Le constat
La crise sanitaire, dont les conséquences économiques sur les entreprises et sur les ménages sont désormais tangibles, a plongé les investisseurs dès le premier confinement dans un univers inconnu et anxiogène. Qu’il s’agisse des valeurs mobilières ou des actifs immobiliers, l’arrêt de l’activité ou au mieux le fort ralentissement de nombreux secteurs d’activité sont venus faire peser de lourdes hypothèques sur le rendement et sur la valorisation des supports d’investissement. Pour les boutiques et les bureaux, mais aussi pour les biens résidentiels ou encore les résidences service, la fragilisation des utilisateurs est venue obscurcir les perspectives.
Les questions
- Certes, les derniers mois ont apporté des réponses et semblent avoir rassuré sur l’efficacité des plans de soutien des États, dont l’État français: les Bourses ont recouvré une grande partie de leur vigueur, le marché de l’immobilier a résisté. En apparence, il a même démontré une résilience exemplaire. Pour autant, cette situation est-elle solide et durable?
- Dans quelle situation les entreprises et les commerçants sortiront-ils de la pandémie si elle éradiquée en 2021, et l’immobilier commercial, tertiaire ou logistique restera-t-il attractif?
- Quid de la solvabilité des ménages et des risques sur l’investissement locatif d’habitation? Quel impact sur les SCPI ou les OPCI?
- Quels actifs sortiront-ils indemnes, ou garderont-ils en tout cas un attrait pour les investisseurs? De nouveaux supports vont-ils émerger?
- Comment éclairer la stratégie de conseil et de commercialisation de produits immobiliers des Français? Comment guider leurs choix?
Prochaine conférence du Cercle des Managers de l’Immobilier, organisée le mardi 9 février à 17h
Débat animé par Henry Buzy-Cazaux, président fondateur de l’Institut du Management des Services Immobiliers, délégué général du Cercle des Managers de l’Immobilier.
Les intervenants
La synthèse
La prudence paraît de rigueur : « Nous sommes appelés à quelques années assez turbulentes sur l’immobilier », déclare Guy Marty, économiste, président fondateur de Pierre papier.fr, vice-président de Finance Innovation et président d’honneur de l’IEIF. La cause ? L’endettement des Etats dont le mode de remboursement retenu risque d’impacter l’épargne foisonnante des Français. Si trois scénarii auraient pu être envisagés, il semble qu’il n’en reste qu’un vraisemblable. Le premier, dit « catastrophe », est éludé : les Banques centrales et gouvernements voulant à tout prix éviter une déflation comme au Japon, il est peu probable que les taux d’intérêts restent faibles encore longtemps. Le deuxième, dit « divine surprise », est totalement écarté : depuis la déclaration de la directrice de la BCE, Christine Lagarde, tout espoir d’annulation de la dette publique des Etats a été anéanti, mesure qui pour certains auraient encouragé les gouvernements à investir dans des plans de relance durables. Le troisième, « Le vraisemblable », semble avoir été retenu : le remboursement prend le chemin d’une action sur l’épargne avec des taux réels négatifs. « Si l’on veut déboucher sur un feu d’artifice inflationniste pour rembourser les dettes, les Banques centrales peuvent augmenter les taux d’intérêts (faire en sorte de faire monter les prix) ou l’inflation peut arriver toute seule. Dans ce scénario, il y aurait une euthanasie des rentiers assez douce aujourd’hui et plus rapide par la suite », prédit l’économiste.
Mais l’histoire l’a déjà démontré : à long terme, l’immobilier vit relativement bien avec l’inflation. Qu’il s’agisse d’actif financier, d’immobilier d’entreprise ou de logement, la croissance économique devrait être au rendez-vous. Pour autant, peut-on affirmer que l’immobilier est une valeur refuge ? « Dans un cadre extrêmement sécurisé, (…) [pris] comme un bon véhicule à long terme, on peut dire que l’immobilier est une valeur refuge. Mais il ne l’est pas dans le sens où les prix ne pourraient en aucun cas baisser», conclut Guy Marty. Une fois ancrée le principe selon lequel l’immobilier est plutôt un investissement à horizon de placement long, sur quels produits le particulier pourrait-il compter en 2021 ?
