La synthèse
De la nécessité de créer des coalitions et de savoir convaincre
« Les coalitions électorales n’ont rien à voir avec la composition de l’Assemblée nationale qui, elle, est composée de groupes. Nous allons avoir un émiettement des groupes politiques. (…) La constitution des groupes parlementaires est importante. Aucun ne pèsera vraiment très lourd à lui tout seul. (…) Il va falloir, à un moment donné, qu’au sein des groupes parlementaires, il y ait des alliances », expose Geneviève Salsat, présidente fondatrice de Public Conseil.
Cette dernière rappelle que, mis à part le vote des lois organiques, les textes sont votés à main levée ou par scrutin public (de manière confidentielle avec une clé) et que l’absence de majorité relative va complexifier le processus d’adoption des textes portés, notamment, par les lobbyistes : « Il va falloir aller voir tous les groupes pour expliquer le bien-fondé d’une mesure qu’on souhaite par rapport à un projet de loi (NDRL : émanant du gouvernement) ou à une proposition de loi (NDRL : émanant des parlementaires). Cela implique de connaître parfaitement les rouages internes du fonctionnement de l’Assemblée nationale, du vote des lois, des possibilités que l’on a d’amendement. Il va falloir accepter d’entendre un maximum d’interlocuteurs dans des groupes démultipliés pour qu’il y ait une sorte de consensus avec un maximum de parlementaires ou de groupes qui acceptent la mesure que l’on propose. (…) [Certes] il faudra aller voir les élus, les parlementaires, les rapporteurs de textes, les présidents de commissions et les ministres mais il ne faudra pas sous-estimer le poids de l’administration centrale ».
Mesurant l’impact de la composition de la nouvelle Assemblée nationale sur l’esprit des textes qui seront demain discutés, Geneviève Salsat alerte : « Je pense que l’on va être plus dans l’idéologie que dans la technique parce qu’il y a des promesses qui ont été faites et qui devront se traduire en termes législatifs. On va avoir des orientations très idéologiques sur le logement social, sur l’accès à la propriété, sur l’expulsion, sur les impayés, sur les crédits d’impôts, etc. Certaines promesses semblent inconstitutionnelles, d’autres sont surprenantes sur le plan légal. (…) Il y aura des effets d’annonce idéologiques qui, immanquablement, vont arriver surtout en début de mandature ».
Fort de ce constat, et compte-tenu de l’absence de majorité relative à l’Assemblée nationale, quels seraient les projets ou propositions de loi, issus des différents programmes électoraux, qui pourraient être réellement adoptés ?
Des ententes aux discordes
Avant de se livrer à une rapide analyse, Jérôme Révy, membre de l’Observatoire de l’immobilier de l’institut Sapiens pose le contexte : « On observe les antagonismes entre deux groupes politiques forts et un troisième au milieu. Ils sont relativement irréconciliables sur le fond. (…) On a une vraie ligne de fracture entre la droite et la gauche. On le voit dans les programmes politiques puisque, d’un côté, on a la défense de la propriété privée, du patrimoine, de l’enracinement, etc. et, de l’autre, on a, au contraire, dans une logique un peu marxiste (que je ne vais pas développer), une suspicion sur la propriété privée ». Pour autant, selon lui, des ententes et des compromis semblent possibles pour faire aboutir certaines promesses de campagne.
Il en serait ainsi de :
– l’encadrement des loyers : « Cette mesure est traditionnellement portée par la gauche et aucun ministre des gouvernements successifs nommés par le Président Macron ne s’est opposé à ce principe de l’encadrement des loyers » ;
– l’encadrement du foncier : « Passé sous silence, l’encadrement du foncier n’est pas sans poser quelques problèmes sur le plan constitutionnel (…) Mais c’est une mesure qui pourrait trouver, à mon avis, une majorité entre le Nouveau Front Populaire et Ensemble » ;
– le PTZ : « Tous les partis souhaitaient relancer le PTZ pour l’ouvrir à tous les primo-accédants quelle que soit la région. (…) On peut toutefois s’attendre à une hausse des taux » ;
– la construction de logements publics : « Une entente est possible entre le Nouveau Front Populaire et le Rassemblement national. Ensemble ne l’a pas mis dans son programme mais dans ses prises de position, on a toujours pu constater un avis favorable envers la relance de la construction de logements publics » ;
– les garanties des loyers : « Ce point figure aux programmes du Nouveau Front Populaire et d’Ensemble, même si les modalités seront à définir. Est envisagée une extension de la garantie Visale » ;
– l’exonération des droits de mutation : « On sait que les recettes fiscales pourront en pâtir donc il y a peu de chances que ce texte voie le jour mais le Rassemblement national et Ensemble ont évoqué ce sujet » ;
– l’impôt sur les successions : « l’accord porterait sur l’exonération des petites successions. (…) C’est une annonce qui date de nombreuses années. Cela n’ayant jamais été mis en œuvre, on pourrait imaginer qu’il n’y aura pas d’empressement sur ce sujet-là » ;
Pour Jérôme Révy, le financement de la rénovation énergétique semble faire consensus. Seule opposition, le Rassemblement national qui, pour mémoire, avait prôné la possibilité de dissocier l’étiquette énergétique (DPE) de l’interdiction de louer, répondant ainsi favorablement à la demande des organisations professionnelles et de l’UNPI (Union nationale des propriétaires immobiliers).
