l’Unis national, la discorde avec la communauté professionnelle porte sur le fait que « le syndicat coopératif est présenté comme étant la solution à tous les problèmes que rencontrent les copropriétés ». En effet, en mars 2019, la société Matera a lancé une campagne « Merci syndic » pour faire connaître sa marque de modèle coopératif qui tourne en dérision les syndics professionnels. « C’était une campagne humoristique mais il s’est avéré qu’elle a été reçue différemment, parfois à juste titre par des gestionnaires qui sont extrêmement sollicités, et je le comprends parfaitement. Si c’était à refaire, je ne suis pas certain que je le referais », temporise Raphaël Di Meglio tout en relevant que des acteurs « ont sur-joué pour tirer leur épingle du jeu en se faisant les chevaliers de la profession, en allant taper sur celui qui soi-disant fait la guerre au syndic, ce qui n’est absolument pas le cas ». En réponse à cette campagne jugée offensante, le président délégué de l’Unis Grand Paris relate que le syndicat avait rebondi avec un « De rien… car on va bien au-delà de ce que vous envisagez ». Aussi rappelle-t-il que le métier de syndic est une profession réglementée découlant de la loi Hoguet, qui s’appuie sur un mandat et a pour fondement l’intermédiation : « nos collaborateurs sont des femmes et des hommes de conviction qui portent la volonté de rapprocher les uns et les autres, ce qui ne peut pas être fait par des outils numériques. (…) Le syndic est devenu un véritable référent permanent de la copropriété sur des sujets sociétaux qui sont le maintien à domicile, les questions environnementales, la rénovation énergétique, la problématique sécuritaire, la réglementation sur la sécurité en matière de travaux, les marchands de sommeil, etc. Nous ne sommes pas impliqués seulement sur une responsabilité qui pourrait être garantie par nos assurances professionnelles (…) et ce n’est pas un syndic coopératif qui pourra garantir ces obligations-là ».
Certes, cette campagne n’a pas redoré l’image des syndics, et la profession n’étant pas une et indivisible, certains comportements ont pu porter préjudice à la communauté professionnelle entière et accréditer les critiques. En outre, comme l’explique François-Emmanuel Borrel : « Nous sommes collecteurs de fonds pour le compte de tiers, on nous aime moins. Le gestionnaire collaboratif, lui, en donne. On doit contraindre les copropriétaires à payer, à respecter la loi, à demander des autorisations en AG ». Toutefois, le dernier baromètre de satisfactions de la CLCV (qui sera prochainement publié), permet à David Rodrigues de relativiser : « l’image des syndics n’est pas si mauvaise que cela. (…) On frôle les 50 % de copropriétaires satisfaits. Par ailleurs, il faut analyser l’appréciation du syndic en fonction de la personne à qui la question est posée : un copropriétaire ou un conseiller syndical. Ces derniers sont bien moins sévères envers leur syndic car ils sont systématiquement en relation avec lui, connaissent ses limites, ses défauts mais aussi ses qualités en termes de réactivité notamment ». De fait, François-Emmanuel Borrel le consent: « On manque de pédagogie, on ne travaille pas avec tous les occupants, on doit s’améliorer ».