La pertinence de l’investissement locatif en question
Elément sécurisant dans un contexte de forte volatilité des actifs immobiliers, le logement (la résidence principale) demeure le premier investissement immobilier des Français, comme le rappelle Philippe Lauzeral, directeur général délégué de Stellium, et Ombretta Cancedda-Porcher, notaire associé à Wissous. Mais le marché du logement et de l’investissement locatif est confronté à une érosion de l’offre (renforcée par la crise Covid-19, les élections municipales et les recours devant les tribunaux dont font l’objet la plupart des projets immobiliers), caractérisée par une concentration de biens sur des territoires de plus en plus resserrés, à laquelle va s’ajouter, d’ici l’été 2021, une augmentation des prix, répercussion des surcoûts des constructions neuves engendrés pour l’application de la réglementation thermique (RE 2020), et estimés à 6-13 %. Ombretta Cancedda-Porcher relève un regain d’intérêt pour le viager tout en dénonçant que l’opération reste difficile à financer, ce qui a pour effet de maintenir le volume des ventes à un bas niveau.
Toutefois Philippe Lauzeral se veut rassurant : « avec des rendements bruts d’environ 3 % (…) le coût de l’argent est tel que cela reste un placement pertinent. (…) Lorsque l’on fait un investissement locatif, notamment neuf, il faut l’envisager dans une logique de garde, de complément de revenus à la retraite avec, certes, une fiscalité confiscatoire (celle des revenus fonciers) mais en ayant bénéficié d’un effet de levier grâce à un financement à des conditions aujourd’hui particulièrement attractives. » Et Céline Mahinc, coauteur du Vademecum de l’immobilier (15e éd., Arnaud Franel Eds, 2020, 164 p.), de compléter : « Il y a des horizons de placement, ne serait-ce que pour des contraintes fiscales. Après l’on n’est pas obligé d’attendre les 22 ou 30 ans d’exonération de plus-value immobilière pour revendre. A 14-15 ans, l’on commence à voir une fiscalité nettement allégée. Elle n’est plus confiscatoire au point de ne pas pouvoir envisager une réorientation de son investissement si cela semble pertinent pour des raisons soit personnelles, soit financières ». Quoi qu’il en soit, et du fait des prix, « il est illusoire de compter sur une plus-value sur la revente à terme. Dans l’ancien on peut encore trouver des micromarchés sur lesquels il y a de réels potentiels de plus-value. Dans le neuf, c’est beaucoup moins le cas. Le marché est homogène et les prix ont été portés par l’incitation fiscale qui oriente les promoteurs », avertit Philippe Lauzeral. Alors, pour s’assurer un complément de revenu, pourquoi ne pas miser sur la performance des SCPI ?
Les SCPI diversifiées préconisées
Décrit souvent comme un placement vedette, la SCPI reste toutefois un produit de niche, comme le souligne Paul Bourdois, cofondateur de France SCPI : « C’est un produit qui reste assez confidentiel. 5,8 milliards d’euros de collecte cette année, c’est très peu comparé à l’assurance-vie (même si elle est en décollecte) ou à d’autres produits » (NDRL : l’assurance-vie aurait connu une décollecte de 6,5 milliards d’euros en 2020). Aussi, la diminution de la part d’investissement amorcée en 2020 devrait-elle se maintenir en 2021. Si la SCPI garantit depuis près de 30 ans un rendement ne dépassant plus les 8 % mais ne descendant pas sous les 4 %– ce qui est rassurant pour les investisseurs –, elle n’est pas un produit dénué de risque (liquidité, variation du prix de part ou des loyers) – ce qui les inquiète. Paul Bourdois parle de « sinusoïde » tout en dénonçant le risque probable d’une fluctuation prochaine du prix des parts : « quoi qu’il arrive la SCPI c’est de l’immobilier et on investit sur du long terme. En 2020, peu de personnes ont demandé un retrait de parts. Mais ce n’est pas pour cela qu’il n’y a pas eu un effet de non-collecte ». L’expert reconnaît que certaines SCPI ne collectent plus et que les classes d’actifs ne sont pas homogènes : la crise n’a pas eu les mêmes conséquences sur les bureaux, les commerces ou encore l’hôtellerie. A ce jour le marché de l’investissement sur les bureaux se porterait même mieux qu’avant crise du fait de la présence de liquidités sur le marché. Aussi Paul Bourdois préconise la diversité des placements sur la durée : « les SCPI diversifiées tirent leur épingle du jeu sur cette année 2020 avec un rendement moyen supérieur à 4 % ; cela peut être une solution ». Et n’en déplaise aux écologistes, le label « SCPI écoresponsable » ne fait pas le poids face à la rentabilité recherchée par les épargnants : « le but des SCPI c’est un placement financier (…) qui est là pour donner du rendement avant tout. S’il y a valorisation, sous-valorisation et revalorisation c’est une cerise sur le gâteau », clarifie-t-il.