Le rétablissement de l’ISF (impôt sur la fortune), tel qu’envisagé par le Nouveau Front Populaire, verrait le retour de la taxation des valeurs mobilières. Cet impôt pourrait ressusciter le soutien du Rassemblement national. Jérôme Révy précise toutefois que le Rassemblement national souhaite exclure la résidence principale.
Persistent deux autres sujets de discorde :
– les mesures contre les expulsions : « Le Nouveau Front Populaire souhaite clairement interdire les expulsions, ce qui n’est pas du tout le cas des autres blocs » ;
– les mesures en faveur des bailleurs privés pour lesquelles un accord semble totalement exclu.
Si ces consensus politiques devraient permettre de ne pas enrayer la mécanique législative, cela va-t-il pour autant répondre aux attentes des professionnels du marché et à celles de leurs clients ?
Des craintes, des attentes et une attention portée sur la position de Bercy
Porte-parole de ses clients investisseurs, Nicolas Martinot, président du groupe Martinot, définit le triptyque à mettre en œuvre pour endiguer la baisse du nombre de logements sur le marché locatif privé : retrouver de la confiance, de la stabilité et un équilibre entre des mesures coercitives et incitatives. « La première crainte qui s’est exprimée au cours de ces 15 derniers jours, à la lecture des programmes électoraux, porte sur le paiement des loyers », expose-t-il. Concernant la garantie universelle des loyers, il dénonce une communication qui conduit à déresponsabiliser le locataire et à inscrire le propriétaire dans une situation d’insécurité puisqu’il est envisagé que le locataire ne sera pas expulsable. Au risque des impayés vient s’ajouter la fuite des investisseurs vers le marché de la location courte durée qui offre une fiscalité avantageuse et permet de contourner les obligations légales relatives au DPE, à la rénovation énergétique : « Concrètement il y a deux types de marchés locatifs : l’un qui impose de la coercition, de la rentabilité et des risques ; l’autre qui a moins de contraintes. (…) Dans le groupe Martinot, nous avons un taux de rotation annuel de l’ordre 6 à 7 % : nos clients vendent pour récupérer leur argent et le placer ailleurs ». Nicolas Martinot reste sceptique quant à l’efficacité d’une énième garantie universelle proposée : « Qu’est-ce qui va faire que, cette fois-ci, cela va fonctionner ? (…) Laissons les assureurs privés faire ; ils maîtrisent bien le sujet ».
La crainte de Norbert Fanchon, président du groupe Gambetta, est que le logement soit le grand oublié de la vie politique : « Dans toutes les propositions que l’on a eues pendant la campagne, aucune n’a traité les vrais sujets, aucune n’a abordé le problème de la demande en tant que telle. On a beaucoup parlé du statut du bailleur. Mais le vrai sujet c’est l’investisseur, qu’il soit public ou privé. (…) Si on ne traite pas le statut fiscal de l’investisseur, qu’il soit une personne physique ou une personne morale, on ne relancera pas le marché. Il faut étudier le lien entre les collectivités et l’État. La suppression de la taxe d’habitation est une véritable catastrophe. On ne fait plus le lien entre la richesse d’une commune et la production de logement. Et ce n’est pas cette Assemblée-là qui va réintroduire un impôt de 18 milliards d’euros sur les Français ! ». Le promoteur immobilier regrette aussi la suppression du cumul des mandats de député avec celui de maire : « Aujourd’hui, on a des élus à l’Assemblée qui sont hors sol. Seuls les députés qui ont été maires, comprennent les problématiques et arrivent à porter des amendements. (…) Il y a de moins en moins de députés spécialistes du logement et ils n’ont pas forcément le poids politique qu’ils devraient avoir ». Concernant le PTZ, il déplore le fait que le budget alloué à cette aide se soit étiolé en 2 ans pour passer d’environ 1 200 000 à 600 000 euros : « Si l’on veut être efficace et l’appliquer à toutes les zones, il faudrait au moins 2 milliards. (…) Mais cela va d’abord créer une dépense avant de créer une recette. Il va falloir un gouvernement ou des ministres relativement forts pour porter ce style de disposition devant l’Assemblée ». Et Geneviève Salsat de compléter : « [d’autant] que celui qui a la main ce n’est pas tant le ministre du Logement que le ministre de l’Économie et des Finances (…) Bercy prépare le budget, appelé « projet de loi de finances initiale », les éventuels budgets rectificatifs au fil de
l’exercice, et donne son accord sur les amendements. En cas de désaccord, en règle générale, c’est Bercy qui gagne. Il va falloir être très attentif à la personnalité du prochain ministre de l’Économie et des Finances et pas seulement que du ministre du Logement. (…) La vigilance aujourd’hui doit se faire avec les services de Bercy (et non le ministre actuel) pour avoir des informations et passer des messages. Si le gouvernement actuel gère les affaires courantes, les services de Bercy continuent de travailler sur le projet de loi de finances pour 2025, sur les grandes orientations ».
