Le constat
Le monde de la transaction immobilière semble traversé par des secousses telluriques à un point jamais connu. Des acteurs ayant un modèle économique et professionnel différent apparus il y a déjà plusieurs années en France, les réseaux de mandataires, connaissent une accélération de leur développement et leur valorisation atteint des niveaux inédits dans ce métier. Au sein même de cette communauté, on note des organisations et des stratégies commerciales distinctes et identitaires. En outre, la création d’entreprise y est active et les leaders cohabitent avec des enseignes récentes. Un point commun néanmoins entre tous : le recours massif à des négociateurs indépendants, dont le statut est aussi utilisé depuis longtemps par les agences immobilières, qui composent aujourd’hui l’essentiel du vivier des spécialistes de la vente et de la location.
Du côté des acteurs connus et reconnus, ça bouge également: l’un des principaux groupes d’administration de biens détient désormais les plus importantes franchises du pays, elles-mêmes estimées à des valeurs considérables. Et la disruption se poursuit: des agences virtuelles débarquent sans complexe.
En tout cas, la transaction professionnelle est passée en peu de temps d’un sujet peu mobilisateur à un thème d’observation macroéconomique pour les experts, qui lui promettent un bel avenir…quand nombre de chantres du numérique prédisaient naguère la fin des intermédiaires.
C’est le thème de la prochaine conférence du Cercle des Managers de l’Immobilier, organisée le mardi 8 juin à 17h.
Cette conférence est organisée à l’initiative de Benjamin Darmouni, président du Cercle des Managers de l’Immobilier, François-Emmanuel Borrel et Evelyne Vivier, présidents adjoints du Cercle, et Emily Jousset, présidente du pôle Communication du Cercle.
Elle est animée par Henry Buzy-Cazaux, Président de l’Institut du Management des Services Immobiliers et secrétaire général du Cercle.
Les intervenants
La synthèse
« Pour le futur, il faut sécuriser notre profession, sécuriser nos agents. Nous devons nous unir, nous devons tous nous reconnaître comme des grands professionnels et accepter de travailler tous ensemble », déclare Christian Fabre, directeur général de Keller Williams France. Serait-ce la fin annoncée des réseaux en silo des acteurs de l’immobilier ? Les réseaux vitrés (dépendants), les réseaux intégrés (interdépendants) et les réseaux de mandataires (indépendants) cohabitent, jusqu’ici, très bien dans ce grand écosystème qu’est le marché de la transaction immobilière. Alors pourquoi un tel appel au changement ?
Des transformations stratégiques
Tout d’abord parce que les acteurs historiques ont eux-mêmes entrepris de grandes manœuvres stratégiques de transformation du marché en procédant à des rachats d’entités. Ainsi, Frédéric Chaminade, directeur général de l’Arche, holding de participations du groupe Citya, rappelle que l’entreprise familiale d’origine s’est considérablement transformée en trente ans. Le groupe Arche – qui vient d’acquérir Century 21 pour 84 millions d’euros – poursuit une stratégie d’acquisition de marques : « Pourquoi avoir un portefeuille de marques ? Pour parler le même langage, peser plus fort dans le futur, (…) créer une synergie dans ces systèmes ». Le groupe propose aujourd’hui une plate-forme de services complémentaires (assurance, expertise immobilière, état des lieux, etc.) bénéfiques tant pour ses clients que pour ses équipes.
Un essor des indépendants
Ensuite, parce que le profil des acteurs de l’immobilier évolue en adéquation avec la société et que le secteur a permis la création d’emplois non-salariés avec l’instauration du statut de mandataire. Selon Vincent Pavanello – économiste, auteur d’un rapport sur les réseaux de mandataires, fondateur de la Maison des mandataires -, le nombre de mandataires immobiliers a fortement augmenté ces dernières années. Ils seraient au nombre de 40 000, soit 1/3 des conseillers immobiliers en France, et représenteraient 20 % de part de marché : « Les transactions intermédiées sont passées de 500 000 à 700 000 entre 2015 et 2020. On a donc un marché en pleine croissance en volume et en valeur puisque les prix de l’immobilier augmentent. Le mode d’organisation des mandataires entre en résonance très forte avec un certain nombre de valeurs montantes de la société. (…) La société évolue très fortement et montre chaque jour un désir d’indépendance, d’autonomie, de plus juste partage de la valeur (…) Cette volonté d’indépendance se retrouve dans la transaction », explique-t-il. Il est vrai que la souplesse du statut permet aussi à toute personne en recherche d’affranchissement de se lancer dans une aventure entrepreneuriale, sans avoir à justifier d’un quelconque diplôme. Aussi l’économiste projette-t-il que les ménages iront de plus en plus vers l’intermédiation dans les années qui viennent, les réseaux de mandataires convertissant de plus en plus de particuliers et grignotant sur le marché de gré à gré. Les ménages font en effet spontanément confiance à un agent commercial de terrain local, accessible, qui les exonère en quelque sorte de leur prévention contre les agences. La plupart des réseaux, à l’exception des leaders, « doivent combler un déficit de notoriété énorme », souligne-t-il.