A cela, Céline Mahinc apporte un bémol et alerte sur la nécessité de regarder la rentabilité dans son ensemble : « Les parkings, par exemple, sont des placements attractifs avec une mise de départ peu élevé et une promesse de rentabilité intéressante. (…). Il faut ajouter les frais de notaires plus élevés que pour un achat immobilier dans le neuf, les frais de gestion que l’on confie et s’interroger sur l’évolution dans le paysage urbain de l’usage de la voiture ». Ombretta Cancedda-Porcher considère aussi cet actif comme un bon investissement. Concernant les résidences gérées (EPHAD, tourisme, étudiant…), elle clarifie en précisant qu’il ne faut pas considérer ce type de placement comme un investissement immobilier mais comme un investissement dans l’économie réelle : « Vous pariez sur l’entreprise, le gestionnaire qui va administrer ce bien, qui va faire en sorte que cela se remplisse, qui va aller démarcher les tours opérateurs dans le tourisme, les écoles, les universités pour les étudiants, etc. Le sous-jacent est l’immobilier. Il faut donc bien prendre en compte cette considération afin de réaliser un investissement, en pleine connaissance de cause. (…) L’utilisation des dotations aux amortissements, et donc le fait de pouvoir créer artificiellement des charges sur une partie de la valeur de son investissement pour minorer sa fiscalité future tout en constituant son patrimoine, est un levier patrimonial exceptionnel ». Une fois la classe de la SCPI déterminée, reste encore le problème de son financement.
Le financement des SCPI : un marché à prendre
Philippe Lauzeral, Paul Bourdois et Céline Mahinc le déplorent : l’offre de financement des SCPI est extrêmement concentrée. Seules quelques banques dominent et réglementent les conditions de ce financement, voire ne soutiennent que leurs propres SCPI, ce qui fausse l’analyse délivrée aux clients. Céline Mahinc évoque la possibilité de recourir au PEL ouvert avant 2011 pour financer les SCPI, tout en soulignant qu’avec un taux de 4,5 points, l’opération reste coûteuse. « Ce qui est dommage c’est que l’on avait une banque – le Crédit foncier – qui les finançait très bien. Mais avec le changement de cap de la structure, on est dépourvu. (…) Des banques étrangères ne peuvent pas faire de prises de garanties sur ce type de véhicule car le produit est très franco-français. Pour moi, nantir la totalité de l’emprunt demandé auprès d’une banque ce n’est pas du financement. Donc on espère d’autres solutions », précise-t-elle. Et si une des solutions de financement étaient de recourir au crowdfunding?
Le crowdfunding : une alternative ?
En 2020, pendant la crise, le crowdfunding (appelé aussi « financement participatif ») aurait tenu sa place, selon Céline Mahinc : « Ils ont été présents pour financer les porteurs de projet et pour maintenir l’activité des professionnels du secteur de l’immobilier ». L’experte explique que, depuis 2014, ce sont plus de 1600 projets immobiliers qui ont été financés pour les plateformes (ce qui représente 1 milliards d’euros) et que le top 20 des grands promoteurs en a bénéficié. Et le bilan est positif : « La moitié sont en cours de vie, 33 % ont été remboursés, 9 % sont en retard dont seulement la moitié avec un retard de 6 mois. Ce qui veut dire que, globalement, il n’y a que 4 % des projets pour lesquels on peut se poser une question et 0,01 % en défaut », expose-t-elle. Le crowdfunding viendrait, d’une part, en cofinancement avec celui accordé par les établissements bancaires, ce qui permet un partage du risque et, d’autre part, en refinancement de fonds propres du promoteur pour lui permettre de débloquer son capital et l’injecter dans une nouvelle opération. Malheureusement il semblerait que certaines banques semblent empêcher certains acteurs d’y recourir.
