Août 28

Que peut encore faire l’État pour relancer le marché immobilier résidentiel ? – Mardi 12 septembre à 18h

La synthèse

« Ne rien faire n’est pas, pour moi, une option ! », déclare Patrice Vergriete, ministre délégué au Logement, qui se positionne de facto à contre-courant du traditionnel principe du « laisser-faire, le marché se régulera tout seul ». Le ministre proclame la volonté du gouvernement d’intervenir pour mettre fin aux tensions qui affectent tant les ménages – qui ne peuvent plus mener à bien leurs projets –, que les professionnels du secteur menacé par une casse sociale sans précédent (NDLR : 300 000 emplois seraient menacés d’ici 2025, selon la Fédération des promoteurs immobiliers). En effet, sont constatées : une baisse des ventes dans le neuf (collectif et maison individuelle confondus) d’environ 40% et une baisse des transactions des logement existants de l’ordre de 30-35%. Pour les logements existants, Christian de Kerangal, directeur général de l’IEIF, entrevoit, lui, une baisse significative des prix de l’ordre de -5 à -10 % au niveau national : « Au niveau local cela pourra être beaucoup plus fort. Malheureusement, cela va prendre du temps ; la difficulté est que le marché immobilier s’ajuste, d’abord, par les volumes et, ensuite, par les prix. Et je crains que nous soyons rentrés dans une crise qui va durer 3 à 4 ans ».

Les pouvoirs publiques ayant conscience de l’urgence, leur intervention devrait se dérouler en deux temps, selon les propos rapportés par le ministre délégué : « Le premier pour répondre à cette urgence, en essayant de rééquilibrer le modèle économique de la production de logements, de relancer la construction de logements neufs, en assumant le fait que ce n’est pas forcément dans tous les territoires qu’il faut construire aujourd’hui. Il peut y avoir d’autres types d’interventions sur des petites villes ou sur des marchés nettement moins tendus. Le second temps, qui est le cap que j’ai voulu me fixer, et qui porte sur la transformation en profondeur de la politique du logement. L’État ne peut pas tout mener, il faut décentraliser. Il faut assumer le fait que ce sont les acteurs de terrain qui sont en première ligne et c’est eux qu’il faut évidemment responsabiliser. Il faut essayer de leur donner une plus grande capacité d’action, en laissant à l’État un rôle de stratège et de garant ».

Un plan d’action d’urgence aux multiples mesures

Patrice Vergriete ne croit pas à la recette miracle, à LA mesure qui est censée répondre à tous les maux : « Je ne crois pas à l’effet Scellier de 2008 parce que l’on sait à quel point les recettes miracles peuvent aussi générer des effets qui ne sont pas toujours positifs ». Aussi, tout en étant en pleine phase de réflexion et de concertation, préconise-t-il des actions ciblées sur « tous les segments de la demande et de l’offre ».

Concernant l’accession à la propriété, il relève la nécessité d’un recentrage tout en souhaitant apporter une solution aux territoires qui en ont le plus besoin, notamment les sites en réindustrialisation : « Comment peut-on réévaluer les critères du prêt à taux zéro (PTZ) pour qu’il soit réellement efficace dans un certain nombre de zones ? Par le passé, ces critères n’ont pas été indexés et aujourd’hui ils ont perdu leur efficacité ». Pour compenser la disparition au 31 décembre 2024 du dispositif Pinel et la perte d’une certaine catégorie d’investisseurs motivés par les avantages fiscaux, le ministre délégué veut soutenir le bail réel solidaire (BRS) – notamment dans les ventes HLM – ainsi que le logement locatif intermédiaire (LLI). Il cherche le moyen d’attirer les investisseurs institutionnels, et plus spécifiquement les SCPI : « Dans un contexte où l’immobilier de bureaux est un peu moins attractif, ces investisseurs s’intéressent à l’immobilier résidentiel. (…) On sait qu’ils raisonnent de manière très mathématique en termes de rendement. Il faut essayer de leur répondre de la même manière ». 

Concernant le statut du bailleur privé, le gouvernement planche sur une révision, ce qui devrait aussi séduire les investisseurs, notamment institutionnels. Le ministre se veut rassurant et souhaite aussi accompagner les bailleurs sociaux pour atteindre les objectifs de production et de rénovation, c’est pourquoi un échange avec Emmanuelle Cosse, présidente de l’Union sociale pour l’habitat, a été organisé. Le gouvernement devrait donc poursuivre la politique du logement mise en œuvre avec la Caisse des dépôts et Action logement.