Sur la question de la portabilité du crédit (transfert du crédit en cours sur un bien nouveau), les acteurs du secteur ont des avis plus ou moins partagés. Nicolas Martinot pense que le dispositif pourrait venir en aide au marché de l’immobilier. S’il ne considère pas que l’immobilier ancien soit en crise en raison du nombre de transactions qui s’élève à environ 800 000, il estime qu’il a toutefois été chamboulé : « Les primo-accédants ont souffert. (…) Il faut arriver à porter des solutions pour libérer le marché. Je trouve la proposition de la FNAIM, reprise par le Rassemblement national [NDLR : elle ne figurait pas dans le programme électoral], extrêmement intelligente sur le papier, je suis fan. (…) Aujourd’hui, un des freins principaux de la transaction c’est l’augmentation du taux du crédit. (…) Toutefois il ne faut pas créer un effet contre-productif. La question à se poser est de savoir si les banques vont accepter. (…) Elles risquent de sécuriser leurs dossiers en incluant, par exemple, une garantie hypothécaire systématique en cas de revente du bien ou en imposant des conditions strictes en cas de remboursement anticipé de crédit. (…) Cela peut aussi engendrer le retour du crédit à taux variable ». Pour Norbert Fanchon, la France dispose du « meilleur crédit immobilier du monde » et la proposition de la FNAIM est « absurde parce qu’elle aurait comme conséquence de passer d’un taux fixe à un taux variable. (…) Si on veut aider les primo-accédants et les investisseurs, je crois que le travail doit porter sur l’évolution des salaires dans une carrière qui va permettre de supporter un taux d’emprunt plus important dans les années à venir et la suppression de l’un des deux critères imposés par le Haut conseil de stabilité financière (HCSF), à savoir le taux d’effort de 35 %. Mais le précédent ministre de de l’Économie et des Finances, qui était là depuis 7 ans, n’arrivait pas à s’opposer au gouverneur de la Banque de France. Je doute que le prochain n’arrive à le faire ». Jérôme Révy adhère au fait qu’il faudrait revenir sur le calcul du taux d’effort et accorder plus de liberté aux banques dans l’appréciation de ce dernier : « Ces mesures-là sont à la main du HCSF, donc du ministre de l’Économie, donc du futur gouvernement. Est-ce qu’ils en sont conscients aujourd’hui ? Je n’en suis pas sûr mais c’était une mesure éminemment politique de bloquer les crédits. C’est mon analyse ».
Regardez la conférence en replay !
Les enjeux
L’Assemblée nationale va être recomposée selon le vote démocratique des Français des 30 juin et 7 juillet. Pour la première fois, le programme électoral des principales familles politiques comporte des mesures pour le logement.
En fonction du poids respectif de ces forces dans les rangs de l’hémicycle, quels choix seront-ils faits pour l’immobilier ? Avec quelles conséquences ? Certaines promesses risquent-elles de n’être pas tenues, notamment à cause de leur coût budgétaire ?
Des experts et se livrent à une anticipation sans idéologie de la politique qui sera menée, sur la base des engagements de campagne.
Les intervenants
Le débat est animé par Henry Buzy-Cazaux, président-fondateur de l’Institut du Management des Services Immobiliers, secrétaire général du Cercle. Avec :
- Norbert Fanchon, président du groupe Gambetta
- Nicolas Martinot, président du groupe Martinot
- Jérôme Révy, membre de l’Observatoire de l’immobilier de l’Institut Sapiens
- Geneviève Salsat, présidente fondatrice de Public Conseil
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