En 2020, le crowdfunding aurait aussi séduit les marchands de bien qui n’y faisait habituellement pas appel, avec des horizons de placement courts de 3 ou 6 mois et la possibilité d’un financement exclusif du projet. La réactivité offerte par le système (3-4-6 semaines entre le lancement et l’obtention des fonds) leur permet de réaliser des « coups de fusils », impossible avec les banques.
Aussi séduisant soit ce mode de financement, Céline Mahinc insiste : « il faut porter l’attention sur le manque d’adéquation entre la qualité du porteur de projet, l’horizon d’investissement et la promesse de rendement. Aujourd’hui je constate une promesse de rendement très homogène de 9,3 – 9,5-10 points (pour un horizon de placement d’environ 2 ans) alors que suivant les catégories de porteur que l’on finance et suivant ce que l’on finance (aménagement foncier, promotion ou marchand de biens) le risque n’est pas le même et nous devrions avoir plus de différence dans les promesses de rentabilité que l’on en a. Il y a des projets qui sont très bien rémunérés par rapport aux risques réels et, a fortiori, certains mériteraient du 11-12-13 points par rapport au risque réel qui est pris ». Mais comment savoir si l’on peut avoir confiance dans un porteur de projet, si l’on investit au bon endroit et au bon prix, si la rentabilité promise sera au rendez-vous ?
Le courtier conseil : un pare-feu contre les arnaques et l’incertitude
Sébastien Bareau, secrétaire général d’ANACOFI Immo et directeur général de Calista Patrimoine, met en garde les particuliers : « Il y a eu beaucoup d’arnaques (hameçonnage) et la crise a favorisé des acteurs indélicats (…) Il existe une multitude de produits et, en période de crise, il faut affiner la perception et la connaissance de ces derniers ». Si recourir à un expert permet d’éviter ces pièges, cela garantit aussi une qualité de conseil : « Le courtier/CGP va d’abord travailler sur les objectifs du client (court, moyen et long termes). La détermination du produit arrive à la fin. Le choix est fonction de ses objectifs et de sa situation personnelle », poursuit-il. Sébastien Bareau insiste sur le fait que si les périodes de crises économiques et politiques (les élections présidentielles sont proches et ne sont jamais favorables à l’immobilier) n’incitent pas à la confiance et donc à l’investissement, des opportunités peuvent toutefois se présenter. C’est pourquoi il invite à délivrer une éducation financière aux futurs investisseurs, à leur expliquer les tenants et les aboutissants pour arriver aux objectifs tout en prévoyant des portes de sortie. « Donc il faut envisager la diversification avec des termes et des échéances différentes, avec l’idée d’atteindre l’objectif final, tout en sachant qu’il peut y avoir des accidents de la vie, tout en incluant une fiscalité confiscatoire qui peut très bien l’être davantage dans le futur », détaille-t-il.
Dans un tel contexte, l’agilité des investisseurs est donc de rigueur et le CGP disposera du recul nécessaire pour procéder aux ajustements qui s’imposent et éviter que l’investissement immobilier de ses clients ne se transforme en un unique centre de coûts dans les années à venir. Aussi Philippe Lauzeral encourage-t-il à « être sélectif et ouvert, se positionner sur un marché qui va devenir mature. Aujourd’hui des villes sont à des niveaux de prix problématiques assez inexpliqués (…). Il faut aller vers des villes moyennes où il y a du potentiel, une demande locative forte. Elles offrent un prix d’accès plus en adéquation avec une valeur de sortie ». Et Sébastien Bareau de conclure : « deux voies d’investissement sont à suivre dans le futur : le dispositif Denormandie, qui devrait redynamiser des communes (NDRL : 222 collectivités bénéficient du plan national Action cœur de ville) et le coliving, marché actuellement occupé par les gros institutionnels : leur arrivée en force va faire diminuer l’offre par rapport à la demande et donc augmenter les prix ».
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