Patrice Vergriete envisage encore de prendre des mesures portant sur : les meublés touristiques, la sortie du parc locatif des logements dotés d’un mauvais DPE, les redressements de fiscalité (@Henry : je n’ai pas compris s’il vise le redressement fiscal ou de relever la fiscalité), la copropriété et d’habitat indigne.

Une décentralisation pour une responsabilisation des acteurs locaux

Patrice Vergriete évoque un « changement de logiciel » pour illustrer le nouveau paradigme : l’Etat doit transmettre aux acteurs locaux « la boîte à outils nécessaire pour accompagner la production de logements sociaux, développer de vraies politiques foncières, lutter contre la vacance, pouvoir réguler les différents marchés, etc. ». L’objectif affiché est d’accorder une plus grand liberté dans la prise de décision (par exemple : imposer une taxe additionnelle sur les logements vacants sur son territoire) et que chaque élu local puisse assumer ses choix devant les électeurs. Et il ne s’agit pas uniquement de doter les collectivités locales, « il faut aussi donner la possibilité aux entreprises d’avoir directement la capacité d’agir sur le marché, et pas simplement par le 1% logement. (…) Il en est serait de même avec les université pour les logements étudiants », souligne le ministre délégué.

Coauteur de l’article 55 de la loi SRU qui détermine les communes devant disposer d’un nombre minimum de logements sociaux (CCH, art. L. 302-5 et s.), Patrice Vergriete alerte que, malgré ce transfert de compétences, il veillera à son respect, tout comme il restera attentif aux questions d’hébergement d’urgence : « Il faut que chacun assume sa part de ce qui relève de la solidarité nationale ».

Pour mener à bien tous ces projets, le ministre délégué n’est pas dupe et sait que la tâche ne sera pas simple : « Vous connaissez la situation à l’Assemblée nationale. (…) Contrairement à ce qu’a annoncé le président Macron, cela prendra peut-être la forme d’un ensemble législatif pour un certain nombre de mesures, au lieu d’une grande loi ».

Un programme bien réceptionné par les professionnels du secteur mais avec quelques réserves

Frédérique Lahaye, présidente du pôle logement de Terra Nova, approuve le fond, la méthode et est favorable à la responsabilisation des collectivités locales à la condition toutefois que l’Etat ne se désengage pas sur les aides au logement : « Le PTZ est un outil magnifique, ça fait 30 ans que cela existe. Il se pilote par décret, ce qui est extrêmement important. (…)  Il peut s’adapter à toutes les situations qu’on veut politiquement et économiquement favoriser. (…) En revanche, il faut bien le calibrer, c’est de la technique. (…) Quelle est l’enveloppe prévisionnelle qu’on va lui consacrer ? Combien va-t-on pouvoir en faire ? C’est de la mécanique fine, (…) une grande discussion en toute franchise est à mener avec Bercy et le ministre délégué au Logement ». Mme Lahaye souhaite que l’on favorise la location vide, au même titre qu’est actuellement fiscalement encouragée la location meublée. Elle émet une réserve : « On a besoin de produire plus de logement social que de logement intermédiaire. (…) J’ai le sentiment que c’est un produit fini ». 

Concernant l’appel aux investisseurs institutionnels, Christian de Kerangal confirme qu’ils ont retrouvé un « appétit pour le résidentiel » à une époque (2014 puis 2017) où taux zéro, rentabilité élevée et risque limité constituaient le tiercé gagnant : « Mais on est, actuellement, dans une période très compliquée, ce qui ne va pas simplifier votre tâche, Monsieur le ministre. (…) On est dans un attentisme très fort : les investisseurs institutionnels attendent que les prix s’ajustent, se réajustent, et ce tant dans l’immobilier d’entreprise que dans l’immobilier résidentiel », avertit-il, tout en soulignant que certains s’interrogent sur un possible rééquilibrage de leur allocation immobilière. Cela consisterait à réduire la part d’investissement consacrée au bureau au profit de classes d’actifs tournées vers l’exploitation à tendances sociétales fortes, comme la santé.  « L’appétit des investisseurs institutionnels vers le résidentiel va durer. Encore faut-il les accompagner. Ils ont un besoin (notamment les compagnies d’assurance pour les fonds en euros) de rendement locatif un peu plus élevé que ce que peut offrir le résidentiel classique. (…) Cela a du sens parce que ce ne sont pas les seuls particuliers qui vont permettre d’affronter le défi de la transition climatique ! », énonce le directeur général de l’IEIF. Pour mémoire, ces dernières années, le volume d’investissement dans le résidentiel (géré, classique et intermédiaire) était de l’ordre de 7 milliards d’euros. Selon Christian de Kerangal, la part des investissements issus des institutionnels serait affectée exclusivement pour l’Ile-de-France, les grandes métropoles régionales : « et peut-être dans quelques métropoles moyennes dont ils percevront la dynamique. Mais c’est vrai qu’ils n’accompagneront pas les territoires en déshérence où il y a, pourtant, aussi besoin d’investissements pour la rénovation énergétique et pour la création d’une offre locative ». Autre interpellation de sa part : « concernant la décentralisation de la politique du logement, (…) je mets quand même en exergue la réticence d’un grand nombre d’élus locaux par rapport à la construction de nouveaux logements. C’est quelque chose auquel les promoteurs et les investisseurs institutionnels sont régulièrement confrontés. Ne faudrait-il pas inciter les élus locaux à construire plus de logements et leur donner évidemment les financements qui vont avec ? ».