Et les propos d’un tel rapport font écho à ceux du rapport rédigé par Laurent Grandguillaume, vice-président de la Fondation Travailler autrement, pour le compte de la FNAIM en vue de la mise en œuvre de son plan d’action. « La 1re action va être mise en place rapidement puisque la FNAIM va créer un observatoire des travailleurs indépendants et des mutations du travail avec la Fondation Travailler Autrement. (…) Le but du rapport est de penser les mutations dans le domaine de la transaction, sans faire de pointage sur un statut, et anticiper les changements », annonce l’ancien député. Confirmant que le secteur est un ascenseur social puisqu’il est permet à chacun de créer son emploi quelle que soit son parcours antérieur et de choisir le statut qui répond à ses besoins en matière d’indépendance, de formation ou de protection sociale, Laurent Grandguillaume rappelle la compatibilité du statut hybride que confère le portage salarial avec la loi Hoguet. Toutefois cette diversité des statuts et la mutation qui s’opère sur le marché ne doivent pas pénaliser le client : « Il faut sécuriser le client qui a besoin d’avoir, face à lui, une personne compétente ; une personne formée qui va bien le renseigner, (…) et qui va lui apporter une qualité de service. Il faut sécuriser les entrepreneurs dans leurs relations avec les indépendants et vice-versa. En libérant les énergies, les entreprises créent de la croissance, des emplois (…), des activités pour les indépendants. C’est un cercle vertueux », expose Laurent Grandguillaume. Christian Fabre, à la tête de Keller Williams France, dans le même état d’esprit, décrit le concept original de market center comme un « incubateur d’entrepreneurs » indépendants.
De l’intérêt du client
Enfin, et surtout, parce que le client doit toujours être au cœur de la stratégie de la transaction immobilière. Et pour ce faire, peu importe le statut, l’important est que l’agent soit en capacité de répondre aux besoins de son client, assure un suivi de son dossier et lui offre une haute qualité de services. A cet effet, il doit se former, disposer de tous les outils technologiques pour mener à bien sa mission et disposer d’une juste et attractive rémunération.
Concernant les compétences, les dirigeants voient d’un bon œil la potentielle sélection que pourrait instaurer le décret d’application de la loi ALUR relatif à l’aptitude nécessaire à l’exercice de la transaction et de la gestion immobilières (NDLR : attendu depuis 6 ans déjà) en imposant un authentique parcours d’entrée de formation : « Cela va valoriser le métier de conseiller immobilier. (…) La formation et l’accompagnement… c’est primordial. C’est de nature à instaurer une confiance entre les clients et les professionnels », explique Thu Trang Vo Hong, dirigeante fondatrice du réseau Naos Immobilier, qui a créé une plate-forme d’e-learning pour aider ses conseillers immobiliers à bien se former. Cette professionnalisation est d’autant plus encouragée puisqu’on en constate les effets vertueux depuis plusieurs années aux Etats-Unis : une fois la confiance inscrite, le client s’adresse uniquement à un seul professionnel. « Les Etats-Unis ne fonctionnent plus que par mandat exclusif, pour le grand bonheur des clients. Il n’y a plus de particulier à particulier et nous sommes à 98 % en exclusivité. Les acteurs de l’immobilier travaillent tous ensemble. C’est du gagnant-gagnant car lorsque l’on donne un mandat de vente à un agent que l’on a choisi, c’est toute la profession qui peut proposer le bien à ses clients, qui est vendu très vite. Quand un client rentre dans une structure immobilière pour rechercher un bien, il sait qu’on lui proposera tout ce qui existe sur le marché », témoigne Christian Fabre, inspirateur de la plateforme de partage de mandats exclusifs e-listing.
Concernant la technologie, la PropTech a modernisé et simplifié les tâches quotidiennes des conseillers qui sont devenus des « agents augmentés » : visite virtuelle ou signature électronique ont permis de réduire le parcours de vente. Thu Trang Vo Hong indique avoir mis en place une campagne de visibilité sur Google Local Services © pour capter des prospects, recourir à Google My Business© et avoir développé une application mobile pour que ses conseillers puissent développer leurs équipes et visionner le chiffre d’affaires réalisé. Là où il reste encore beaucoup à faire c’est dans l’exploitation des data. Vincent Pavanello estime que les données captées par les agents appellent un traitement pour les transformer en mandat de vente. « La vraie valeur, c’est ce que l’on fait avec les data », résume Christian Fabre, qui souligne qu’il faudra toujours une relation humaine pour satisfaire le client.
En matière de rémunération, tous les modèles coexistent : honoraires en pourcentage du prix du bien, forfaits, rétrocession d’honoraires au négociateur allant de 20 % dans les agences traditionnelles à 70, 80, voire 100 % dans les réseaux de mandataires. Si Thu Trang Vo Hong rêve d’un système d’honoraires mixe avec un fixe et un variable fonction de la satisfaction des clients, Vincent Pavanello, lui, mise sur la généralisation de la pratique du taux : « les acteurs refusent le fixe. Le talent ne bosse pas à ce prix sauf s’il est assuré de réaliser beaucoup de transactions dans le mois ». A quand l’innovation en matière de rémunération ?
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