Enfin, est admis le postulat selon lequel une autogestion est plus adaptée qu’une gestion professionnelle aux petites copropriétés, de fait devenues la première cible de la société Matera, même si son portefeuille clients tend à s’ouvrir à de plus importantes. « Indépendamment de la taille, il y a des critères sur les plans structurel, financier et social à prendre en compte. Faire de l’autogestion dès lors que vous avez des conflits personnels et de voisinage, c’est quasiment suicidaire, encore plus dans les petites copropriétés où les relations de voisinage vont être amplifiées parce que tel copropriétaire occupe la fonction de syndic bénévole. Cela va nuire au processus décisionnel et frôler le règlement de compte », alerte David Rodrigues. Sur l’alliance rapide en petite copropriété et syndic coopératif, Rachid Laaraj tient à rétablir une vérité : « Il y a eu des mariages forcés pour les petites copropriétés (4-5 lots) car elles avaient eu une augmentation de leur honoraires de 50 à 70 % les cinq dernières années (que l’on peut comprendre du fait de l’alourdissement du cadre réglementaire, de l’augmentation des salaires pour faire face au manque d’attractivité de la profession). Trouver un syndic pour ces copropriétés est compliqué. Les cabinets qui se lancent s’en détournent rapidement. Une solution alternative est venue combler ce besoin ». Et François-Emmanuel Borrel de confirmer : « Oui on a pu rechigner à prendre des copropriétés mais juste pour des questions de rentabilité. Les 2/3 de mes charges d’exploitation sont des salaires et des charges sociales. Je ne vends pas une plate-forme internet. Je vends la qualité et le professionnalisme de mes collaborateurs. Même pour la gestion d’une petite copropriété, il y a un prix et c’est celui du service rendu par un collaborateur qui lui sera dédié ». Quant à la gestion des conflits déraisonnables et inextricables, Raphaël Di Meglio reconnait que c’est un élément qu’ils ont découvert en créant la société Matera : « Je ne pense pas que nous soyons les meilleurs sur le sujet même si on essaie de s’améliorer quotidiennement. (…) C’est quelque chose que nous avions sous-estimé à l’époque de la campagne “ Merci syndic” ». Réaction de François-Emmanuel Borrel à cet aveu : « j’ai l’impression que vous découvrez le métier de syndic parce qu’en effet notre métier, c’est essentiellement des relations humaines ».
Un révélateur de changements
Pour Rachid Laaraj, la force de la société Matera réside dans son action commerciale : « C’est là le point faible des syndics. Hier, le syndic avait des clients qui arrivaient par bouche-à-oreille. Aujourd’hui, on est dans une démarche beaucoup plus commerciale. A cet effet, des groupes et des indépendants sont en train de se structurer sur la partie copropriété (cela existait uniquement sur la gestion locative et sur la transaction) ». En outre, le courtier en syndic souligne que la société Matera propose une solution digitale « au-dessus de ce que propose beaucoup de syndics aujourd’hui. Il faut être pragmatique, l’outil est fluide, intuitif, et dispose de fonctionnalités plus simple qu’un extranet d’un syndic qui n’est pas digital native ». Là encore, les syndics professionnels sont appelés à se mettre au niveau pour répondre aux nouveaux usages des clients. Pour autant, « On ne quitte pas son syndic parce qu’il n’est pas assez digital. En revanche, on va chez un nouveau syndic parce qu’il a une solution digitale qui fonctionne bien. On le quitte pour des problèmes de réactivité, de disponibilité », tempère Rachid Laaraj.
Mais qui dit réactivité, dit gestion de la relation-client et personnel dédié. Sur le plan des ressources humaines, le recrutement d’un gestionnaire en charge de 40 à 60 immeubles est de plus en plus difficile pour les syndics professionnels. Dans la société Matera, on parle de « Customer success manager ». Si au sein de son équipe Raphaël Di Meglio peut compter sur quelques profils seniors (comme une ancienne avocate et d’anciens gestionnaires de copropriété), il est principalement entouré de diplômés d’écoles de commerce, avec une ou deux années d’expérience, qui vont gérer environ 100 immeubles : « Le modèle a été pensé ainsi. On délègue la gestion du quotidien. Le Customer success manager va se concentrer sur les problèmes que les copropriétaires ne vont pas réussir à résoudre par eux-mêmes. Avec cette répartition des tâches, il est logique que les personnes en support aient plus de lots à gérer. Ainsi, nous avons peu de turn-over. On a créé une ambiance de travail agréable où les salariés s’épanouissent. Ils ne se déplacent pas et ne vont pas assurer des AG jusqu’à 21h ». Un équilibre de partage qui fait, selon David Rodrigues,la force du modèle de Matera mais aussi sa faiblesse : « il faut les trouver ces personnes motivées. On a déjà du mal à trouver les conseillers syndicaux pour renouveler le conseil syndical ».
Après ces constats, il semblerait qu’il existe bien plusieurs façons de servir une copropriété. Mais qui peut dire quel modèle sera privilégié demain ? Gestion directe assistée ou gestion déléguée ? Pour l’heure, Raphaël Di Meglio croit à une cohabitation car pour un certain nombre de copropriétés, le modèle Matera n’est pas pertinent : « Il faut laisser aux copropriétaires le choix de la qualité de services qu’il souhaite. chercher à imposer un modèle, plus qu’un autre ».
crédit photo : Ludovic Charlet de Pixabay
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