Quant à Marc Oppenheim, directeur général de Crédit Agricole Immobilier, il confirme les dires de Christian de Kerangal concernant les attentes des investisseurs institutionnels et ceux de Frédérique Lahaye sur l’importance de maintenir le PTZ tout en appelant de ses vœux que les réglages futurs envisagés de cet outil par l’Etat soient intelligents. Il préconise le juste équilibre entre protection du locataire et protection de l’épargnant dans le secteur locatif privé et déplore que le dispositif MaPrimeRenov’ soit si peu clair pour les Français : « Il faut de la lisibilité et de la permanence dans le temps. C’est vrai d’ailleurs sur toutes les actions du ministre, si l’État veut avoir de l’impact, il faut qu’il donne des règles du jeu claires qui restent dans le temps et sur lesquelles les agents économiques puissent s’ajuster. On a un ajustement de prix avec la hausse des taux. Pour que le marché s’ajuste, il faut un peu de visibilité et il faut que le ministre reste aussi plus longtemps à son poste !». Marc Oppenheim pointe du doigt un autre paradoxe à résoudre ayant trait à la rénovation énergétique : « On a une incitation juridique qui ne touche que les appartements (avec l’interdiction des logements ayant un DPE classé F et G) car qu’il n’y a pas ou peu de maisons en location, et des dispositifs d’aide  et des lois qui ne sont pensés que vers les maisons. Cela ne marche pas. En outre, on a un débat entre le ministère du Logement et la Chancellerie (qui dure depuis 40 ans) sur la personnalité morale de la copropriété : cela empêche tout financement, tout prêt collectif ». Quant au prêt « avance mutation et rénovation » (crédit accordé en prenant en compte les qualités du bien et non la capacité de remboursement de l’emprunteur), il n’y est pas favorable et estime qu’il est porteur de risques, notamment pour les héritiers en cas de non-remboursement. Concernant la décentralisation de la politique, Marc Oppenheim fait valoir qu’avec le système actuel des responsabilités croisées en matière de logement associant l’intercommunalité et/ou le département, les élus locaux ne peuvent pas agir seul : « Globalement, celui qui décide n’a pas les moyens d’assumer ses décisions ».

La maison individuelle : la grande absente du plan d’urgence ? 

Non, la maison individuelle n’est pas bannie par le gouvernement! Patrice Vergriete tient à rappeler qu’en qualité de ministre délégué, il n’est pas de son ressort de dire aux Français s’ils doivent devenir propriétaire ou locataire ou choisir un logement collectif ou individuel : « Par contre, le ministre est là pour essayer de faire en sorte que les gens puissent avoir cette liberté. C’est la démocratie simple. (…)  Donc, je ne suis pas là pour dire qu’il faut construire de la maison individuelle ou du collectif. En revanche, les élus locaux doivent porter une responsabilité (…) car compte tenu du prix de l’énergie, on ne doit pas loger les gens à 50 km de leur travail, on sait les conséquences que cela a. (…) L’urbanisme, c’est du ressort des élus locaux et non de celui du ministre délégué au Logement. (…) À chaque élu local de bâtir son modèle de développement durable ». 

Frédérique Lahaye n’est pas tout à fait d’accord avec l’ensemble de cette argumentation : « La politique du logement, justement, oriente vers l’accession locative. (…) Or les Français aiment la maison individuelle. (…) En outre, actuellement, les élus sont plus préoccupés par l’environnement agréable à offrir à leurs électeurs qu’à maintenir une attractivité économique. (…) Il va falloir les inciter et leur mettre la pression pour qu’ils acceptent de construire des logements. (…) Ils ont une réticence sur tout le collectif, et pas uniquement que sur le social. Mais quand il s’agit refaire leur centre-ville, construire de la maison individuelle leur va très bien ».

Quel sera le volume des transactions demain ? 

Les records du nombre de transactions des années 2019-2021, estimés entre 1 million et 1 200 000, correspondent-ils aux besoins actuels de logement au regard de la démographie française ? Pour Marc Oppenheim, ces trois années n’inscrivaient pas la nouvelle norme : « Le besoin de mutation du parc ancien n’est pas d’1 million par an. (…) Il est tendanciellement à la hausse alors que le stock ne l’est pas à la même vitesse. Pour autant, il est difficile de déterminer aujourd’hui où est le point d’équilibre. Le marché surréagit toujours à la baisse, donc il va peut-être baisser un peu plus que ce qu’il devrait par rapport au niveau de besoins naturels de la population. On ne l’espère pas. On espère que ça sera rapide. Je suis un peu comme Christian, j’ai tendance à penser que la réaction d’ajustement est toujours un peu lente. Ce besoin structurel est un sujet intéressant qui doit être pris en compte par l’État stratège. (…)  Il faudrait que l’État puisse raccourcir et modérer cet ajustement ».
Pour Christian de Kerangal, descendre à un volume de 700 000 transactions serait néfaste. Il souligne, toutefois, que l’inflation ne devrait pas être une des causes expliquant cette baisse annoncée : « Un régime d’inflation entre 3 et 4 % n’est pas forcément mauvais pour l’immobilier. C’est même plutôt bon si le taux n’est pas plus élevé. (…)  Pour les ménages et l’ensemble des acteurs du secteur, la grosse difficulté est le passage de 1 à 5% du taux d’intérêt d’emprunt qui force à la réduction des budgets ». Comme le précise Marc Oppenheim, si pendant 9 mois, certains ménages ont eu quelques difficultés à obtenir le financement de leur projet, il semble que les critères d’ajustement du Haut Conseil de stabilité financière (HCSF) ont permis un retour quasi à la normale pour les dossiers éligibles à l’emprunt : « Les marchés se reconstituent à des niveaux raisonnables. Les banques, je peux vous l’assurer, n’ont qu’une envie, c’est de prêter ».

Regardez le débat en replay

Les enjeux

Qu’on regarde le marché de la revente des logements ou celui des achats et de la production des logements neufs, le constat est le même: une baisse de l’ordre du tiers des volumes de vente et de revente, et des perspectives de construction très insuffisantes.

Les causes en sont multiples: on citera un climat géopolitique et économique défavorable aux projets les plus engageants pour les ménages, un accès au crédit fortement réduit érodant le pouvoir d’achat logement, des prix qui résistent encore, des coûts de construction majorés par l’inflation, des aides publiques en repli, ou encore des salaires qui n’ont pas augmenté à due proportion de la hausse généralisée des prix. 

Dans ce contexte dégradé, alors que l’État est sous forte contraintes budgétaires, quelles actions attendre de lui pour relancer l’activité et permettre aux Français de répondre à leurs besoins en logement ?

Au-delà du projet de loi de finances pour 2024 voté avant la fin de l’année, aura-t-on un projet de loi sur le logement pour faciliter, simplifier, redonner du souffle au marché ?

Que peuvent faire les acteurs professionnels eu-mêmes sans attendre l’intervention des pouvoirs publics ?


Les intervenants

Le débat est animé par Henry Buzy-Cazaux, président-fondateur de l’Institut du Management des Services Immobiliers, secrétaire général du Cercle. Avec :

  • Patrice Vergriete, ministre délégué au logement
  • Christian de Kerangal, directeur général de l’IEIF
  • Frédérique Lahaye, présidente du pôle logement de Terra Nova
  • Marc Oppenheim, directeur général de Crédit Agricole Immobilier

Patrice VERGRIETE
Ministre délégué au logement
Christian DE KERANGAL
Directeur général de l’IEIF
Frédérique LAHAYE
Présidente du pôle logement de Terra Nova
Marc OPPENHEIM
Directeur général de Crédit Agricole Immobilier